mercredi 26 septembre 2018

La Fin du Poissonnier


La Fin du Poissonnier


Chanson française – La fin du Poissonnier – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
90
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XLIV)





Dialogue Maïeutique

Ah, enfin ! dit Lucien l’âne, voici venue la fin de ce poissonnier délateur qui joue au garou dans les dunes. Comme Till avait bien eu tort de lui laisser la vie sauve quand il le tenait si bien au bord du canal. Combien de malheurs et de victimes auraient été épargnés.

Tu y vas fort, Lucien l’âne mon ami. Là, tu mets en cause la justice et même, tu sembles justifier le meurtre justicier.

Halte-là, Marco Valdo M.I. mon ami. J’ai vécu assez longuement pour voir qu’il y a des exceptions à toute règle. Certes, il n’est pas bon, disent les bonnes âmes des humains, de tuer une âme malsaine pour faire justice. Mais les mêmes humains ne voient pas d’inconvénient à tuer l’âne – même bon – pour faire du boudin. Cette singulière disposition est évidemment bien pire. Et puis, dans le cas que j’évoquais du poissonnier, il ne s’agissait pas de justice, mais de mettre fin à une série de méfaits criminels. Cela dit, comme je viens de l’énoncer, au principe angélique du « Tu ne tueras point ! », ceux-là qui l’énoncent solennellement n’ont jamais hésité à le transgresser (« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! », criait le croisé de Béziers) et même, si j’ose ainsi dire, à l’échelle industrielle, nationale, internationale et si besoin, cosmique. Certainement, je suis acquis à une règle générale de « non aux massacres ! » et de justice bien tempérée. Mais précisément, dans notre affaire du poissonnier, la justice n’était en rien tempérée ; elle brûlait les innocents à tour de bras. Elle allait tout de travers et c’est elle qui fut cause de la révolte des Gueux et de la vengeance de Till, vengeance qu’il tempéra au bord du canal, comme dans les dunes. Pour le reste, que faire d’une bête enragée ? La garder à l’écart en cage jusqu’à ce que mort s’ensuive ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, je connais ce dilemme et je ne peux y répondre à présent que sur ce cas précis où il me paraît, en effet, qu’il aurait été préférable pour Boetkine – par exemple, que le poissonnier-garou fut mis plus tôt hors d’état de nuire. Mais revenons à la chanson et tu verras qu’elle répond à ton interrogation. C’est l’heure de la justice, le poissonnier-loup-garou est amené sous le tilleul, un gros arbre qui pousse au milieu de la place publique (dans d’autres endroits, il s’agit d’un chêne (Louis, roi de France), d’un orme (c’est fort courant dans le Sud), un cerisier (pour le roi Pausole, qui à la saison, mangeait les cerises pendant la séance) pour son procès, avec torture, si nécessaire et ce le sera, et enfin, l’exécution de la sentence. Sous le tilleul siège le tribunal, présidé par le bailli, représentant du Comte, entouré des échevins de la Commune et tout autour de la place, le peuple qui, comme l’exige la coutume, joue son rôle de jury. C’est un peu le même rôle démocratique que dans la tragédie grecque. Le peuple, le public, les gens interviennent avec force dans le débat ; autour de l’accusé, ce ne sont que reproches, rancœurs, cris, insultes, menaces.

Excuse-moi, dit Lucien l’âne, mais ça me fait penser aux foules qui assistaient aux combats de gladiateurs ou à celles qui assistent aux corridas ou aux matchs de football, de boxe ou de catch.

De fait, Lucien l’âne mon ami, il y a de ça. Une foule est une foule et vue globalement, quand elle se laisse aller, elle est féroce et virulente. Il y a un effet dynamo ; ses propres outrances la stimulent à produire d’autres outrances plus outrancières. Mais, il faut bien dire que l’attitude veule et sournoise de l’accusé ne va rien arranger. Ensuite, on le condamne à mort et on l’exécute illico, sur place et sans délai. Ainsi périt le poissonnier félon.

Finalement, il y a quand même une justice, dut se dire le peuple rassemblé. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde justicier, violent, brutal et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Au matin du lendemain,
Sonne la cloche de service
Pour assembler greffier, bailli et échevins,
Sous le beau tilleul de justice.

Sur la place, en posture de jurés,
Le peuple entier forme un cercle serré
Autour du poissonnier entêté
Qui ne veut rien avouer.

Il dit toujours :
« Je suis pauvre et malade, miséricorde ! »
Le peuple gronde à son tour :
« Au garou, tueur d’enfants, le feu ou la corde ! »

Les femmes disent narguant le piteux :
« Ne nous regarde pas de ces yeux froids,
Veule vilain vieillard vicelard et vicieux,
Nous ne te craignons pas ! 

Bête cruelle, méchant couard,
Tu assassinais les pauvres filles
Qui rêvaient d’une douce vie.
Paye, paye, laid pendard ! »

« Vampire, suceur de sang,
Tue, tue ! », crient les enfants
Et Toria : « Tenailles ardentes, à petit feu ! »
« Je suis faible, miséricorde ! », mugit le vieux.

Le poissonnier pleure, fausses larmes,
C’est feinte et mensonge encore.
Les femmes rient et font vacarme :
« Où sont les corps ? Où est l’or ? »

Sur le banc de torture,
On lui serre les pieds
D’étroites chaussures
Qu’on va encore serrer.

« Satan, c’est moi, mon être de nature.
Enfant, j’étais laid et mal aimé.
Garçons et filles, de moi n’avaient pitié.
Ainsi est né mon goût de la morsure. »

Enfin, condamné comme horrible meurtrier,
La langue percée, le poing coupé,
Dans le petit feu, on met le grigou
Et le poissonnier hurle comme un loup.

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