lundi 28 août 2017

JE TE REMETS EN LIBERTÉ

JE TE REMETS EN LIBERTÉ

Version française– JE TE REMETS EN LIBERTÉ – Marco Valdo M.I. – 2017
d’après la version italienne (en italien courant) de Riccardo Venturi – In libertà ti lascio – 2017
de la chanson populaire milanaise du XIXe – Lombardo Milanese – « In libertà ti lascio »anonyme
Interprètes : Nanni Svampa, Enzo Jannacci



Piazza della Vetra vers 1900
(n'est-ce pas la Rina en manteau rouge ?)


Et
dit Nanni Svampa lui-même (in La mia morosa cara, Canti popolari milanesi e lombardi, Nuova Editrice, Lampi di Stampa, Milano 2007, 1a edizione 1981, p 148) : « Chanson parmi les plus belles et plus intenses concernant la « mala ». Le protagoniste, enfermé à San Vittore [grande et ancienne prison milanaise], revoit en rêve la scène au tribunal quand il a été condamné à vie. La protestation d’innocence revient souvent dans les chansons de prison des différentes régions d’Italie. Ici, il est intéressant remarquer le passage du dialecte à la langue dès qu’entre en scène le juge. Mais la conclusion tragique, le condamné la revit encore dans son dialecte : « mènell à San Vittór » (Emmenez-le à San Vittore). In libertà ti lascio est peut-être la chanson de « mala » la moins chantée et la moins trouvable dans les recueils. Même Frescura-Re [auteurs d’un recueil de chants milanais, ndr], qui ont compilé un recueil spécifiquement milanais, en citent seulement deux strophes dans l’introduction. Il faut cependant dire à propos de ce livre né en plein fascisme (1939) que toutes les chansons comportant l’un ou l’autre vers brûlants sont omises (comme celles de protestation sur les conditions de travail, par exemple). Imaginez celles sur la mala ! Certaines sont à peine citées, autres ignorées, puisqu’à ce moment, en Italie, il n’y avait ni délits ni délinquants, ni ghettos du milieu ! (La seule inoffensive « E con la cicca in bocca »« Et avec le mégot à la bouche » a eu l’honneur d’être insérée en totalité). » Le soussigné ajoute enfin ceci : malgré l’interprétation d’Enzo Jannacci et d’autres, cette chanson doit absolument tout à Nanni Svampa. [RV]


Dans le texte de la chanson, il est question de la Vetra. Riccardo Venturi y consacre une longue note que je repositionne en avant de la chanson et j’y ajoute un commentaire :
[1] Vetra : place historique de Milan (Piazza Vetra, ou Piazza Vetra de’Citadine), dans le quartier des Ticinese (Tessinois) et à brève distance, entre autres, de San Vittore. C’est la zone de la basilique de San Lorenzo et des Colonnes. Place Vetra était connue pour être une des places de la « ligera », le petit milieu milanais. Jusqu’au XIXe siècle, sur la Piazza Vetra, on exécutait même les condamnations à mort. À très peu à de distance de Piazza Vetra, en Giangiacomo Mora, s’élève même la célèbre Colonna Infame (Colonne Infâme – en fait, le pilori) ; à tout ceci, on ajoutera la proximité du Bottonuto, le quartier médiéval milanais (pratiquement collé à la place du Dôme) qui fut démoli à la fin du XIXe siècle. Nous sommes, en somme, dans un lieu hautement évocateur pour la ville de Milan et de son histoire populaire. La Place Vetra était connue même pour la présence de prostituées (voir, naturellement, La povera Rosetta) : si la femme du protagoniste de la chanson « specia sur la Vedra », la chose peut faire allusion à tout un certain monde. Le nom de la place Vetra peut être dérivé de Platea Vetera (« vieille place », mais la place est nommée pour la première fois dans un document du 1579), mais plus probablement des « vetraschi »,c’est-à-dire des tanneurs de peau, ainsi appelés parce qu’ils raclaient les peaux avec des morceaux de verres, ou bien d’un ancien cours d’eau de la zone, dit « Vepra ».

Petite note complémentaire : Si on retient, « vepra », il serait bien d’examiner l’hypothèse d’une place de la vêprée ou vesprée, où les gens se retrouvent le soir à la « vêprée » – la « passeggiata » de fin d’après-midi ou du soir. Cette vesprée de Ronsard :

Mignonne, allons voir si la rose
Qui se matin avoit déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil. »

(Pierre de Ronsard, À ma maîtresse, dans Odes, 1550-1552)

Et « si non è vero, è ben trovato », comme on dit dans nos régions où circule un curieux bilinguisme.

Mot pour mot, on lira les divers sens de poireauter dans le Trésor de la Langue française. Certains sont assez appropriés ; notamment quand notre condamné rêve à Rina avant de s’endormir. Comprends qui peut.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.


Enfermé dans ce nid à rats en compagnie des puces
Et des punaises qui ne me laissent pas dormir,
Qui ne me laissent pas dormir,

Je pense à ma femme qui poireaute à la Vetra [1].
Je rêve à elle le soir [et] je me plonge dans le sommeil,
Je me plonge dans le sommeil.

Et au tribunal, le président dit :
Jeune homme, il ne faut pas mentir mentir en vérité,
Mentir en vérité.

En vérité, la vérité, je l’ai dite : moi, je ne sais rien.
Je vous prie président de me remettre en liberté,
Me remettre en liberté.

En liberté, je te remets, les mains menottées,
Les portes bien fermées, emmenez-le à San Vittore,
Emmenez-le à San Vittore.

Et si la Rina sait que je suis condamné,
Elle donnerait sa vie pour me donner ma liberté,
Pour me donner ma liberté.


Je suis condamné à vie enfermé à San Vittore.
Je compterai les heures et les jours passeront
Et les jours passeront.

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