Version française – LA JEUNESSE A LA PAROLE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Die Jugend hat das Wort – Erich
Kästner – 1946
Chanson
d'Erich Kästner, interprétée par Petra Unkel (1925-vivante ?),
chanteuse et actrice allemande d'origine hongroise), qui dans
l'immédiat après-guerre, la présentait régulièrement au cabaret
Schaubude (Petit Théâtre) de Munich en Bavière.
Une véhémente attaque d'Erich Kästner contre la génération des pères, responsable de la venue au pouvoir de Hitler…
Dialogue
maïeutique
M’est
avis, Lucien l’âne mon ami, que tu vas apprécier cette chanson,
toi qui restes sempiternellement jeune homme, même si avec le temps,
tu es devenu un vieil âne.
C’est
tout l’art d’être un âne d’or, Marco Valdo M.I. mon ami, dit
Lucien en souriant. D’ailleurs, comme tu le remarques, j’ai
depuis longtemps fait le choix d’être un âne millénaire et de
rester un jeune homme de vingt ans. Pour cela, il m’a suffi
d’éviter soigneusement de manger les roses trémières. Voilà qui
est dit, mais à propos pourquoi donc tu me parles subitement de mon
âge ou plus exactement, de mes deux âges ? Serait-ce à cause
de la chanson ?
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami, sinon pourquoi le ferais-je ?
Donc la chanson ! C’est une chanson de notre bien-aimé Erich
Kästner, dont c’est à chaque fois un plaisir de traduire les
textes, même si ce n’est pas vraiment facile. Et je t’avoue
qu’au fond de moi, j’ai une voix qui dit, et tant mieux s’il
faut y mettre plus de réflexion, s’il faut y apporter plus de
temps. Mais crois-moi, Lucien l’âne mon ami, et sur parole, que
nous avons une chance insigne de pouvoir mettre en langue française
et avec une splendide liberté des gens comme Kästner, Gilbert,
Mehring, Mühsam, Tucholsky (etc), Erika Mann, Brecht et plein
d’autres. C’est un réel bonheur. Et cela, Lucien l’âne mon
ami, n’a été possible que parce que certains ont eu la bonne idée
de faire les Chansons contre la Guerre et de continuer à les faire.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, comme tu as raison et je ne peux que
t’encourager à le dire et à le redire.
Au
risque de me répéter et de te lasser, j’ajouterais que ce n’est
pas seulement une idée, ce n’est pas seulement la possibilité
d’insérer nos versions françaises, nos commentaires, nos
dialogues, mais c’est surtout cette immense collection de chansons,
mais c’est aussi cette équipe qui vous accueille et qui vous prend
par la main pour vous aider à passer le pont.
Comme
cette déclaration de bonheur me fait plaisir, dit Lucien l’âne
tout sourire, car il vaut beaucoup mieux gagner du bonheur que de
l’argent. On y perd moins de vie et de vitalité ; au
contraire, on les repeuple de mille joies. Mais finalement, cette
chanson d’Erich Kästner, comment s’intitule-t-elle et que
raconte-t-elle ?
Commençons
donc par son titre et même par le situer dans son contexte, dans son
temps. Elle s’intitule en allemand : « Die Jugend hat
das Wort » et dès lors, en français : « La
Jeunesse a la parole ». Erich Kästner écrit ce texte en 1946,
juste à la sortie de la guerre et de la période nazie, un moment où
en Allemagne, la situation est chaotique. C’est un pays occupé,
divisé, peuplé de Trizonéziens, fourmillant de nazis en voie de
dénazification dans un pays où les tenants des nazis ont subitement
disparu alors que la veille encore, ils étaient la très grande
majorité de la population, un pays où quand même une grande partie
des hommes sont soit morts ou très abîmés physiquement ou
moralement, soit en train de revenir d’exil, soit dans des camps de
prisonniers quand ils sont reconnus comme nazis ou proches des nazis.
Ce chaos durera encore quelques années et sans doute, une bonne part
de ces prisonniers soupçonnés de nazisme aigu seront libérés.
Parmi
ceux-là, il y a certainement aussi des jeunes, mais la parabole de
Kästner ne parle pas de tel ou tel jeune, ni des jeunes, mais d’une
sorte d’entité particulière appelée la « jeunesse ».
C’est subtil, mais la « jeunesse » ne saurait être
confondue avec les jeunes réels, avec des personnes d’un âge qui
ne soit pas considéré comme « âgé ». À partir de
quel moment, on cesse d’être jeune ? Et est-ce vraiment le
propos de Kästner, l’âge ? N’est-ce pas plutôt une sorte
de catégorie sociale, porteuse d’un renouveau, cette jeunesse. Et
parmi les jeunes qui vivent à ce moment en Allemagne, Kästener
considère-t-il que tous se retrouveront dans ce discours ?
D’abord, celui qui écrit ce discours, cette chanson, cette
parabole, est né au siècle précédent, il était « jeune »
trente ans avant et en effet, il était déjà alors un révolté. Et
en effet, l’esprit de révolte, cette façon de mettre en cause les
donneurs de leçon, les vieilles barbes, naît dans l’enfance et se
renforce dans la jeunesse et comme un arbre de vie, croît avec le
temps. Chez certains, il s’apaise et disparaît, il rentre dans le
rang, comme un arbre se flétrit et finit par dépérir ; chez
certains, il perdure et il en résulte par exemple, précisément,
que c’est Erich Kästner (un « vieux »?) qui porte la
parole de la jeunesse. Reste à reconstruire le raisonnement à
partir de la notion de jeunesse de l’esprit (peu importe l’âge
civil) face à la vieillesse de l’esprit, à ses conceptions
surannées, à son attachement aux préceptes anciens, aux gloires et
règles de l’ancien régime. À mon sens, c’est ainsi qu’il
faut interpréter cette idée de jeunesse. On peut être jeune à
quatre-vingts ans…
Et
on peut être vieux avant d’avoir vingt ans. J’ajouterais,
excuse-moi si je plaide ma propre cause, on peut aussi être vieux à
plus de deux mille ans. Mais prenons la chanson du « jeune
Erich Kästner » telle qu’elle est et de notre côté,
reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
(plouf ! Nous voilà dans le camp des jeunes) anodin,
anachronique, anecdotique, anesthésié et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Vous
êtes les aînés. Nous sommes les jeunes.
Vous donnez des conseils précieux.
D’un index impérieux,
Vous nous montrez la nouvelle voie.
Vous avez mené ça admirablement.
Vous hurliez encore « Heil ! », il y a un an.
On admire, comme vous prêchez « la liberté » maintenant
Si vite après le contraire, juste avant.
Nous sommes jeunes et vous êtes vieux maintenant.
Le plus petit enfant le voit parfaitement :
Vous parlez d'avenir, vous pensez argent
Et vous tournez vos barbes au vent !
Vous donnez des conseils précieux.
D’un index impérieux,
Vous nous montrez la nouvelle voie.
Vous avez mené ça admirablement.
Vous hurliez encore « Heil ! », il y a un an.
On admire, comme vous prêchez « la liberté » maintenant
Si vite après le contraire, juste avant.
Nous sommes jeunes et vous êtes vieux maintenant.
Le plus petit enfant le voit parfaitement :
Vous parlez d'avenir, vous pensez argent
Et vous tournez vos barbes au vent !
À
présent vous
vous plaignez beaucoup
Que vous n’arrivez à rien avec nous ?
Taisez-vous avec vos belles messes !
On dit : il faut honorer la vieillesse…
Parfois, parfois !
Ce n'est pas si facile parfois.
Nous avons été élevés dans votre monde
Nous savons grandi avec votre culte.
Vous êtes les aînés. Nous sommes plus jeunes.
Le plus vieux a une dette plus ancienne.
Nous avons de faux idéaux ?
C’est peut être exact, merci – voilà tout....
Mais maintenant ? Des idéaux,
Nous n’en avons même plus du tout !
Que vous n’arrivez à rien avec nous ?
Taisez-vous avec vos belles messes !
On dit : il faut honorer la vieillesse…
Parfois, parfois !
Ce n'est pas si facile parfois.
Nous avons été élevés dans votre monde
Nous savons grandi avec votre culte.
Vous êtes les aînés. Nous sommes plus jeunes.
Le plus vieux a une dette plus ancienne.
Nous avons de faux idéaux ?
C’est peut être exact, merci – voilà tout....
Mais maintenant ? Des idéaux,
Nous n’en avons même plus du tout !
Notre cœur gelé est de plus en plus glacé.
Nous sommes si fatigués et sans volonté.
Nous sommes les jeunes. Vous les aînés.
Et il faudrait vraiment vous aimer ?
Vous
voulez vous
justifier et changer.
Mais nous pensons avec tristesse :
« Si pourtant, nous n’étions jamais nés ! »
Mais nous pensons avec tristesse :
« Si pourtant, nous n’étions jamais nés ! »
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