La Fin du Poissonnier
Chanson
française – La
fin du Poissonnier
– Marco Valdo M.I.
– 2018
Ulenspiegel le Gueux – 90
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XLIV)
Ulenspiegel le Gueux – 90
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XLIV)
Dialogue
Maïeutique
Ah,
enfin ! dit Lucien l’âne, voici venue la fin de ce
poissonnier délateur qui joue au garou dans les dunes. Comme Till
avait bien eu tort de lui laisser la vie sauve quand il le tenait si
bien au
bord du canal. Combien de malheurs et de victimes
auraient été épargnés.
Tu
y vas fort, Lucien l’âne mon ami. Là, tu mets en cause la justice
et même, tu sembles justifier le meurtre justicier.
Halte-là,
Marco Valdo M.I. mon ami. J’ai vécu assez longuement pour voir
qu’il y a des exceptions à toute règle. Certes, il n’est pas
bon, disent les bonnes âmes des humains, de tuer une âme malsaine
pour faire justice. Mais les mêmes humains ne voient pas
d’inconvénient à tuer l’âne – même bon – pour faire du
boudin. Cette singulière disposition est évidemment bien pire. Et
puis, dans le cas que j’évoquais du poissonnier, il ne s’agissait
pas de justice, mais de mettre fin à une série de méfaits
criminels. Cela dit, comme je viens de l’énoncer, au principe
angélique du « Tu ne tueras point ! », ceux-là qui
l’énoncent solennellement n’ont jamais hésité à le
transgresser (« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »,
criait le croisé de Béziers) et même, si j’ose ainsi dire, à
l’échelle industrielle, nationale, internationale et si besoin,
cosmique. Certainement, je suis acquis à une règle générale de
« non aux massacres ! » et de justice bien tempérée.
Mais précisément, dans notre affaire du poissonnier, la justice
n’était en rien tempérée ; elle brûlait les innocents à
tour de bras. Elle allait tout de travers et c’est elle qui fut
cause de la révolte des Gueux et de la vengeance de Till, vengeance
qu’il tempéra au bord du canal, comme dans
les dunes.
Pour le reste, que faire d’une bête enragée ? La garder à
l’écart en cage jusqu’à ce que mort s’ensuive ?
Oh,
Lucien l’âne mon ami, je connais ce dilemme et je ne peux y
répondre à présent que sur ce cas précis où il me paraît, en
effet, qu’il aurait été préférable pour Boetkine – par
exemple, que le poissonnier-garou fut mis plus tôt hors d’état de
nuire. Mais revenons à la chanson et tu verras qu’elle répond à
ton interrogation. C’est l’heure de la justice, le
poissonnier-loup-garou est amené sous le tilleul, un gros arbre qui
pousse au milieu de la place publique (dans d’autres endroits, il
s’agit d’un chêne (Louis, roi de France), d’un orme (c’est
fort courant dans le Sud), un cerisier (pour le roi Pausole, qui à
la saison, mangeait les cerises pendant la séance) pour son procès,
avec torture, si nécessaire et ce le sera, et enfin, l’exécution
de la sentence. Sous le tilleul siège le tribunal, présidé par le
bailli, représentant du Comte, entouré des échevins de la Commune
et tout autour de la place, le peuple qui, comme l’exige la
coutume, joue son rôle de jury. C’est un peu le même rôle
démocratique que dans la tragédie grecque. Le peuple, le public,
les gens interviennent avec force dans le débat ; autour de
l’accusé, ce ne sont que reproches, rancœurs, cris, insultes,
menaces.
Excuse-moi,
dit Lucien l’âne, mais ça me fait penser aux foules qui
assistaient aux combats de gladiateurs ou à celles qui assistent aux
corridas ou aux matchs de football, de boxe ou de catch.
De
fait, Lucien l’âne mon ami, il y a de ça. Une foule est une foule
et vue globalement, quand elle se laisse aller, elle est féroce et
virulente. Il y a un effet dynamo ; ses propres outrances la
stimulent à produire d’autres outrances plus outrancières. Mais,
il faut bien dire que l’attitude veule et sournoise de l’accusé
ne va rien arranger. Ensuite, on le condamne à mort et on l’exécute
illico, sur place et sans délai. Ainsi périt le poissonnier félon.
Finalement,
il y a quand même une justice, dut se dire le peuple rassemblé.
Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce
vieux monde justicier, violent, brutal et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
matin du lendemain,
Sonne
la cloche de service
Pour
assembler greffier, bailli et échevins,
Sous
le beau tilleul de justice.
Sur
la place, en posture de jurés,
Le
peuple entier forme un cercle serré
Autour
du poissonnier entêté
Qui
ne veut rien avouer.
Il
dit toujours :
« Je
suis pauvre et malade, miséricorde ! »
Le
peuple gronde à son tour :
« Au
garou, tueur d’enfants, le feu ou la corde ! »
Les
femmes disent narguant le piteux :
« Ne
nous regarde pas de ces yeux froids,
Veule
vilain vieillard vicelard et vicieux,
Nous
ne te craignons pas !
Bête
cruelle, méchant couard,
Tu
assassinais les pauvres filles
Qui
rêvaient d’une douce vie.
Paye,
paye, laid pendard ! »
« Vampire,
suceur de sang,
Tue,
tue ! », crient les enfants
Et
Toria : « Tenailles ardentes, à petit feu ! »
« Je
suis faible, miséricorde ! », mugit le vieux.
Le
poissonnier pleure, fausses larmes,
C’est
feinte et mensonge encore.
Les
femmes rient et font vacarme :
« Où
sont les corps ? Où est l’or ? »
Sur
le banc de torture,
On
lui serre les pieds
D’étroites
chaussures
Qu’on
va encore serrer.
« Satan,
c’est moi, mon être de nature.
Enfant,
j’étais laid et mal aimé.
Garçons
et filles, de moi n’avaient pitié.
Ainsi
est né mon goût de la morsure. »
Enfin,
condamné comme horrible meurtrier,
La
langue percée, le poing coupé,
Dans
le petit feu, on met le grigou
Et
le poissonnier hurle comme un loup.
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