Le Ciel de Lucanie
Lettre
de prison 42
26
juillet 1935
Dialogue Maïeutique
Alors,
Lucien l’âne mon ami, à la fin de juillet, à peu près au temps
où les étoiles filent tout au travers du ciel d’été, Carlo Levi
envoie une lettre à sa mère, une lettre banale, une lettre comme à
l’ordinaire, de sa prison romaine de Regina Coeli – la Reine des
Cieux, qui le tient entre ses serres depuis des jours et des jours.
Cette lettre, c’est la dernière qu’il écrit depuis cette
cellule où il vit en isolement, mais il ne le sait pas encore.
Ainsi, c’est la lettre finale et elle n’a pas les allures d’un
conclusion. C’est un arrêt brutal.
Alors,
Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce que ça peut faire qu’elle ne
soit pas une lettre conclusive et d’ailleurs, y aura -t-il une
conclusion ?
Oh,
dit Marco Valdo M.I., une conclusion proprement dite, il n’y en
aura pas. Mais une suite, oui et quelle suite ! Elle va mettre
du temps à venir au jour puisqu’elle sortira de l’ombre, à
Florence, en 1944 et en 1945, des presses de l’éditeur Einaudi,
installé à Turin et ami de longue date de Carlo Levi. Il fut
d’ailleurs arrêté en 1934 en même temps que Carlo Levi et
d’autres membres du groupe turinois de Giustizia e Libertà et
comme lui, envoyé ensuite en confinement. Cette suite est proprement
la suite directe du séjour romain, car c’est là-bas, son lieu de
confinement, cet immédiatement après Regina Coeli qui est le monde
que décrit et raconte « Le Christ s’est arrêté à Eboli »,
ce curieux livre écrit dans la clandestinité, quand Levi, alias
Carlo Carbone, ne sortait plus, tel un hibou, quasiment que la nuit
de son refuge ; sauf nécessité impérieuse.
Nécessité
impérieuse ?, répond Lucien l’âne. Je me souviens de cette
chanson que tu avais
écrite, il y a quelques années déjà à propos de
l’homme
en gris qui traverse une place de Florence en plein midi.
N’était-ce pas lui ?
Moi,
répond Marco Valdo M.I., je n’y étais pas, mais j’ai la
conviction (je ne pourrai sans doute jamais en avoir la certitude)
que l’homme en gris, c’était bien lui, c’était Carlo Levi.
Pour en revenir à cette dernière lettre de Rome, après avoir
comparé ce séjour dans les locaux de Regina Coeli à l’Enfer,
celui de Dante, il dit son aspiration à revoir les étoiles, celles
du plein ciel de l’été, celles du grand trempé de l’automne,
celles du ciel glacé de l’hiver et celles du ciel chantant du
printemps.
« Revoir
les étoiles,
Les
vraies étoiles.
On
n’en voit pas une
De
ma cellule,
Et
même pas la Lune. »
Et
même s’il n’est pas vraiment libéré, même s’il n’est pas
libre de ses mouvements, le ciel de Lucanie, où
le pouvoir fasciste l’a confiné, lui ouvrira tout grand son cirque
d’étoiles et son espace infini. Finalement, il y a quand même là
une conclusion dans un certain sens heureuse, surtout quand on songe
que sans ça, Carlo Levi n’aurait sans doute jamais écrit le
Christ s’est arrêté à Eboli et n’aurait pu faire ces peintures
« insolites » qui racontent la vie des somari.
Ainsi,
finit donc ce voyage épistolaire, effectué de bout en bout dans une
cellule de deux
mètres sur deux en 1934-35 par le médecin, peintre et futur
écrivain Carlo Levi.
Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde odieux, méprisant,
dédaigneux, orgueilleux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les
grands peintres étrangers
Ont
une période romaine.
Ma
résidence à Rome
N’est
guère féconde.
Que
va-t-elle enfanter ?
Où
va-t-on m’envoyer ?
Je
ne sais.
Y
trouverais-je la sérénité
Pour
créer ?
Ne
sachant pas, je ne sais.
Si
mes grandes espérances
Ne
font pas faillite,
Je
ferai, je pense,
Dans
ma nouvelle résidence,
Des
œuvres insolites.
La
prison est comme l’Enfer :
Y
entrer est très facile ;
Avec
ses grilles et ses portes de fer,
En
sortir est plus difficile.
C’est
toute une affaire.
Revoir
les étoiles,
Les
vraies étoiles.
On
n’en voit pas une
De
ma cellule,
Et
même pas la Lune.
Les
étoiles… L’été.
C’est
la saison où dans le jardin,
Dans
le hamac, sous le jasmin,
On
les regarde tomber
Par
centaines jusqu’au matin.
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