Juste un homme
Chanson
française – Juste un Homme – Marco Valdo M.I. – 2017
Juste un homme |
Petite
notice récapitulative : il y a un certain temps, en deux temps
en 2005 et en 2009, j’avais écrit, puis publié une chanson
intitulée « Sto
benissimo ! Je vais très bien ! ». Je
l’ai parcourue récemment et il m’est apparu qu’elle ne disait
qu’une partie des choses ; je l’ai donc revue, j’y
ai ajouté une dernière tranche
et j’en ai fait une chanson nouvelle avec un titre nouveau « Juste
un homme »,
qui n’est pas sans donner une réponse contemporaine
à la question de Primo
Levi : « Se
questo è un uomo » – « Si c’est un
homme », car c’est la même question qui se pose ici ;
et aussi, à son autre question « Se non ora, quando ? » – « Si pas
maintenant, quand ? », qui
doivent être réinsérée dans le courant du temps et être posées
à tous les niveaux de la Guerre de Cent
Mille Ans, même et surtout aux niveaux les plus modestes, les plus
minuscules, à
l’intérieur-même de l’être ;
comme
on le sait, cette Guerre a mille facettes, cette Guerre trouve ses
prolongements jusque dans la vie quotidienne. Nous
sommes à l’ère
de la généralisation de la devise libérale : « Arbeit
macht frei ! ».
On
connaît tous de ces gens, de ces athlètes du travail, de ces
marathoniens de l’effort, de ces acharnés de l’activité, de ces
malades atteints d’un cancer du lucre, de ces accros de la
calculette, du téléphone et de l’ordinateur, de ces
stakhanovistes du capital, de ces fétichistes de l’action et des
bourses, de ces obsédés du rendement et de ces tueurs de coûts qui
s’agitent tellement qu’ils suent le « burnout ». Au
passage, je rappelle cette élégante expression coloniale :
« faire suer le burnous » qui exprimait finement qu’il
fallait faire crever de travail les Maghrébins, qu’il convenait
d’exploiter au maximum le personnel indigène. Paradoxalement, en
dépit de la disparition des colonies, cette loi d’airain est de
plus en plus appliquée là-bas dans le Sud, mais aussi, ici, aux
« nouveaux travailleurs » de notre ère de prospérité
déséquilibrée.
Il
faut reconnaître également que pour assurer la croissance
éternelle, ces messieurs s’appliquent à eux-mêmes ces tourments
jusqu’à s’y brûler les ailes et le reste. Précisément, en
angliche, « Burn out ». Un esprit espiègle y
entendrait : « Burnes out », traduction :
génitoires à sec, couilles plates et il ne se tromperait pas, me
susurre mon ami Jean, médecin de son état.
Ces
gens-là, Monsieur, se soignent à l’autoconviction, à
l’autoconditionnement : Je vais bien, je vais très bien,
disent-ils, et ils en meurent. Enfin, s’ils n’en meurent pas tous
tout de suite (et c’est bien dommage!), tous en sont frappés là
où disait l’esprit espiègle.
Le
travailleur de base (ancien ou nouveau), lui, fait moins de chichi.
Il maintient la façade, sous peine de perdre son emploi, mais il
sait qu’il est toujours éreinté par un travail qui dans le
meilleur des cas, l’indiffère et qu’à la vérité, la plupart
du temps, il déteste.
Et
puis, un jour, la bulle éclate et il crie la vérité : Je suis
mal, très mal. Ils me prennent pour un élément, pour une chose,
pour un rouage. Ici, il crie : « je ne suis pas un
élément, je ne suis pas une pièce d’auto, un morceau de
radiateur ».
C’est
le début d’une libération; elle commence par la dénonciation,
elle naît dans la haine et finit dans l’affirmation de soi, dans
la révélation de la conscience d’être un homme, dans l’idée
qu’il y va de la dignité, de la conscience et de la vie elle-même.
Alors,
s’achève le temps des plaît-il maître, ainsi finit le temps des
courbettes et de l’acceptation.
Du
coup, notre personnage va mieux, beaucoup mieux et le refrain soudain
devient vérité : il va très bien, benissimo. Mais c’est
encore une illusion, induite par la nécessité de donner une « bonne
image de soi », de développer un nouveau versant de la
« méthode Coué », où le placebo est remplacé par des
incantations. Là s’arrêtait la version ancienne ; elle s’y
arrêtait ironiquement, c’était évident.
Mais
il convient parfois de mettre des points sur des « i »
et de dire le « non-dit », le « sous-entendu »,
car il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre et on ne
voit que ce qu’on veut bien voir ou que ce qu’on veut ne pas se
dissimuler. À l’échelon de la personne, se pose alors une
question de santé mentale et surgit la nécessité de la vérité
regardée en face et de l’acte de libération. C’est la seule
voie possible de guérison.
Et
là, commence la révolte : « Non siamo più cose, ma
protagonisti ! » « Ne soyons plus des choses, mais
des protagonistes ! » ; c’est une sentence de
résistance énoncée par Carlo Levi dans le premier bulletin de la
Filef (Fédération internationale [italienne] des Travailleurs et de
leurs familles), dont il était le fondateur. Avec ce cri de révolte,
l’esclave prend le chemin de la résistance ; il ne le
quittera plus. Il redevient alors « Juste un homme ».
Peut-être,
un jour, au passage, au détour d’un sentier, près d’un étang
nommé Walden, rencontrera-t-il un promeneur ou une sorte de coureur
des bois, qui le confirmera dans sa nouvelle dignité d’homme
libre.
Ora
e sempre : Resistenza !
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
Très
bien ! Très bien !
Je
vais très bien !
Je
le dis ! Je le dis !
Je
le suis ! Je le suis !
Mais
ce n’est pas vrai,
Ce
n’est pas vrai !
Je
vais mal, très mal !
Je
suis normal !
Je
suis un élément ! Un bon élément !
Qu’ils
disent. En somme,
Bien
calculé : Un bon élément !
Au
lieu de dire homme,
D’user
du mot personne,
Ils
disent élément !
Pour
eux, on est une chose anodine,
Une
machine,
Un
radiateur,
Ou
un morceau de moteur.
Au
lieu d’hommes,
Ils
veulent des éléments.
Plus
des hommes,
Des
éléments, des documents,
Documents,
documents,
Plus
des hommes
Des
documents,
Des
documents,
Nous
sommes en somme,
Des
objets, des instruments,
Mais
plus des hommes,
Rien
que du néant.
Je
les hais, je les hais,
Ces
monstres !
Ces
monstres et leurs secrets,
Je
les hais !
Ce
sont de vrais monstres.
Je
les hais ! Je les hais !
Très
bien ! Très bien !
Je
vais très bien !
Je
le dis ! Je le dis !
Je
le suis ! Je le suis !
Très
bien ! Très bien !
Je
vais très bien !
Je
le dis ! Je le dis !
Je
le suis ! Je le suis !
Mais
ce n’est pas vrai,
Ce
n’est pas vrai !
Je
vais mal, très mal !
Très
mal ! Très mal !
C’est
normal,
Je
suis normal !
C’est
évident, en somme :
Je
ne suis plus un homme.
Je
suis un instrument,
Juste
un élément.
Pas
très bien ! Pas trop bien !
Je
ne vais pas trop bien !
Du
lundi au lundi !
Je
le dis ! Je le dis !
Très
mal ! Très mal !
Je
vais très mal !
Je
le sais ! Je le sens !
Je
le sens ! Je le ressens !
Ça
doit cesser !
Ça
doit changer !
Fini
d’accepter !
Fini
de m’incliner !
Je
redeviens un homme,
Seulement
un homme.
C’est
évident en somme :
J’ai
des bras, j’ai des mains,
Je
suis un être humain,
Juste
un homme !
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