jeudi 29 septembre 2016

TROC-BROC


TROC-BROC

Version française- TROC-BROC – Marco Valdo M.I. - 2016
Chanson allemandeTausch-RauschDie Hinterbliebenen1946







Une chanson de Heinz Hartwig pour le Reisekabarett, le cabaret itinérant “Die Hinterbliebenen” – « Les Survivants ».
« Die Hinterbliebenen » a été un groupe d’artistes allemands agressifs, féroces et des irrévérencieux qui entre 1946 et 1949 décrivirent sans aucune retenue, l’Allemagne sortie en ruines de la guerre. En plus d’Heinz Hartwig, journaliste et écrivain satirique berlinois, « Die Hinterbliebenen » comptaient parmi eux l’acteur viennois Roman Sporer et le réalisateur Hans Albert Schewe, auquel s’ajouta ensuite Gerhart Herrmann Mostar à sa rentrée de son exil en Yougoslavie :

« C’est nous les survivants,
De partout nous sommes .
Nous poursuivons l’art libre
Que nous cherchons de tous côtés.
Nous cherchons à apprendre
Le grand art de penser ! »

Die Hinterbliebenen (« Les Survivants ») s’arrêtaient partout où il y avait un local disponible ; ils se considéraient comme la voix du peuple, les juges de leur temps, en somme une sorte de Pasquino (personnage romain imaginaire incarné dans une statue antique, qui a comme mission de dénoncer les abus et les travers du pouvoir – à l’origine, pontifical) de l’époque.
Les chansons de Hartwig et de Mostar ne s’arrêtaient devant rien, allaient avec leurs vers ironiques droit au cœur du problème : Hitler et le nazisme, avec toutes leurs tragiques implications, n’étaient pas tabous ; il n’y avait alors même pas un phénomène pressant comme celui du néonazisme qui, paradoxalement, serpentait déjà au travers de l’Allemagne quand l’écho de la guerre n’était pas encore pas éteint !

La faim était toujours un sujet à l’ordre du jour au « Reisekabarett » (cabaret itinérant) de cette première année de l’après-guerre. Dans un hiver où le froid avait atteint des records jamais vus, on donnait son âme pour un peu de nourriture, on faisait n’importe quoi pour se procurer les produits de première nécessité. Elle envahissait dans toute l’Allemagne le Tausch Rausch, « La fièvre du troc », titre de cette chanson hilarante de Heinz Hartwig :


Offre belle-mère apoplectique
Contre beurre bien frais,
Rouleau papier hygiénique
Contre vers bien faits.
Reichstag hors service
Contre Parlement,
Führer contre Président.
Zone russe contre angliche.
Femme arienne contre sémite,
Bavaroise contre prussienne,
Chemise brune contre caleçon.
Et en somme, résumons :
Troque le monde qui ne tourne pas
Contre un billet pour l’enfer.
Ô Dieu, aide-nous toi !
Change tout, même nous,
Car nous vivons comme des fous.

Introduction tirée de « Kabarett ! Satire, politique et culture allemande en scène de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, LIT Éditions 2015 (je dois dire que dans ce livre, fort précieux et intéressant, souvent et volontiers sont présentées des traductions très libres sans la possibilité de confronter les avec les textes des originaux. Même dans le cas de ce « Tausch Rausch » la traduction (italienne) correspond seulement en partie au texte original de la source citée… Peut-être, il n’en existait plus de versions improvisées… Je ne sais pas… ndr)

(Commentaire italien)

Dialogue maïeutique

Mon ami Lucien l’âne, je suis placé devant un problème pour lequel je vais solliciter à l’instant ton avis. Pour ce faire, j’ai pris la peine de traduire le commentaire italien afin que tu en aies connaissance, car il me faut le commenter afin d’introduire valablement ma version française.

Marco Valdo M.I. mon ami, je veux bien répondre à toutes tes questions et interrogations, même si – comme je le pense par avance cette fois – tu pourrais te passer joyeusement de mon avis et de tout avis généralement quelconque.

Ce n’est pas qu’il y ait beaucoup de réticences de ma part vis-à-vis de ce qu’a dit le commentateur italien ; bien au contraire, il situe assez bien les choses et je n’aurai donc qu’à ajouter à ses propos. D’abord et avant d’aller au fait, je voudrais insister sur cette période de l’immédiat après-guerre en Allemagne, car on a du mal à s’imaginer la chose aujourd’hui, on a du mal à concevoir l’Allemagne comme un pays en ruines, plongée dans le chaos (pour la seconde fois en un demi-siècle), la population masculine décimée par la guerre, la famine, le dénuement généralisé, à tout cela venant s’ajouter l’occupation et l’emprisonnement de millions de gens soupçonnés à raison souvent, parfois à tort de collusion avec le nazisme. Il s’agissait de faire le tri ; on les relâcha après enquête, mais il a fallu du temps pour tirer toutes les conclusions du fameux « questionnaire » – 250 questions, auquel chacun de ces prisonniers était prié de répondre intégralement. Tel est le décor sur le fond duquel va se déployer l’art de ces comédiens itinérants.

Ce n’était d’ailleurs pas là un phénomène nouveau que ces troupes itinérantes ; c’était la renaissance d’une tradition assez ancienne. J’en ai souvent accompagné moi-même déjà dans l’antiquité, quand j’accompagnais Thespis, quand je courais sur les franges des trois continents. Puis, au Moyen-Âge quand je courais l’Europe à la suite de Till, avec les petites troupes en chariot comme celle de Molière du temps où il ne l’était pas encore, puis avec Fracasse.

D’ailleurs, Lucien l’âne mon ami, que faisons-nous d’autre que ce que faisait le grand Lope de Ruega, dont Cervantès lui-même disait le plus grand bien. Écoute ceci, qu’on m’a rapporté : « Aux temps de ce célèbre espagnol, tous les effets de mise en scène d’un auteur de comédie tenaient dans un sac, et se résumaient à peu près à quatre pelisses blanches garnies de pièces de cuir doré et de quatre barbes et perruques ainsi que quatre houppettes. Les comédies étaient des discussions, comme églogues, entre deux ou trois bergers et une bergère ; on les ornait et dilatait de deux ou trois intermèdes » C’est assez proche de nos dialogues.

Comme si je l’ignorais, Marco Valdo M.I. mon ami. Je le sais aussi bien que toi que nous sommes des marionnettes ou des comédiens et qu’il nous faut tout juste jouer notre rôle. Et c’est bien ainsi, d’ailleurs. Mais, fin de parenthèse et revenons à cette histoire de troc.

Donc, Lucien l’âne mon mai, dans ce décor lugubre, fait de ruines, de froid et de faim, une troupe de comédiens, aussi affamés que le reste de la population, se propose de troquer tout ce qu’ils ont, c’est-à-dire une fois encore, tout ce que l’Allemagne, les gens d’Allemagne ont contre du comestible ou du confortable. Mais l’histoire commence par une justification de cette pénible obligation de liquidation générale des gloires nationales et de retour dans la dérision de l’Allemagne préhistorique de Neandertal, telle qu’elle était mythifiée par l’antrustion d’Hitler, le dénommé Alfred Rosenberg, le grand théoricien de la race aryenne. Pour le reste, tout me paraît clair.

Alors, sourit Lucien l’âne, reprenons notre tâche et tissons, comme d’honnêtes canuts, le linceul de ce vieux monde plein de guerres, de tueurs, de faim, de froid, chaotique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



On était encore des cannibales
Et
des hommes préhistoriques de Neandertal.
L’argent liquide
n’était pas encore en usage,
On
troquaitet ça allait pas mal.
Alors Adolf est venu en trench brun,
On
eut là un surhomme.
On a eu de l’argen
t en espèces et en chèques
Et on a obtenu
de la saleté en échange.
Quand l’Adolf est tombé, l’argent
aussi a chuté :
Tout va ainsi dans le monde.
Et aujourd’hui, on
troque à nouveau,
Comme au temps de Neandertal.

Des cols de caoutchouc lavables
Contre des landaus
pour jumeaux
Donne authentique Titien
Contre bouteille de
vin du Rhin

Zone entière à troquer
Contre grain de café.

Offre antrustion Rosenberg véritable
Contre nain de jardin agréable.

Échange grands
dirigeants
Contre dix étudiants
bruyants.

Insigne Hermann Göring en dentelles
Contre
ruban arbre de Noël.

Cherche petit magasin open
Offre le Berghof-Berchtesgarden.

Dame sans enfant
Contre meilleur passe-temps.
Souci de Mamy
Cherche ami ricain, offre nazi

Offre un billet de tram
Contre deux billets de théâtre.

À celui qui a le cœur meurtri,
Offre mon insigne de parti.

Troque une chansonnette
Contre
un rouleau de papier toilette.

Troque
Reichstag contre Parlement
Führer contre Président.
Chemise brune contre pagne
Ou grand
s discours
Contre messages courts.

Encore aujourd’hui et sans tarder,
Troque monde entier,
Qui ne me plaît plus guère,
Contre un
billet pour l’enfer.
Cher dieu, nous te prions en personne,
Troque-nous contre nous-mêmes.

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