Épique
Époque
Dialogue
maïeutique
L’autre
jour, Lucien l’âne mon ami, en discourant avec toi de la chanson
de Ferré, La Vie moderne, je te disais : « C’était
dans la manière de Léo Ferré de croquer ainsi l’époque en notes
dispersées au travers de strophes multiples et de chansons
diverses ; il distillait ainsi une sorte d’Humana Commedia en
musique. J’en tiens pour autres exemples : Les
Temps Difficiles (1) et leurs 3 versions, Y
en a marre ! et d’autres encore. »
Euh,
oui, dit Lucien l’âne, je me souviens parfaitement de notre
discussion. Mais à présent, où veux-tu en venir ?
Très
précisément, Lucien l’âne mon ami, aux « autres encore ».
Il m’était venu en tête – « il était venu dans mon
cerveau » aurait dit Sir Hugh Evans – à ce moment, comme une
ritournelle certain passage où il était question d’épique
époque, je ne sais plus exactement lequel, mais disons que ce serait
celui-là :
« Ces
boîtes à radios,
À
ragoût pour idiots,
J’y
mets qu’une pile et puis,
Ça
musique toute la nuit.
What ?
Béla Bartok ?
Moi,
je ne connais que le Vostok
Et la
Valentina
Qu’a
l’orbite dans le tralala. »
Oh,
dit Lucien l’âne, la Valentina, il y avait longtemps que j’en
avais entendu parlé. Vu l’année de la chanson, ce ne peut être
qu’elle, la cosmonaute Valentina Terechkova ; toute la planète
se passionnait pour elle – enfin, toute la planète informée de
son exploit. Dans la foulée, le Vostok était le vaisseau spatial
dans lequel elle est restée plusieurs jours en orbite dans l’espace.
Voilà
qui s’explique tout seul, dit Marco Valdo M.I., grâce à ta
mémoire d’âne. Mais, bon, comme disait l’autre scie
radiophonique, « il
faut savoir ». C’est exactement là que je voulais en
venir : à ce « il faut savoir » ou comprendre à
demi-mot. La difficulté, c’est qu’avec le temps, certains
personnages qui sont cités – des « vedettes » à leur
époque, deviennent des inconnus quelques années plus tard. Je
prends pour exemple ici Lucien Morisse et Daniel Filipacchi et sa
revue pour minets et minettes, au titre des plus accrocheurs :
« Salut les Copains ». C’était une autre époque ;
elle s’enfonce dans les brouillards des temps. Cependant, si on
fait abstraction de ces détails de noms particuliers, ce sont quand
même des chansons lucides et les dénonciations qu’elles lançaient
en ces temps lointains – quasiment préhistoriques, il y a plus
d’un demi-siècle – se sont révélées assez cinglantes et
pertinentes. Par exemple, ceci :
« Et
cette Europe 1,
Et ce
Luxembraque
Qui
t’enveloppent les uns
Pendant
que les autres claquent :
C’est l’époque opaque ! »
C’est l’époque opaque ! »
Et ça
ne s’est pas arrangé depuis, les mêmes sévissent toujours, mais
simplement plus fort encore. Écoute ceci encore :
« What ?
Apollinaire ?
C’est-y
que c’est ta grand-mère ?
Moi,
je ne connais que la guitare
Électrique
et je me marre. »
Oui,
je sais, dit Lucien l’âne, Ferré n’y allait pas avec le dos de
la cuillère ; il cinglait. Enfin, disons que ce sont là des
chansons qui avaient du corps et de la culture et qui le revendiquait
nettement. Le pire, c’est qu’elles avaient raison. C’est sans
doute la raison pour laquelle on les a éliminées ; dans le
fond, elles dérangeaient. Elles étaient nées de la Résistance,
sans doute. Quant à nous, qui partageons cette antienne de l’Ora e
sempre : resistenza, nous tissons le linceul de ce vieux monde
inculte, ignare, oublieux, abêti et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ces
filles que l’on met
Sur
des phonotocs
Au
lieu de les aimer
Ou
de les foutre en cloque,
C’est
l’épique époque !
What ?
Victor Hugo ?
Qui
c’est ça, mon coco ?
Moi,
je ne connais que le batteur
Qui
baratine ma sœur ;
Quand
il fait son break,
On
dirait que tout s’arrête ;
C’est l’idole des bavoirs,
C’est l’idole des bavoirs,
À
cul, queue ! À l’écart !
Tous
ces transistors
Qui
transitent ces bics
Sur
Radio Andorre,
Paroles
et musique :
C’est
l’époque épique !
Ces
boîtes à radios,
À
ragoût pour idiots,
J’y
mets qu’une pile et puis,
Ça
musique toute la nuit.
What ?
Béla Bartok ?
Moi,
je ne connais que le Vostok
Et
la Valentina
Qu’a
l’orbite dans le tralala.
Ces
garçons qui chantent
Des
chansons idiotes,
Qui
te mettent sur la jante
En
roulant de la botte :
C’est l’épique époque !
C’est l’épique époque !
What ?
Apollinaire ?
C’est-y
que c’est ta grand-mère ?
Moi,
je ne connais que la guitare
Électrique
et je me marre.
Quand
Johnny la gratte,
On
est bien, on est bath,
C’est
l’idole des quinquins,
On
est bath, on est bien.
Et
cette Europe 1,
Et
ce Luxembraque
Qui
t’enveloppent les uns
Pendant
que les autres claquent :
C’est l’époque opaque !
C’est l’époque opaque !
Yéyé !
Lucien Morisse,
C’est
un très grand artiste
Et
ce Filipacchi,
C’est
un de mes amis ;
Salut
les Copains !,
Vous
entendrez demain
De
nouvelles salades,
L’époque
est bien malade.
Salut,
camarades,
Salut,
camarades.
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