LATRINES
Version
française – LATRINES – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Latrine
– Günter
Eich – 1946
La
description détaillée, obsédante, révoltante des latrines d'un
camp de prisonniers allié plein de soldats allemands – l’auteur
y a passé beaucoup de temps avant de retrouver la liberté – se
réfère une citation de la poésie Andenken de grand Friedrich
Hölderlin… S'agripper au beau pour ne pas tomber dans le macabre ?
C’est possible, toutefois dans le troisième quatrain, Günter Eich
fit rimer « Hölderlin » avec « Urin »,
déclenchant un scandale parmi ses contemporains… Qui sait si un
des poètes plus aimés des nazis (Hölderlin) – abusé, malgré
lui – n'était-il par contre rendu à la réalité pénible et
difficile de l'Allemagne dans son « Année Zéro » ?
« Latrine »
– avec « Inventur » – est une des œuvres les plus
connues et représentatives de la « Trümmerliteratur »,
la littérature des décombres, en Allemagne de l'immédiate
après-guerre.
Dialogue
maïeutique
Cher
ami Lucien l’âne, je sais, je sais, oui, je le sais qu’il peut
paraître bizarre que je t’appelle toujours Lucien l’âne et non
pas, tout simplement Lucien. Je précise tout de suite que je vais
continuer à le faire et que je trouverais malvenu de ne pas le
faire, tout simplement parce que précisément, tu es un âne et
qu’il peut paraître bizarre et même, inconvenant à certains
d’appeler un âne son ami et de deviser maïeutiquement avec lui.
Maïeutiquement, c’est-à-dire à la manière de Socrate et de ses
interlocuteurs. Cela dit, on en tirera les conclusions qu’on
voudra, je ne suis pas ici pour nous interpréter. Nous commentons
tout le reste et c’est bien suffisant.
Merci
bien, dit Lucien l’âne en soulignant son remerciement d’une
petite génuflexion ironique. Cela dit, moi qui ai vécu toutes ces
époques, je peux te dire que cette démarche est singulière, même
si tu ne t’en aperçois pas.
Oh,
dit Marco Valdo M.I., la chanson aussi est singulière : d’abord
par son titre et son sujet qui aurait pu être terriblement trivial,
si cette trivialité n’avait été contredite immédiatement par la
mise en cause d’Hölderlin ou à tout le moins, de l’Höderlin
tel qu’il était considéré par les gens du régime défunt ;
autrement dit, le fait que les nazis avaient classé Hölderlin parmi
leurs auteurs de référence et l’avaient réédité intégralement
et en grandes pompes – je rappelle qu’Hölderlin était mort en
1843 au terme de trente-six ans de démence. Les nazis avaient ainsi
placé l’écrivain et son œuvre en position de cible potentielle.
Et c’est précisément ce qui se passe dans cette chanson, qui s’en
prend à la figure d’Hölderlin et à certains de ses vers. Mais à
mon sens, là n’est pas l’essentiel. Cette histoire d’Hölderlin,
parodié très efficacement, est un point d’appui pour tout autre
chose. Un tout autre chose qui ne s’est révélé que bien plus
tard quand on a commencé à se rendre compte de ce que je m’apprête
à t’exposer.
Attends,
attends, un instant que je reprenne mes esprits. Jusqu’ici en gros,
tu ne m’as parlé que d’Hölderlin et tu m’affirmes maintenant
que ce n’est pas l’essentiel. Mais alors, dis-le moi cet
essentiel.
D’abord,
pour aller vite, ce sont les latrines qui sont l’essentiel, en ce
qu’elles représentent exactement la situation dans laquelle se
retrouve la population allemande en cette année 1946 : très
exactement dans la merde et tout le monde ou presque le disait comme
ça. La chanson le dit « poétiquement » en parodiant le
« grand poète » et en usant d’un de ses textes les
plus connus pour construire ces latrines. Ainsi faisant, jetant à
bas les idoles – Hölderlin et le Reich de Mille Ans, Günter Eich
pose les bases d’une nouvelle poésie allemande et d’une nouvelle
littérature d’après le désastre, ainsi que le font ceux du
Gruppe 47, dont je t’ai déjà touché un mot. Une littérature qui
repart du plus bas, qui naît des ruines et dans les ruines ;
une littérature qui s’est conçue dans les latrines de l’histoire.
Cela dit, le texte de Günter Eich est à la mesure de cette
ambition. Mais comme tu le sais, je n’analyse jamais la poésie ;
je ne l’explicite jamais ; elle est assez grande pour le faire
elle-même.
Et
je partage tout à fait ton point de vue, il n’est pas de notre
compétence d’équarrir, de décortiquer et d’autopsier les
poètes. Nous, on cause ; et on s’appliquerait volontiers
l’antienne de Laverdure qui disait « Tu causes, tu causes,
c’est tout ce que tu sais faire. » Cela dit, reprenons notre
tâche et tissons le linceul de ce vieux monde merdeux, merdique,
merdicole, merdifère et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sur
le fossé puant,
Plein de papiers, d’urine et de sang ,
Les mouches tournoient bourdonnant,
Je m'accroupis fesses au vent,
Plein de papiers, d’urine et de sang ,
Les mouches tournoient bourdonnant,
Je m'accroupis fesses au vent,
L’oeil sur les rives boisées,
Des Jardins, une barque échouée.
Dans la boue, putréfiées,
Sèchent les fèces pétrifiées
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