vendredi 13 septembre 2019

La Vie moderne


La Vie moderne


Chanson française – La Vie moderne – Léo Ferré – 1958






Le nez de Juliette





Dialogue maïeutique


Tiens, Lucien l’âne mon ami, voici une chanson longue, chose assez rare, car l’industrie musicale n’aime que la chanson en ondes courtes, de petites vagues, des vagues vaguelettes qui clapotent aux oreilles distraites des gens assommés de sons et de slogans. Une chanson longue, mais elle aurait pu être bien plus longue, si Ferré l’avait voulu. Il en existe d’ailleurs d’autres versions où d’autres septains apparaissent. C’était dans la manière de Léo Ferré de croquer ainsi l’époque en notes dispersées au travers de strophes multiples et de chansons diverses ; il distillait ainsi une sorte d’Humana Commedia en musique. J’en tiens pour autres exemples : Les Temps Difficiles et leurs 3 versions, Y en a marre et d’autres encore.

Oh, dit Lucien l’âne, il n’est pas le seul à procéder ainsi à l’époque. Pour exemples : Stéphane Gollman avec ses Actualités, Boris Vian avec La Complainte du Progrès, Jean Arnulf et son Point de Vue, François Béranger et ses Tranches de Vie, Jean Yanne qui disait : Tout le Monde il est beau, tout le monde, il est gentil et tant d’autres – sans compter celles dans les autres langues, mais on n’est pas là pour faire un cours sur la chanson sociologique.

Oui, certes, en effet, pourtant, il y a de quoi faire, dit Marco Valdo M.I. ; alors, je m’en vais quand même te dire un peu ce que raconte « La Vie moderne ». Elle compte 13 heptains, c’est-à-dire des strophes de 7 vers ; en fait, heptain est un autre mot pour dire septain ; sept vers, dont le dernier sert de lien et de liant à l’ensemble et se répète d’heptain en septain. Donc, le premier heptain conte la vertu perdue d’une fille qui se fait ainsi une garde-robe haute-couture très à la mode dans les salons ; le deuxième parle d’un nez raccourci qui agita pas mal le Landerneau – vraisemblablement celui de Juliette Gréco restylé deux ans auparavant (1956) ; le troisième parle – en précurseur – de la fécondation artificielle, un peu dans la même veine que dans Les Temps difficiles, parlant du procès Softenon, où un mouvement réactionnaire – genre qui sévit toujours – appuyé par l’artillerie du Vatican et la Voix romaine du Pontife, cherchait à faire condamner une dame qui avait avorté d’un fœtus sans bras – il en court encore dans nos rues, toujours sans bras – il disait :

« Le Vatican n’est pas d’accord,
Il dit qu’à Liège, on a eu tort ;
Quand tu verras un pape sans bras,
Avec quoi donc, il te bénira ?

Les temps sont difficiles ! »

Pour le reste de la chanson, je te laisse le découvrir. Juste un mot pour noter que toutes ces chansons « sociologiques » sont des manières de chroniques de la Guerre de Cent Mille Ans ; et un autre mot pour souligner l’exécution en rase campagne de la célèbre scie radiophonique (et ça vaut pour toutes les autres rengaines du genre) que sont Les Lavandières du Portugal, qui pourtant, sous certains aspects, est une chanson proto-féministe :

« Tant qu’il y aura du linge à laver,
On boira de la manzanilla.
Tant qu’il y aura du linge à laver,
Des hommes, on pourra se passer.
Et tape et tape et tape avec ton battoir,
Et tape et tape tu dormiras mieux ce soir. »

Oui, dit Lucien l’âne, arrête-toi là, car il vaut mieux ne pas trop détailler les explications, mais ces scies médiatiques, il doit encore en sévir des masses actuellement. Heureusement, nous les ânes, toi y compris, on ne les écoute pas, on ne le regarde pas – silence radio ; écran noir. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde modernisé sans cesse, médiatisé, merdisé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Ton père avait quatorze enfants
Et tu te nippes chez Dior maintenant,
Aucun rapport évidemment.
Ta vertu s’est mal défendue,
Jamais personne n’en a rien su,
Mais quand je l’ai su, il n’y en avait plus.
La vie moderne, vie moderne.

Tu avais un nez comme Cyrano,
Un grand, un bath, un rigolo,
Un vrai radar à gigolo.
Depuis qu’on te l’a récupéré,
Dans une clinique à bon marché,
Tu ne peux même plus renifler les michés.
La vie moderne, vie moderne

Avec des ronds de fécondant,
La biologie fait des enfants
Qui rentrent tout seul chez leur maman.
Dans les labos, il y a des cornues
Et dans la rue, il y a plus de cocus.
La poule fait l’œuf, mais ne chante plus.
La vie moderne, vie moderne

Les journaux, c’est comme les pansements,
Il faut en changer de temps en temps,
Sinon, ça vous froisse les idées ;
Et puis d’abord, il ne faut pas d’idées,
Car les idées, ça fait penser
Et les pensées, ça fait gueuler.
La vie moderne, vie moderne.

Il y a un monsieur qui vient chez toi,
Chaque fois qu’il rentre, c’est du pied droit.
Le gauche, pour les bonnes manières.
Il lit Sagan et tutti quanti,
Quant à Balzac, il se demande si
C’est un gazier ou un notaire.
La vie moderne, vie moderne.

Il y a des gens qui font exotique,
Qui pour bouffer à l’as de pique,
S’en iraient même jusqu’à Pékin ;
Moi sans visa ni prospectus,
Avec un carnet d’autobus,
Je vois des tas de gens et je ne vais pas loin.
La vie moderne, vie moderne.

Les magasins sont débordés,
On y vend des diams en papier,
De ceux qu’on peut pas vous faucher,
Des mouchoirs qui ne servent qu’une fois
Comme ça au moins, on sait à quoi,
À quoi ça sert d’avoir dix doigts.
La vie moderne, vie moderne.

C’est comme les machines à laver,
Ça vous lessive tout un quartier
Et puis, ça se tasse incognito.
C’est pas comme celles du Portugal
Si elles lavaient, il n’y aurait pas de mal,
Mais elles repassent à la radio.
La vie moderne, vie moderne.

La gloire, c’est comme le sex-appeal,
Faut du rimmel pour pas qu’elle file
Ou qu’elle finisse dans un potin.
Il faut la traiter comme une copine,
Ici, ailleurs ou chez Maxim’
Et puis l’asseoir sur le Bottin.
La vie moderne, vie moderne.

Il y a la nature qui est en folie,
Dans les sillons, ça fait du bruit ;
C’est la Marseillaise du printemps.
Les feuilles des arbres se font jolies,
Il y a de la chlorophylle dans leur lit
Pour qu’on se rince l’œil et puis, les dents.
La vie moderne, vie moderne.

Dans les usines, il y a plus personne,
Ça fait plus net quand midi sonne
Et que miss robot danse la polka.
Il y a des boulons électroniques
Qui se vissent tout seul, c’est fantastique
Et qui vont pas au syndicat.
La vie moderne, vie moderne.

Grand-mère avait les cheveux longs,
Grand-papa lui roulait le chignon
En roucoulant comme un pigeon.
Ton jules à toi roule ses mégots
En se disant quel est le saligaud
Qui a brouté le blé que t’avais dans le dos.
La vie moderne, vie moderne.

À New York, il y a des maisons
Qui chatouillent les pieds du patron,
Qui chausse du 45 hectares.
À Paris, il y a des sous-sols
Où l’on cause avec des bémols
Qui grattent le ciel comme une guitare.
La vie moderne, vie moderne.

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