vendredi 13 décembre 2019

DU SOUFRE AU CHARBON



DU SOUFRE AU CHARBON

Version française – DU SOUFRE AU CHARBON – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Dallo Zolfo Al Carbone Giacomo Lariccia – 2014








Les mineurs qui ont émigré en Belgique étaient pour la plupart des mineurs en Italie. Une bonne part (25%) étaient des soufriers (ouvriers des mines de soufre) siciliens.


Dialogue Maïeutique


C’est exact, dit Marco Valdo M.I., mais j’ajouterai cependant ceci : une autre grande part de ces mineurs italiens étaient les mineurs de charbon des mines sardes, concentrés autour de Carbonia et Iglesias durant l’époque de l’autarcie fasciste ; paradoxalement, une bonne part d’entre eux étaient déjà des émigrés de l’intérieur, venus des autres régions d’Italie. Mais évidemment, il y avait tous les autres exilés d’après-guerre, qui s’exilaient ou qu’on exilait d’Italie pour les mêmes raisons : en gros, pour certains, la misère d’un pays ruiné par 20 ans de fantasme d’Impero ; les zones rurales ne pouvaient plus porter leurs populations et l’industrie était en pleine déconfiture et en réorganisation après les destructions de la guerre. Pour d’autres émigrants, ce qui les avait poussés à l’exil, c’était l’ostracisme politique – ainsi, dans les mines belges, au fond des galeries, les fascistes et les communistes, les miliciens et les partisans se retrouvaient côte à côte face au charbon et au grisou.


Sur ce sujet, Marco Valdo M.I., j’en suis sûr, tu pourrais épiloguer longuement. Pour preuve, ta chanson sur les mines de soufre de Sicile : « Néron le Sicilien ».


En effet, Lucien l’âne mon ami, je connais assez bien cette émigration et ses enfants et ses petits-enfants et même, à présent, ses arrières-petits-enfants qui de fait, ne sont jamais rentrés au Pays – un endroit mythique où le retour est pour la plus grande part impossible ; un rêve dans lequel il est impossible de se retrouver. Tout comme la carte n’est pas le territoire, le rêve n’est pas la réalité. Loin de là. Quand ils reviennent, ils reviennent dans un autre temps, au milieu d’autres gens, dans une autre Italie qui n’a que faire de ces fantômes d’un autre temps. Dans cette Italie – disons de maintenant – ces gens sont en fait des migrants. Cela dit, par exemple, c’est pareil pour les émigrés portugais ou grecs ou espagnols ou tous ceux d’Europe centrale ou orientale ou des émigrés turcs, africains ou asiatiques. Et ce qui est vrai pour l’exil vers l’Europe, est évidemment aussi exact pour l’exil vers les autres terres d’exil et elles sont nombreuses. Avec en plus, une sorte de jeu de vases communicants. Les vides créés par l’exil se remplissent d’immigrants, venus de terres lointaines et d’ailleurs encore plus désolants. C’est normal ; on fuit la misère partout, sauf que la misère est un phénomène relatif. La misère d’ici est vue de là-bas comme un pays de Cocagne. Sans oublier, pour en revenir aux mines et mineurs en Belgique qu’elles ont commencé par vider les campagnes belges – en Wallonie d’abord, près des charbonnages et des mines de fer et de la sidérurgie ; puis, les campagnes flamandes. À la longue, les populations migrantes se sont installées – un simple coup d’œil aux noms qui apparaissent sur les registres d’état-civil permet de retracer cette lente migration ou le nom des commerçants le long des rues ou ceux des enfants dans les écoles ou ceux des médecins qui nous soignent.


Et puis, dit Lucien l’âne, moi qui voyage depuis tant de temps en tant et tant de lieux, je peux attester que c’est un long et lent phénomène multipolaire et très hétérogène. Pour fixer les idées, il suffit de rappeler que les Lombards sont venus d’ailleurs et qu’on ne sait trop d’où venaient ces Étrusques qui ont peuplé la Toscane. Et, m’est avis, que ces mouvements incessants ne sont pas près de finir, même avec des barrières maritimes.


Pour preuve, ajoute Marco Valdo M.I., les Amériques et l’Australie sont pour une grande part (si l’on excepte le solde après massacre des « indigènes » – Amérindiens) peuplées de migrants qui ont oublié qu’ils le sont et qui font à autrui ce qu’ils n’auraient pas aimé qu’on leur fasse ou que l’on a peut-être fait à leurs ancêtres. Mais ce n’est pas une raison pour infliger à d’autres des discriminations semblables.


On aurait pu s’attendre, dit Lucien l’âne, que les migrants d’hier accueillent à bras ouverts et avec joie les migrants d’aujourd’hui. « Marin, ne tire pas sur un autre marin », chantait Jean Ferrat (Potemkine):


« Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
… Marin, ne tire pas sur un autre marin »


Sans doute, ont-ils oublié, la misère de laquelle ils ont fui ; mais la misère, Lucien l’âne mon ami, n’est pas la pauvreté avec laquelle on peut vivre et même souvent, mieux qu’avec la richesse. La misère et le souvenir enfoui de cette ancienne misère, la gêne d’avoir aussi été miséreux, fait perdre le sens à certains ; on dit que la misère n’est pas une bonne mère, car elle pousse ses enfants au départ. Que peut-elle faire d’autre ? C’est sans doute, au contraire, son plus grand geste d’amour. Qu’on se le dise, il n’y a rien de honteux d’avoir été miséreux et si on peut se réjouir d’en être échappé, c’est raison de plus pour ne pas y repousser les autres. Là, on touche au cœur de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les installés font aux pauvres et aux migrants pour garder leurs aises, conserver leurs privilèges, maintenir leur domination et satisfaire leurs boulimies.


Halte-là, Marco Valdo M.I., on pourrait encore en dire tant et plus, mais il nous faut conclure et tisser le linceul de ce vieux monde riche, replet, obèse, xénophobe et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






La misère avait la couleur
Des champs où j’étais voleur ;
La saveur et le goût de la faim
Quand manque le travail, quand il n’y a rien ;
L’arrogance de ces recruteurs
Qui pour m’envoyer sous terre
Pour un jour de travail à la soufrière,
Me demandaient ma sœur.


On a laissé le soleil enfermé chez lui
Et nous sommes partis par le train de nuit.
Les mères criaient fort dans la gare
En agitant des mouchoirs.
On se demande assis dans ce train.
Si on les reverra, si un jour, on revient.
On se demande comme est le monde, car
De là, on n’était jamais partis bien loin.


Je veux fuir, nous ne sommes pas des esclaves,
Laisser le pays de ce servage.
Je veux échapper à ce patron,
Je suis passé du soufre au charbon.


Le monde semble pareil sous terre,
On y meurt de chaleur où qu’on soit ;
Dans l’air, les nuances de la poussière
Dessinent des monstres et puis, se noient.
Les couleurs de la fumée sur les visages
Des hommes sont des paysages
Et dans la couleur des visages,
On retrouve son village.


Aujourd’hui encore, on creuse la terre
Pour chercher le charbon et le diamant.
En Chine, ça fait 20 000 morts par an ;
Chez nous, ces morts-là indiffèrent.
Sous ce ciel, rien n’a changé,
Les gens dans les mines vont toujours creuser
Et ces hommes sont mes frères
Au visage couvert de la noire poussière


Sous ce ciel, rien n’est changé
Et le chanter, c’est folie
Pour contenter la bête d’un monde affamé
D’argent et d’énergie.


Mais sous terre, nous sommes tous frères.
Tous pelletant pour le même patron
Italiens, Chinois, Espagnols, Berbères,
Et nous qui avons fui le soufre pour le charbon.

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