Douze
Heures sans Pluie
Chanson
française – Douze Heures sans Pluie – Marco Valdo M.I. – 2019
ARLEQUIN
AMOUREUX – 33
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Art en sor décoloré |
Dialogue
Maïeutique
Oh,
Lucien l’âne mon ami,
Je pense que comme moi, depuis longtemps, tu sais que notre Arlequin
napoléonien – il faut comprendre strictement : « du
temps de Napoléon » – est une figure animée d’un
personnage-type qui parcourt en tous sens et par tous les temps les
pays d’ici et d’ailleurs. Ce n’est pourtant ni un pèlerin, ni
un exilé ; ce n’est pas vraiment un nomade – le nomadisme
est un mode de vie ; c’est à proprement parler un fugitif, un
fuyard, un homme traqué ou qui toujours se sent tel. Ce n’est pas
qu’il veut se déplacer, c’est qu’il le doit. C’est une
destinée, pas un choix. Dans le langage des diplomates de nos jours,
le terme qui me paraît le mieux le définir serait « personne
déplacée ». (Et déplacé dans ce monde, il l’est à plus
d’un titre, mais c’est toute une histoire – celle que je
raconte). Donc, une « personne déplacée »
sous-entendu : par les circonstances externes à sa volonté.
Pour lui, la fugue n’est pas un mode de vie, c’est une manière
de survivre.
Je
connais ça, en effet, Marco Valdo M.I. mon ami, depuis les siècles
que je vagabonde. Le pire, c’est que le fuyard – ainsi conçu –
fuit toujours vers un ailleurs qui est nulle part. Son chez lui
n’existe plus et il n’est pas certain qu’il existe un chez soi.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, si tu sais ça, tu sais ce que ressent
notre Arlequin qui vient d’enterrer Barbora avec son enfant, l’un
sur l’autre et qui reprend son odyssée solitaire. C’est ce
moment que raconte la chanson. Mathieu se remet en route, plus
misérable encore de ce trou dans le cœur. Il est dur son métier de
déserteur.
C’est
dur déjà la solitude vagabonde, dit Lucien l’âne, mais elle est
pire sous la pluie quand elle est froide et qu’elle n’en finit
pas.
Notre
Arlequin, répond Marco Valdo M.I., notre Arlequin est déprimé,
perdu, écrasé par le chagrin, peut-être, qui sait ? Peut-être
est-ce une immense lassitude, mais il lui faut repartir, vaille que
vaille. Il titube, sa vie bégaye. C’est pour faire ressortir ces
hoquets de l’existence, ces hésitations du destin, que j’ai eu
recours à une forme poétique, elle-même un peu stochastique.
Eh,
dit Lucien l’âne, c’est un bégaiement poétique. Il me semble
me souvenir d’un poème de Charles Cros qui en usait ainsi.
Précisément,
Lucien l’âne, tu as l’oreille fine et la mémoire asinesque.
C’est chez Charles Cros [par ailleurs, inventeur du télégraphe,
de la photographie en couleurs, du paléophone et
tout ça avant 1870 : un fameux zig, ce mec !] que j’ai
été chercher cette forme particulière – dans un poème d’origine
« indo-provençale », intitulé « Le
Hareng
saur ».
Ce « Hareng saur » est si célèbre qu’on en a fait un
genre littéraire : « le monologue fumiste ». Si tu
veux, je peux te le réciter intégralement.
Oh,
s’exclame Lucien l’âne, je peux le faire aussi. D’ailleurs, le
voici, intégralement :
« Le
hareng saur
Il
était un grand mur blanc – nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle – haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains – sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou – pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle – gros, gros, gros.
Alors il monte à l’échelle – haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu – toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur nu – nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau – qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle – longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur – sec, sec, sec.
Il redescend de l’échelle – haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau – lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s’en va ailleurs – loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur – sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle – longue, longue, longue,
Très lentement se balance – toujours, toujours, toujours.
J’ai composé cette histoire – simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves,
Et amuser les enfants – petits, petits, petits. »
Contre le mur une échelle – haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains – sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou – pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle – gros, gros, gros.
Alors il monte à l’échelle – haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu – toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur nu – nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau – qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle – longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur – sec, sec, sec.
Il redescend de l’échelle – haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau – lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s’en va ailleurs – loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur – sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle – longue, longue, longue,
Très lentement se balance – toujours, toujours, toujours.
J’ai composé cette histoire – simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves,
Et amuser les enfants – petits, petits, petits. »
Et
puis mainteannt, tissons le linceul de ce vieux monde humide, mide,
mide, mide et cacochyme,
chyme, chyme, chyme.
Heureusement,
ment, ment, ment !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Mathieu
a les yeux secs – secs, secs, secs
Et
la bouche serrée pis qu’un bec – bec, bec, bec,
Un
regard sans nœud – nœud, nœud, nœud
Peut-être
n’est-il pas malheureux – reux, reux, reux.
Mathieu
s’en va en solitaire – taire, taire, taire ;
La
route du futur est brumeuse – meuse, meuse, meuse ;
Au
loin, elle se perd – perd, perd, perd.
Il
rumine sa colère fuligineuse – neuse, neuse, neuse.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Brouillé
avec les autres quinquins – quin, quin, quin
Pour
d’obscurs conflits pourris – ourris, ourris, ourris
Faust
se fait un nouvel ami – ami, ami, ami
De
ce polichinelle irisé, nommé Arlequin – quin, quin, quin.
La
jambe en sautoir, se traîne Arlequin – quin, quin, quin.
« Dottore,
déjà douze heures sans pluie – pluie, pluie, pluie.
J’ai
connu de pires malheurs dans ma vie – vie, vie, vie.
La
fin de ces mourants est un bien – bien, bien, bien. »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Matthias
à nouveau vagabond, avance – vance, vance, vance ;
Parfois
même, il fait grande bombance – bance, bance, bance
Et
se contorsionne toute la nuit sur la paille – paille, paille,
paille.
Au
diable une vie pareille, je défaille – faille, faille, faille !
Le
déserteur anonyme fait peine à voir – voir, voir, voir
Avec
sa taille de traviole, tout trébuchant – chant, chant, chant.
« Où
va-t-on ? », lui demande Faust en toussant – sang, sang,
sang.
« Au
diable pour leur échapper, du matin au soir – soir, soir, soir. »
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
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