GIORDANO BRUNO
Version
française – GIORDANO BRUNO – Marco Valdo M.I. – 2017
les lointaines vapeurs De son frère, ce volcan napolitain Qui illuminait mes peurs. |
Giordano
Bruno est assurément un personnage fascinant, on
en avait déjà parlé dans une autre chanson italienne qui portait
le même
titre .
Mais
il me semble, Lucien l’âne mon ami que tu l’avais en son temps
rencontré, si ma mémoire ne me trompe pas.
Certes,
Marco Valdo M.I. mon ami, tu as raison sur toute la ligne ;
c’est quasiment un sans-faute. J’ai, en effet, rencontré le
Nolan sur les routes de ses exils d’abord quand il fut de Naples
vers Rome et quand il fut de Rome vers Venise ; nous avons longé
ensemble les Apennins, puis de Ligurie en Piémont, revenant dans la
Plaine padane, on s’en fut à Venise. Déjà à ce moment, Bruno
avait rejeté l’habit de Dominique. Plus tard, il fit un tour
d’Europe : on le vit à Chambéry, à Genève, à Lyon, à
Toulouse, à Paris, à Londres, à Oxford, à Wittenberg, à
Francfort, à Zurich. Il bougeait beaucoup et comme tu peux le voir à
la lecture, il fréquenta des lieux suspects d’hérésie. C’était
curiosité du monde, comme il me le disait lui-même lors de ces
interminables marches où je l’accompagnais. Finalement, il commit
l’erreur fatale de rentrer en Italie.
Fatale,
dit Marco Valdo M.I., et naïve, pour ne pas dire, téméraire, car
il avait sous-estimé la hargne et la vindicte de l’Église et de
la Papauté. Il s’était cru hors d’atteinte à Venise, mais la
République, où déjà la raison d’État étouffait la raison, le
remit aux sbires du Pape. Une fois entre leurs serres, il était
perdu. L’Église clamant sa magnanimité et sa clémence, essaya de
le faire revenir sur ses opinions, de désavouer sa libre pensée –
trop spéculative, trop scientifique et trop sujette à l’immanence
pour les gardiens des dogmes. Imagine, Lucien l’âne mon ami, que
ce penseur avait jeté aux orties la cosmologie de Ptolémée et la
Terre, comme centre du monde, qu’il avait adopté la cosmologie de
Copernic en faisant de la même Terre un simple planète de l’astre
solaire et il avait poussé au-delà des conclusions de Copernic. Le
pire, c’est qu’il l’enseignait et qu’il l’écrivait.
L’eût-il gardé pour lui, le pape aurait pu faire semblant de ne
pas le savoir et de l’oublier. Mais il avait une conception du
monde qui voyait l’Infini, l’Univers et les Mondes – toutes
choses indicibles ; il voyait d’innombrables soleils, un monde
infini de Terres, un espace qui s’étendait où le ciel en tant que
tel n’existait plus. Le Ciel, il mettait le ciel hors-jeu et ajoute
à tout ça qu’il envisageait sans frémir d’autres mondes
habités, mieux ou pires que le nôtre, avec des êtres, mieux ou
pires que nous. Tout ça soulevait des questions subsidiaires :
quid de la Création ? Et des récits sacrés ?, dont la
réponse était redoutable. Et puis, sans doute pire encore, il
donnait le primat à l’intellect, à la raison, à l’intelligence
sur la croyance et la foi. Décidément, si j’avais été Pape,
j’aurais décrété que cet hérétique était vraiment
impardonnable.
Pour
moi, Marco Valdo M.I., mon ami, comme tu le sais et je suis persuadé
que c’est ton cas pareillement, je me tamponne le coquillard de ce
que pense ou ne pense pas tel Dieu ou telle Église ou tel ou tel
prélat et tant qu’il garde ses ruminations pour lui, grand bien
lui fasse. La seule chose que je relève dans cette histoire de Bruno
est cette incroyable malveillance qui a frappé – au travers de
Bruno – la libre pensée, la liberté de pensée et le libre
discours. Ce qui me révulse, c’est la chape de plomb que les
religions et les religieux font peser sur le monde et les vivants.
C’est là un des aspects de la Guerre
de Cent Mille Ans qu’on oublie un peu trop souvent de
souligner.
Je
te rejoins totalement sur ce point, Lucien l’âne mon ami. La
question est pourquoi, pour quelles raisons veulent-ils étouffer la
liberté de penser, la libre pensée ? À mon sens, si on veut
la supprimer, l’éradiquer, et cela dans tous les domaines, c’est
tout simplement, car elle est le premier révélateur de l’iniquité
du monde ; c’est tout simplement, car elle est le moyen par le
quel on découvre et on comprend comment et pourquoi les riches font
la guerre aux pauvres. Et comprendre ça, c’est commencer à se
révolter et à s’appliquer à ne plus accepter le monde tel qu’il
est, tel que les riches et les puissants aimeraient qu’il soit et
qu’il reste.
Et,
justement, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est ce que toi et moi, nous
nous efforçons de faire en tissant le linceul de ce vieux monde
cupide, avide, ambitieux, mortel, crédule et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Par les Mondes des ciels infinis ,
Par les Terres infinies, j’ai traversé
Au pas de course ma vie
Cherchant cette sérénité que j’ai esquivée.
Des villes qui renaissaient de signes,
De flammes que l’esprit fomentait
Que des hommes crucifiés, impies et indignes,
dans le dogme, la pensée il emprisonnait,
Et mes mots comme un pari
Qu’on ne peut plus remanger, une fois dit.
Une marque sur ma peau dénonce
Les jours de prisons qu’ici, je décompte.
Puis, il y eut Venise et la lagune calme,
Qui me piégea comme un rat
Entre les épices et la soie.
Après, ce fut un tonnerre qui éclate.
Comme un éclair éclatant, pourtant ce sont huit ans,
Ce furent huit ans, qui en valaient cent
Et ils me demandaient compte de mes boniments ;
Mais quand je parle, jamais je ne mens.
Campo dei Fiori, Champ des fleurs, on dirait un jour de fête,
Un champ de flammes où mes cris se sont tus.
Je ne pense pas à ce que je laisse ou à ce qui reste,
Je ne demande pas ce que pense qui me tue.
Je ne pense pas à cette croix que j’ai devant moi,
Tandis que mon corps cuit et mon gras coule,
Comme cela arriva à d’autres, à tant d’autres,
Qui, comme moi, avaient fauté par la parole.
Mercure me vole de son aile,
Revient ma pensée au léger vent
De la montagne au nom de Cigale,
Qui, enfant, m’ombrageait quand
Tendant le doux raisin à ma main,
Elle m’indiquait les lointaines vapeurs
De son frère, ce volcan napolitain
Qui illuminait mes peurs.
Montagne de feu, tas de braises
Et laisse-moi froid, et la Cigale enserre
Mes derniers baisers à ta pierre
Alors que me vole l’aile de Mercure.
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