mercredi 18 septembre 2019

Le Ciel de Lucanie



Le Ciel de Lucanie


Lettre de prison 42
26 juillet 1935








Dialogue Maïeutique


Alors, Lucien l’âne mon ami, à la fin de juillet, à peu près au temps où les étoiles filent tout au travers du ciel d’été, Carlo Levi envoie une lettre à sa mère, une lettre banale, une lettre comme à l’ordinaire, de sa prison romaine de Regina Coeli – la Reine des Cieux, qui le tient entre ses serres depuis des jours et des jours. Cette lettre, c’est la dernière qu’il écrit depuis cette cellule où il vit en isolement, mais il ne le sait pas encore. Ainsi, c’est la lettre finale et elle n’a pas les allures d’un conclusion. C’est un arrêt brutal.

Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce que ça peut faire qu’elle ne soit pas une lettre conclusive et d’ailleurs, y aura -t-il une conclusion ?

Oh, dit Marco Valdo M.I., une conclusion proprement dite, il n’y en aura pas. Mais une suite, oui et quelle suite ! Elle va mettre du temps à venir au jour puisqu’elle sortira de l’ombre, à Florence, en 1944 et en 1945, des presses de l’éditeur Einaudi, installé à Turin et ami de longue date de Carlo Levi. Il fut d’ailleurs arrêté en 1934 en même temps que Carlo Levi et d’autres membres du groupe turinois de Giustizia e Libertà et comme lui, envoyé ensuite en confinement. Cette suite est proprement la suite directe du séjour romain, car c’est là-bas, son lieu de confinement, cet immédiatement après Regina Coeli qui est le monde que décrit et raconte « Le Christ s’est arrêté à Eboli », ce curieux livre écrit dans la clandestinité, quand Levi, alias Carlo Carbone, ne sortait plus, tel un hibou, quasiment que la nuit de son refuge ; sauf nécessité impérieuse.

Nécessité impérieuse ?, répond Lucien l’âne. Je me souviens de cette chanson que tu avais écrite, il y a quelques années déjà à propos de l’homme en gris qui traverse une place de Florence en plein midi. N’était-ce pas lui ?

Moi, répond Marco Valdo M.I., je n’y étais pas, mais j’ai la conviction (je ne pourrai sans doute jamais en avoir la certitude) que l’homme en gris, c’était bien lui, c’était Carlo Levi. Pour en revenir à cette dernière lettre de Rome, après avoir comparé ce séjour dans les locaux de Regina Coeli à l’Enfer, celui de Dante, il dit son aspiration à revoir les étoiles, celles du plein ciel de l’été, celles du grand trempé de l’automne, celles du ciel glacé de l’hiver et celles du ciel chantant du printemps.

« Revoir les étoiles,
Les vraies étoiles.
On n’en voit pas une
De ma cellule,
Et même pas la Lune. »

Et même s’il n’est pas vraiment libéré, même s’il n’est pas libre de ses mouvements, le ciel de Lucanie, où le pouvoir fasciste l’a confiné, lui ouvrira tout grand son cirque d’étoiles et son espace infini. Finalement, il y a quand même là une conclusion dans un certain sens heureuse, surtout quand on songe que sans ça, Carlo Levi n’aurait sans doute jamais écrit le Christ s’est arrêté à Eboli et n’aurait pu faire ces peintures « insolites » qui racontent la vie des somari.

Ainsi, finit donc ce voyage épistolaire, effectué de bout en bout dans une cellule de deux mètres sur deux en 1934-35 par le médecin, peintre et futur écrivain Carlo Levi. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde odieux, méprisant, dédaigneux, orgueilleux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Les grands peintres étrangers
Ont une période romaine.
Ma résidence à Rome
N’est guère féconde.
Que va-t-elle enfanter ?

Où va-t-on m’envoyer ?
Je ne sais.
Y trouverais-je la sérénité
Pour créer ?
Ne sachant pas, je ne sais.

Si mes grandes espérances
Ne font pas faillite,
Je ferai, je pense,
Dans ma nouvelle résidence,
Des œuvres insolites.

La prison est comme l’Enfer :
Y entrer est très facile ;
Avec ses grilles et ses portes de fer,
En sortir est plus difficile.
C’est toute une affaire.

Revoir les étoiles,
Les vraies étoiles.
On n’en voit pas une
De ma cellule,
Et même pas la Lune.

Les étoiles… L’été.
C’est la saison où dans le jardin,
Dans le hamac, sous le jasmin,
On les regarde tomber
Par centaines jusqu’au matin.

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