LA MALLE DE CHARON
Version
française – LA MALLE DE CHARON – Marco Valdo M.I. – 2019
Passage de Dante vers l'Enfer |
Dialogue
maïeutique
Dans
le fond, Marco Valdo M.I., j’aime beaucoup les titres étranges
dont tu pares tes chansons, même – comme c’est le cas cette
fois-ci – s’il s’agit d’une version française d’une
chanson originellement en langue étrangère. Car j’imagine que
cette « Malle de Charon » n’est pas à proprement
parler une traduction, du simple fait que la « Malle »
considérée comme un bateau destiné à faire le passage d’une
rive à l’autre est une dénomination un peu particulière et à ma
connaissance, strictement régionale, qui désignait un bateau qui
assurait le passage trans-Manche entre Ostende et Douvres et c’était
même un service public ; je pense me souvenir qu’il a
fonctionné pendant plus d’un siècle. C’était même un moyen
d’excursion assez apprécié des gens ; il permettait une
balade en mer d’une journée à un prix abordable.
D’abord,
Lucien l’âne mon ami, je te remercie de ton appréciation de mes
titres énigmatiques, car comme tu l’as sans doute senti, j’y
tiens beaucoup. Un titre, vois-tu, c’est un peu la signature, un
peu aussi ce qui attire l’œil du passant inattentif, comme quand
soudain l’œil accroche à un détail, se focalise sur un point
excentrique. Ainsi quand on se déplace dans un lieu peuplé de
milliers d’éléments dans la nature ou par exemple, au milieu de
la ville dans une rue fort encombrée et que dans cet univers on
décèle un oiseau, une fleur, une forme, un regard, que sais-je ?
Eh bien, dans la monotonie des jours, des mots et des discours,
soudain, un titre surgit et monopolise, tétanise l’attention comme
une lumière dans la brume. Dans le cas présent, ç’aurait dû en
bonne logique être la barque de Charon ou le bac de Charon, mais on
est en mer, d’où cette curieuse Malle de Charon. Quant à Charon,
c’est celui-là que Brassens évoquait dans Le Grand Pan en
disant :
« La
plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée
par Charon, Silène et compagnie »
Oui,
dit Lucien l’âne, je sais pertinemment bien qui est ce Charon qui
utilisait une barque pour faire passer le Styx aux défunts ; on
le désigne souvent sous l’appellation exotique de « nocher »
– le nocher des Enfers, le nocher du Styx, le vieux nocher des
morts ; c’était le passeur de l’Achéron. Comme tu le
devines, je n’ai jamais eu recours à ses services. Mais passons.
Avant
d’en venir à la chanson, je voudrais, Lucien l’âne mon ami,
attirer ton attention sur un tableau d’Eugène Delacroix qui
représente le passage vers l’Enfer de Dante sur la barque Charon.
C’est une représentation terrible qui fait écho allégoriquement
à la fin de la chanson.
Oh,
dit Lucien l’âne, ce tableau est en effet terrible, mais n’est-il
pas l’œuvre du même peintre qui fit Le Radeau de la Méduse,
tableau dont tu illustras ta chanson Le Radeau
de Lampéduse.
Eh
non, Lucien l’âne mon ami, Le Radeau de la Méduse est l’œuvre
de Théodore Géricault, dont précisément – et là, tu as raison
– s’inspira Eugène Delacroix pour ce Charon passant Dante vers
l’Enfer.
Mais
quand même, dit Lucien l’âne, la chanson ne parle pas quand même
pas de peinture. Que dit-elle vraiment ?
Elle
dit des choses tout aussi épouvantables que ne disait Le Radeau de
Lampéduse ; elle rapporte l’aventure infernale de réfugiés
que des émules de Charon mercantiles et cupides mènent sur la mer
vers un avenir radieux et jettent par-dessus bord à quelques
encablures de la côte. À présent, cela se fait fréquemment
directement au large de la Libye au départ de la croisière sans
retour. Et pire encore, en Italie, jusque très récemment, un
ministre s’entêtait à rejeter au large ces malheureux que des
cœurs généreux avaient arrachés aux serres des vautours des côtes
africaines.
Je
vois, dit Lucien l’âne, c’est l’histoire de cette capitaine
que tu racontes à ta manière dans Le
petit Navire, la Capitaine et les Réfugiés et ce ministre
sinistre est celui à qui tu proposais qu’on offre un « canard
en plastique », quand on
discutait de LA CAPITAINE, ta version française de la
Capitana
de Francesco Camattini, précisément ;
le ministre déchu
n’a pas eu le temps de recevoir son canard et encore
moins d’apprécier les
grands sentiments. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde
infernal, dantesque, barbare et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
mer est sombre, le vent siffle.
60
miles, puis la côte du Salento,
Caron
le démon aux yeux de braise
Emmène
les âmes sur son bateau.
À
présent, la coque tangue sur les eaux noires ;
Dans
le dos, s’éloignent la patrie et le drapeau,
Rêves
lointains qui s’embrasent,
L’enfer
d’aujourd’hui est déjà au-delà :
Qui
vivra verra.
Hurle
la mer et crie le vent,
Nous
sommes trop sur la barque de Charon,
Treize
en tout, trop lourds, trop pesants.
Le
cœur se serre, mais silencieux, on va de l’avant ;
32
milles et un orage :
Un
éclair d’espoir, l’Italie, apparaît déjà
Ou
alors, l’ombre d’une poule,
Terrifiée
à l’idée que le renard est là.
Hurle
la mer et siffle le vent.
2
miles encore, puis la côte du Salento,
Caron
le démon se fâche bientôt,
Prend
sa mitraillette et crie « Descendez maintenant ! »
Mon
cher amour, je ne sais pas nager,
Le
naufrage n’est pas doux pour moi ;
Déjà,
dans le ciel, je vois s’envoler
Un
corbeau noir, qui vivra, verra.
La
mer est calmée et le vent est calmé.
Treize
corps dérivent sous les eaux du Salento.
Caron
le Démon, mais le vrai, le beau
Nous
emporte parmi les âmes dans l’obscurité.
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