Version
française –
ABÉCÉDAIRE DU PRÉCAIRE – Marco
Valdo
M.I. – 2017
Chanson
italienne – Filastrocca
del precario – Disabilié
– 2015
Texte et musique : Stefano Onnis
La comptine du précaire est une chanson, inspirée d’une comptine populaire d’origine toscane.
Comme
celle-ci , il emploie les lettres de l'alphabet pour jouer avec
les mots et endormir un enfant, l’idée est de renverser
complètement cette image à partir du fait que tous les mots liés à
l’actuelle condition de précarité ouvrière n’ont vraiment rien
à voir avec la « bonne nuit et les rêves d’or »…
Dialogue
maïeutique :
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une chanson qui est une comptine,
c’est-à-dire une de ces chansons qu’on chante aux enfants avant
qu’ils s’endorment et même, pour qu’ils s’endorment. Ce sont
des chansons qui racontent de jolies histoires, question d’apaiser
l’esprit agité du bambin.
Oh,
dit Lucien l’âne, des comptines, des litanies, des ritournelles,
des cantilènes, des lallations, j’en ai entendu tant et tant ;
j’ai été jusqu’à en accompagner de braiments harmonieux.
Depuis le temps qu’on me colle dans les crèches, comme si je
n’avais que ça à faire au cœur de l’hiver.
D’accord,
Lucien l’âne mon ami, ne t’emballe pas comme ça. Je précisais
les choses, car justement, cette comptine-ci ne fonctionne pas comme
ça. C’est, si tu veux, une anti-comptine, une comptine à rebours.
C’est une chanson réaliste, dure, construite sur le modèle d’une
comptine, elle-même bâtie sur le schéma de l’alphabet. Comme
l’alphabet scout, mais de façon différente cependant, car
l’alphabet scout…
Celui-là
aussi, je le connais, Marco Valdo M.I. mon ami. Pour la raison, que
j’ai souvent pâturé près de leur camp à ces bruyants enfants.
Je te chante le début :
« Un
jour, la troupe campa
A,
A, A.
La
pluie se mit à tomber
B,B,B…. »
Arrête-toi
là, on a compris, s’écrie Marco Valdo M.I. C’est bien celle-là,
c’est bien cet alphabet, dont tu remarqueras qu’il utilise la
lettre en répétition pour faire la rime. C’est exactement
l’inverse dans cette comptine italienne. La lettre sert d’initiale
au mot-clé – appelons-le ainsi – de référence.
On
a donc – dans ma version française : A : annonce ;
b : Bien ; C : Contrat ; D : Désolation ;
E : Expérience ; F : Flexibilité ; G :
Gens ; H : Homme ; I : inerte ; J :
Jeu ; K : Kafka ; L : Lamentable ; M :
Mort blanche ; N : Nouvelle tragédie ; O :
ouvrier ; P : Précaire ; Q : Quantité ;
R : Réforme ; S : Suppression ; T :
Terrible ; U : Unité perdue ; V : Vilaine
histoire ; X : Plus rien de fiXe ; Z : Zéro.
Ce
qui, comme tu le vois, n’est pas vraiment un vocabulaire enfantin.
C’est
aussi la raison pour laquelle je l’ai intitulée « ABÉCÉDAIRE
DU PRÉCAIRE » et non, comptine. Même si aujourd’hui,
nombreux sont les enfants qui n’ignorent rien de la situation
absurde dans laquelle on maintient leur père, leur mère ou les
deux.
Je
vois, je vois, dit Lucien l’âne. Alors, voyons-le
ton abécédaire qui m’a l’air de
raconter un épisode de la Guerre
de Cent Mille Ans que
les riches font aux pauvres afin d’accroître leurs richesses, de
renforcer leur domination, d’instaurer la peur au cœur des gens et
d’assurer ainsi leur obéissance et leur soumission. Quant à nous,
reprenons notre travail et tissons le linceul de ce vieux monde
avide, exploiteur, dominateur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
A :
annonce de travail dans un journal
B :
bien : tout ira bien, ne pas penser, c’est vital
C :
contrat à durée limitée, C.D.D.
Un projet de trois mois, qui peut-être sera renouvelé.
Un projet de trois mois, qui peut-être sera renouvelé.
D :
Désolation, on ne le renouvelle pas
Rien
ne change, c’est toujours comme ça
E :
Expérience, enthousiasme, et cetera
F :
Flexibilité, nous voilà ! Il faut signer, sinon quoi ?
G :
Tant de gens sont au chômage
H :
Un homme couché au pied d’un échafaudage
I :
Inerte, immobile. Arrive l’ambulance.
J :
Jeu de sirène ; ç’aurait pu être plus grave.
K :
C’est le monde de Kafka.
L :
Lamentable : travail au noir sous-payé
M :
Mort blanche, danger !
N :
Nouvelle tragédie d’une vie, événement banal ;
Pas
d’article dans le journal.
O :
Ouvrier, autrefois, héros du travail adulé
P :
Précaire au call-center, aujourd’hui méprisé.
Q :
Quelle quantité de frais, il doit encore supporter :
Pas
de congés de maladie, pas de vacances, sans jamais protester.
R :
Réforme du travail, au boulot sans trêve :
S :
Suppression du droit de grève,
T :
Terrible : Toutes les luttes syndicales
Se
perdent dans l’indifférence générale.
U :
Unité perdue, triste destin ;
V :
Vilaine histoire, triste fin.
X :
X, on n’a plus rien de fixe.
Z :
Finalement, on compte pour zéro.
Alors,
je vais me coucher tôt
Sous
les couvertures, tous les mots
Font
un joli rêve et un beau contrat tout chaud.
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