lundi 26 septembre 2016

CHANSON DE L’ATTENTE

CHANSON DE L’ATTENTE


Version française – CHANSON DE L’ATTENTE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Lied vom WartenErich Kästner – 1947



Une chanson qu’Erich Kästner présenta au Cabaret Schaubude à Munich en 1947, interprétée par Ursula Herking.

Lorsque l’Allemagne, en décombres, devint une énorme salle d’attente de gare, avec millions de femmes qui espéraient le retour de leurs hommes prisonniers… Le nombre de soldats allemands prisonniers des Alliés et des Soviétiques à la fin de la seconde guerre mondiale est controversé. Encore plus controversé est le nombre de ceux qui moururent en captivité, mais furent indiscutablement très nombreux ceux qui ne revinrent jamais.

Tu vois, Lucien l’âne mon ami, c’est une chanson extraordinaire et elle l’est forcément, vu les circonstances. L’homme qui l’écrit, la chose est essentielle à comprendre, n’est pas prisonnier, ne l’a pas été ni par les Soviétiques, ni par les Alliés. Et pour cause, puisque Erich Kästner avait été du début à la fin un ennemi affirmé du régime nazi et cela se savait. Opposé aux nazis et vivant en Allemagne, il avait subi la Gestapo et ses humiliantes séances d’interrogations, on avait brûlé ses livres en place publique, on l’avait insulté, on l’avait malmené. Il faut avoir ça en tête pour bien comprendre toute la portée de sa chanson : Erich Kästner ne peut en aucun cas être suspecté de complaisance envers les nazis et pour comprendre ce que je vais dire, moi qui suis fils de résistant mort des suites des tortures infligées par les nazis allemands.

J’entends tout cela, Marco Valdo M.I. mon ami. Je le savais, évidemment, mais je pense bien que ce rappel ici était nécessaire et j’imagine pourquoi. Mais je te le laisse dire toi-même, car j’en vois bien toute l’importance.

Comme tu le comprends, Lucien l’âne mon ami, la chose est délicate et il me faut avancer sur l’extrême pointe des pieds. D’un côté, je n’ai aucunement l’intention de faire le moindre cadeau aux crapules nazies, ni leur pardonner quoi que ce soit : c’étaient des crapules odieuses et il fallait assurément s’en débarrasser, les mettre hors d’état de nuire et disons le mot, au besoin et il y avait ce besoin, les assassiner, les pendre, les décapiter ou les tenir en prison jusqu’à ce que mort s’ensuive – je pense même que c’eût été la meilleure solution ; ils auraient eu le temps de se morfondre ; en fait, la mort était un cadeau qu’on leur faisait.

À mon sens, dit Lucien l’âne en pointant ses deux oreilles vers l’avant, les garder à vivre avec eux-mêmes me paraît être la meilleure manière de régler ce dilemme. Bien sûr, cela nécessitait de leur rappeler chaque jour leur indignité et ce pourquoi on les tenait là. Voilà pour cette engeance.
Mais pour les autres, pour ceux qu’ils emmenèrent jusqu’au plus profond de l’ignominie, ceux qu’ils forcèrent à tuer, ceux qu’ils forcèrent à massacrer, ceux qu’ils rabaissèrent à leur niveau (par l’usage de la terreur, du mensonge, du chantage, de la nécessité quotidienne), je suis plus circonspect.


C’est d’ailleurs ce qu’ont découvert les juges et les responsables politiques d’après guerre. On ne peut condamner tout un peuple ou presque ; on ne peut le tenir en prison ou dans les camps ; cela ne peut se faire longtemps. C’est d’une certaine façon injuste, car il s’agit d’une punition collective excessive et d’autre part, c’est impraticable. Alors, pour ceux-là, dont l’engagement et la responsabilité dans la mésaventure nazie étaient réduits, une certaine mansuétude a été considérée possible et selon les cas, au cas par cas, une amnistie s’est imposée.
C’est la base morale sur laquelle se fonde la chanson d’Erich Kästner. Mais cela a pris du temps. Et comme tu le verras, deux ans sont déjà passés et des millions d’hommes sont encore dans les camps. Cela tenait à la difficulté de faire le tri, de débusquer les vrais nazis, afin de pouvoir laisser les autres retourner à une vie civile et civilisée. Pendant ce temps, les femmes – qui souvent savaient à quoi s’en tenir, mais je te l’accorde pas toujours – attendaient le retour de leur homme avec plus ou moins de bonne conscience. Deux ans de camp, qui viennent après des années de guerre, c’est long. Voilà ce que raconte cette chanson, une sorte de supplique des femmes allemandes.
Il me reste à insister sur le fait que cette chanson est conçue dans le cadre d’un cabaret littéraire et par conséquent, politique et qu’elle vise à relayer directement le message des femmes face aux autorités et à la communauté internationale.


Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami, regardons cette chanson, lisons-la, écoutons-la et puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde toujours compliqué, pitoyable, mortel et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


En mai, ça fera deux ans passés
Que mon homme est prisonnier.
Il est en prison et moi, je suis en liberté.
L’espoir nous a oubliés.

L’espoir a passé son tour.
La même blême angoisse de l’attente
Se pose partout comme un vautour
Et nous tient dans ses serres.

Dans les villes brumeuses, dans les vallées lointaines,
Toute l’Allemagne est une salle d’attente
Où millions de femmes,
Nous nous demandons muettes,
Quand le monde en pitié nous prendra.
Renvoyez-nous les donc à la maison.
Renvoyez-nous les enfin la maison,
Qu’on les prenne dans nos bras.



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