LA BERCEUSE DU PETIT BOURGEOIS
Version
française – LA
BERCEUSE DU PETIT BOURGEOIS
– Marco Valdo M.I.
– 2018
Chanson italienne – La ninna nanna del piccolo borghese - Assemblea Musicale Teatrale – 1976
Paroles et musique de Giampiero Alloisio et Gianni Martini
Chanson italienne – La ninna nanna del piccolo borghese - Assemblea Musicale Teatrale – 1976
Paroles et musique de Giampiero Alloisio et Gianni Martini
Dialogue
Médiatique
Comme
tu le sais sûrement, Lucien l’âne mon ami, la berceuse qui se dit
en italien « ninna nanna », formulée ainsi par une
imitation de la lallation enfantine tant prisée des grand-mères,
est une comptine ou contine.
Contine ?
, dit Lucien l’âne, on dit aussi « contine » ?
On
le dit aussi assurément, Lucien l’âne mon ami. Quant à l’écrire,
c’est une autre histoire. Normalement, non ! À l’école, on
enseigne « comptine », point barre. Mais moi, je dis que
contine, c’est quand même comptine,
comprend qui peut, aurait dit Boby
Lapointe.
Ce
serait même plus exact « contine » pour désigner ces
petiss contes à dormir couché, dit Lucien l’âne.
Donc,
reprend Marco Valdo M.I. qui n’a pas perdu le fil, une contine qui
aide l’enfant en bas âge à s’endormir. C’est du moins ce
qu’elle est censée faire, mais ça ne réussit pas toujours et on
en a connu – des grand-mères inexpérimentées qui chantaient
encore à l’heure du petit-déjeuner ; elles y avaient laissé
tout leur répertoire de chansons enfantines et en étaient au
répertoire paillard quand on les a prudemment interrompues. Il y en
avait même une qui chantait à tue-tête avec les triplés de sa
fille le refrain de la Grosse Bite à Dudule, comme
les autres ancêtres dans La
Vieille.
Or
ça, j’aurais aimé être là, dit Lucien l’âne. Moi, en ce
temps-là, j’ai dû – sous la menace terrible d’excommunication
– garder avec mon ami Fernand, le bœuf, un mouflet dans une
étable, mais sa mère (au mouflet nazaréen) n’avait qu’un
répertoire fort pauvre et avec ses « Allez Louya ! »,
elle n’a jamais réussi à l’endormir : le malheureux bambin
exaspéré poussait des hurlements si plaintifs on aurait dit qu’on
le crucifiait. Depuis, je fuis les étables et les crèches.
Fort
bien, Lucien l’âne mon ami, je vois que tu connais la question et
que tu as de l’expérience. Cela dit, les « ninna nanna »
en Italie ont insensiblement quitté l’oreiller de l’enfance pour
se rapprocher du chevet de l’adulte et de ses oreilles. J’en ai
recensé au moins 25 dans les Chansons contre la Guerre.
Oula !
Tant que ça !, s’étonne Lucien l’âne. Il vaudrait la
peine de les rassembler ; il me semble que c’est là un genre
de chanson à part entière. Mais à propos, celle-ci, que
raconte-t-elle ?
Justement,
répond Marco Valdo M.I., j’allais te le dire, car elle est un peu
particulière, également car la version française – la mienne –
diffère de l’originelle d’une manière spécifique. Donc, le
thème est une berceuse pour un petit bourgeois, qui vise à lui
faire comprendre le monde et in fine, les dégâts humains
de l’exploitation. Le
petit-bourgeois est dans son lit de drap fin et
la
berceuse, qui chantonne pour l’endormir, le
met devant sa responsabilité, celle qui découle de son renoncement
à toute action pour changer les choses et le monde. Pour
le reste, ce
qui différencie la version française de l’italienne, c’est que
l’italienne interpelle le veilleur, censément le petit bourgeois,
directement en le tutoyant, comme
on fait d’un enfant et que la française (écrite 40 ans plus tard)
traite la question d’une manière plus descriptive, plus
sociologique ; elle prend de l’écart. Sans doute, est-ce dû
à une autre manière de voir (la mienne) le monde bourgeois, petit
ou grand, comme un autre monde, comme « leur monde », en
quelque sorte ; ce monde de l’avoir, de la possession et de
l’apparence et qui n’en finit pas de pourrir. C’est cet écart
qu’on percevait dans le « Noï,
non siamo cristiani » des paysans de Lucanie.
Ah,
dit Lucien l’âne, j’aime beaucoup quand on cite Carlo Levi et
spécialement, ce « Noï, non siamo cristiani, siamo somari ».
Alors tissons le linceul de ce vieux monde bourgeois, petit
bourgeois, vain, autosatisfait et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Il
a déjà éteint la lumière, et sous ses draps de lin brodés,
Il
s’est endormi.
Au
milieu des souvenirs du bureau et la sensation de tension
Que
lui a laissée le feuilleton de la télévision,
Lui
revient à l’esprit le vide de l’ambiguïté
De
ce rôle qu’il s’oblige désormais à jouer.
Comme
un acteur qui a une grande expérience
Il
répète les répliques pour s’entraîner,
Pour
s’assurer sans plus aucun doute
Du
fait qu’il n’y a presque plus de pauvres,
Du
fait qu’il est certainement impossible de changer
Le
rôle que le scénariste a ainsi défini.
Mais
dans le sommeil et les souvenirs qui le perturbent un peu,
Surgit
un visage décharné qui joue sa fin de partie,
Qui
désormais, entre la chaleur, la fatigue et le bruit de l’atelier,
A,
pris dans un engrenage, détruit sa vie, sa libération.
Il
comprend, il réalise qu’il ne peut trouver de justification, mais…
Il
pense, c’est un accident, ce sont les choses qui arrivent à tant
de gens,
Ce
sont des choses auxquelles il ne faut plus penser ;
Demain
est encore férié et on ira tous à la plage,
On
ira digérer entre l’écume de l’eau et les rayons de soleil.
Il
faut comprendre que ce n’est pas vraiment le moment
De
perdre son temps pour des détails aussi insignifiants.
Il
existe d’autres idéaux, un autre discours
Qu’on
étudie dans les livres d’école depuis des années.
Et
puis, il y a la cravate, le col blanc,
Qu’on
ne peut salir avec le doute d’une pensée
Et
s’il peut être vrai que dans le monde, il y a l’exploitation,
Il
est possible d’y être content.
Avec
la peur du changement, il faut toujours faire attention
À
ne jamais se salir les mains, et à chaque instant,
Faire
que l’engrenage, qui a déjà tout pris,
Continue
à détruire la vie et les pensées
Dans
les baraques, dans les lagers d’aujourd’hui, dans les lagers
d’hier,
Dans
les usines, dans les prisons, dans les ruelles du port,
Avec
la complicité de gens qui, comme lui,
Ont
abandonné le doute pour renoncer
Dans
un lit aux draps de lin brodés.
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