dimanche 2 décembre 2018

LA BERCEUSE DU PETIT BOURGEOIS


LA BERCEUSE DU PETIT BOURGEOIS

Version française – LA BERCEUSE DU PETIT BOURGEOIS – Marco Valdo M.I.2018
Chanson italienneLa ninna nanna del piccolo borghese - Assemblea Musicale Teatrale – 1976
Parole
s et musique de Giampiero Alloisio et Gianni Martini




Dialogue Médiatique

Comme tu le sais sûrement, Lucien l’âne mon ami, la berceuse qui se dit en italien « ninna nanna », formulée ainsi par une imitation de la lallation enfantine tant prisée des grand-mères, est une comptine ou contine.

Contine ? , dit Lucien l’âne, on dit aussi « contine » ?

On le dit aussi assurément, Lucien l’âne mon ami. Quant à l’écrire, c’est une autre histoire. Normalement, non ! À l’école, on enseigne « comptine », point barre. Mais moi, je dis que contine, c’est quand même comptine, comprend qui peut, aurait dit Boby Lapointe.

Ce serait même plus exact « contine » pour désigner ces petiss contes à dormir couché, dit Lucien l’âne.

Donc, reprend Marco Valdo M.I. qui n’a pas perdu le fil, une contine qui aide l’enfant en bas âge à s’endormir. C’est du moins ce qu’elle est censée faire, mais ça ne réussit pas toujours et on en a connu – des grand-mères inexpérimentées qui chantaient encore à l’heure du petit-déjeuner ; elles y avaient laissé tout leur répertoire de chansons enfantines et en étaient au répertoire paillard quand on les a prudemment interrompues. Il y en avait même une qui chantait à tue-tête avec les triplés de sa fille le refrain de la Grosse Bite à Dudule, comme les autres ancêtres dans La Vieille.

Or ça, j’aurais aimé être là, dit Lucien l’âne. Moi, en ce temps-là, j’ai dû – sous la menace terrible d’excommunication – garder avec mon ami Fernand, le bœuf, un mouflet dans une étable, mais sa mère (au mouflet nazaréen) n’avait qu’un répertoire fort pauvre et avec ses « Allez Louya ! », elle n’a jamais réussi à l’endormir : le malheureux bambin exaspéré poussait des hurlements si plaintifs on aurait dit qu’on le crucifiait. Depuis, je fuis les étables et les crèches.

Fort bien, Lucien l’âne mon ami, je vois que tu connais la question et que tu as de l’expérience. Cela dit, les « ninna nanna » en Italie ont insensiblement quitté l’oreiller de l’enfance pour se rapprocher du chevet de l’adulte et de ses oreilles. J’en ai recensé au moins 25 dans les Chansons contre la Guerre.

Oula ! Tant que ça !, s’étonne Lucien l’âne. Il vaudrait la peine de les rassembler ; il me semble que c’est là un genre de chanson à part entière. Mais à propos, celle-ci, que raconte-t-elle ?

Justement, répond Marco Valdo M.I., j’allais te le dire, car elle est un peu particulière, également car la version française – la mienne – diffère de l’originelle d’une manière spécifique. Donc, le thème est une berceuse pour un petit bourgeois, qui vise à lui faire comprendre le monde et in fine, les dégâts humains de l’exploitation. Le petit-bourgeois est dans son lit de drap fin et la berceuse, qui chantonne pour l’endormir, le met devant sa responsabilité, celle qui découle de son renoncement à toute action pour changer les choses et le monde. Pour le reste, ce qui différencie la version française de l’italienne, c’est que l’italienne interpelle le veilleur, censément le petit bourgeois, directement en le tutoyant, comme on fait d’un enfant et que la française (écrite 40 ans plus tard) traite la question d’une manière plus descriptive, plus sociologique ; elle prend de l’écart. Sans doute, est-ce dû à une autre manière de voir (la mienne) le monde bourgeois, petit ou grand, comme un autre monde, comme « leur monde », en quelque sorte ; ce monde de l’avoir, de la possession et de l’apparence et qui n’en finit pas de pourrir. C’est cet écart qu’on percevait dans le « Noï, non siamo cristiani » des paysans de Lucanie.

Ah, dit Lucien l’âne, j’aime beaucoup quand on cite Carlo Levi et spécialement, ce « Noï, non siamo cristiani, siamo somari ». Alors tissons le linceul de ce vieux monde bourgeois, petit bourgeois, vain, autosatisfait et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Il a déjà éteint la lumière, et sous ses draps de lin brodés,
Il s’est endormi.
Au milieu des souvenirs du bureau et la sensation de tension
Que lui a laissée le feuilleton de la télévision,
Lui revient à l’esprit le vide de l’ambiguïté
De ce rôle qu’il s’oblige désormais à jouer.
Comme un acteur qui a une grande expérience
Il répète les répliques pour s’entraîner,
Pour s’assurer sans plus aucun doute
Du fait qu’il n’y a presque plus de pauvres,
Du fait qu’il est certainement impossible de changer
Le rôle que le scénariste a ainsi défini.
Mais dans le sommeil et les souvenirs qui le perturbent un peu,
Surgit un visage décharné qui joue sa fin de partie,
Qui désormais, entre la chaleur, la fatigue et le bruit de l’atelier,
A, pris dans un engrenage, détruit sa vie, sa libération.
Il comprend, il réalise qu’il ne peut trouver de justification, mais…
Il pense, c’est un accident, ce sont les choses qui arrivent à tant de gens,
Ce sont des choses auxquelles il ne faut plus penser ;
Demain est encore férié et on ira tous à la plage,
On ira digérer entre l’écume de l’eau et les rayons de soleil.
Il faut comprendre que ce n’est pas vraiment le moment
De perdre son temps pour des détails aussi insignifiants.
Il existe d’autres idéaux, un autre discours
Qu’on étudie dans les livres d’école depuis des années.
Et puis, il y a la cravate, le col blanc,
Qu’on ne peut salir avec le doute d’une pensée
Et s’il peut être vrai que dans le monde, il y a l’exploitation,
Il est possible d’y être content.
Avec la peur du changement, il faut toujours faire attention
À ne jamais se salir les mains, et à chaque instant,
Faire que l’engrenage, qui a déjà tout pris,
Continue à détruire la vie et les pensées
Dans les baraques, dans les lagers d’aujourd’hui, dans les lagers d’hier,
Dans les usines, dans les prisons, dans les ruelles du port,
Avec la complicité de gens qui, comme lui,
Ont abandonné le doute pour renoncer
Dans un lit aux draps de lin brodés.

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