jeudi 9 août 2018

L’ESCAMOTAGE DE PIETRO GORI

 
L’ESCAMOTAGE DE PIETRO GORI



Version française – L’ESCAMOTAGE DE PIETRO GORI – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Lo sfratto di Pietro GoriAnonimo Toscano del XXI secolo2018






Dialogue Maïeutique

Te souviens-tu, Lucien l’âne mon ami, de Boudu et de sa déclaration : « Un monument ? Un monument ? Mais qu’est-ce que vous voulez que je foute d’un monument ? » ; du moins, c’est le souvenir que c’est dans ce rôle que Michel Simon prononça cette phrase immortelle.

Bien sûr, Marco Valdo M.I. mon ami, je me souviens très bien de cette superbe répartie, mais comme toi, je ne suis pas trop sûr qu’il l’ait prononcée à cette occasion. Enfin, si ce n’était jamais qu’une légende, elle serait bien belle.

Bien, je vois que tu sais de quoi il est question, reprend Marco Valdo M.I. ; je pensais à cette citation en établissant la version française de « L’Escamotage de Pietro Gori », car on peut tout aussi bien transposer la chose à propos de la place de Portoferraio et de ce qu’aurait pu penser de cette histoire, Pietro Gori, qui n’était pas anarchiste pour rien.

À propos, sans vouloir t’interrompre, Marco Valdo M.I. mon ami, poursuivant son idée, Lucien l’âne dit, dans la même veine, le même Michel Simon – qui avait un visage un peu particulier, quand on lui disait qu’il avait une sale gueule, répliquait : « Vaut mieux avoir une sale gueule que pas de gueule du tout ». C’est un peu l’argument pour la place. Enfin, moi ce que j’en dis…

Ce que tu en dis… Justement, dit Marco Valdo M.I., revenons à la chanson pour laquelle curieusement notre A.T. n’a fait aucun commentaire, je voudrais quand même situer Pietro Gori, une personne d’une grande probité et d’une énorme générosité de cœur et d’intelligence. Pietro Gori, qui vécut à cheval sur la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècles, a été un infatigable avocat des pauvres et des faibles, un théoricien et un militant anarchiste, un écrivain et un poète de grande renommée. Et pas seulement, ce fut aussi un sociologue de qualité et ce qu’on appelle un grand cœur et un grand homme. Pour ce qui est de son renom de poète, de chansonnier, il suffit d’indiquer qu’il est l’auteur d’Addio a Lugano [[207]] – Adieu à Lugano. Il meurt jeune – c’est jeune 46 ans (1865-1911) ; la sympathie et l’attachement à son égard de tant de « petites gens » ont fait que son nom a été donné à une série de monuments, de rues, de places, de cercles…

Un peu comme pour Francisco Ferrer dans nos régions ?, demande Lucien l’âne.

Exactement et pour les mêmes raisons, dit Marco Valdo M.I. ; il s’agit de saluer sa générosité, son intelligence, son penchant pour la liberté et son combat du bon côté – aux côtés des pauvres – dans la Guerre de Cent Mille Ans[[7951]] que les riches font aux faibles et aux pauvres pour assurer leur domination, multiplier leurs richesses et développer l’exploitation. Dans les périodes et les lieux où en Italie, règnent le fascisme et ses versions plus contemporaines (phénomènes endémiques), on constate que les gens au pouvoir tentent – comme ce fut aussi le cas avec le monument à Fra Dolcino sur le Monte Rubello – de faire disparaître toute trace de ces hérauts de liberté. Dans le cas de cette chanson, l’A.T. relaie la protestation populaire contre l’escamotage sournois de la Place Pietro Gori à Portoferraio (Île d’Elbe) et par une subreptice substitution de son nom, son attribution à un ancien édile municipal de droite. Je n’ai pas repris son nom dans la version française, car c’est sans intérêt et il ne mérite pas d’être mentionné. Restons-en à la Piazza Pietro Gori.

Tu as bien fait, Marco Valdo M.I., mais il nous faut rependre notre tâche et tisser inlassablement le suaire de ce vieux monde prévaricateur, dominateur, exploiteur, menteur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Aux travailleurs s’adresse ce chant,
Au pêcheur, à l’ouvrier.
À Portoferrajo, par enchantement,
Le nom d’une place a été changé.
C’était la place Pietro Gori,
L’apôtre de la paix et de la vie ;
Travailleurs, il faut vous insurger
Car cette place a été humiliée.
Une place, depuis septante ans, dédiée
À l'Adieu à Lugano, écrit par Gori.
À la bibliothèque est conservée
Encore la copie du manuscrit.
Un encastrement lapidaire rappelle le souvenir
De Pietro Gori, que ces ordures
De ce torve fascisme de Moyen Âge
Ont voulu enlever et anéantir.

Cette place ne porte plus le nom
Du paladin des pauvres et des faibles,
On devine pour quelles sordides raisons,
Ils l’ont changé en dix petites minutes.
En février, un matin funèbre,
Le vent vit la place commune,
Par une menée sournoise et maladroite,
Consacrée à un édile de droite !

On ignore tout simplement
Ce qu’a pu faire d’important
Cet édile, dont on avait oublié le nom,
Pour mériter le renom
De cette place chère à tous les îliens
Qui y voient briller la mémoire reconnaissante
Pour qui a souffert des supplices durs et inhumains,
Pour les prisonniers, pour Bresci et Passannante.

Ils sont venus au nom de l’Anarchie
hanter sous le triste municipe
Les chants qui disent que jamais dans la vie
On ne transige sur l’égalité sacrée, par principe.
La place comme anéantie
Arbore maintenant une grise médaille,
Donnant l’identité bureaucratique et abrutie
D’un bourgmestre de paille.

Le vent, qui toujours respire la mer
Et les monts de l’Elbe âpre et rousse,
Raconte Pietro Gori à tous
Et ignore encore l’odieux maire !
Reviens, Pietro Gori, parmi les gens de mer
À Portoferrajo, armer d’une masse
L’ouvrier malheureux, courbé et triste,
Pour cogner la tête de ces rastaquouères !

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