vendredi 3 juin 2016

LA MARCHE DES VEAUX

LA MARCHE DES VEAUX

Version française – LA MARCHE DES VEAUX – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Kälbermarsch – Bertolt Brecht – 1943

La Révoltée

La Kälbermarsch (La Marche des Veaux) est une des parodies les plus connues du Horst-Wessel-Lied (chant nazi). Elle est tirée de « Chveik dans la deuxième Guerre mondiale », une pièce de Bertolt Brecht (1943), écrite pendant son exil aux États-Unis. Originellement, elle aurait dû être jouée à Broadway, avec une musique de Kurt Weill. Mais Kurt Weill ne crut pas au succès de ce drame, c’est pourquoi Brecht travailla avec le compositeur Hanns Eisler. La première eut lieu en 1957 après la mort de Brecht.

L’histoire se situe dans le contexte suivant. Dans la prison militaire de Prague, se trouvent des prisonniers tchèques, qui doivent être enrôlés de force dans l’armée allemande. C’est Chveik qui chante « La Marche des Veaux ».

Dialogue maïeutique 

Je sais, je sais, Lucien l’âne mon ami, le veau, les veaux, ce n’est pas des ânes. Ils n’ont pas cette résistance face à la domination, cette aptitude à la liberté, ce caractère de farouche indépendance et cette capacité à refuser d’être mis en troupeau qui signalent l’engeance têtue dont tu fais partie. Cependant comme l’âne, comme le chat, comme le mouton, comme le loup, comme l’agneau, comme le chien, comme le renard, comme le cochon, comme le lion, comme l’ours, comme l’aigle, comme la fourmi, comme la souris ou le rat, comme le lapin, comme le kangourou ou l’anaconda (et plein d’autres encore – du serpent, au scarabée en passant par le poisson et l’éléphant), le veau est un personnage emblématique, assez proche de l’agneau, dont parlait Heinrich Böll. La place du veau commun dans cette héraldique est évidemment fort différente de celle du Veau d’Or, où il était Dieu. Dans ce cas-ci, il représente non pas le peuple qui peut être souffrant et rester digne, mais la masse qui se vautre dans son indignité (qu’elle ne conçoit même pas) et qui se laisse mener à l’abattoir sans rechigner et parfois aussi, avec enthousiasme.

Oh, dit Lucien l’âne en riant, pauvre veau, il en prend plein la tête et tout ça après avoir été Dieu ; c’était au temps de son âge d’or.

Je me demande si Brecht, qui écrit ce texte vers 1943 avait eu vent de la réflexion de Charles De Gaulle qui au moment où Pétain signait l’armistice avec les nazis, soutenu en cela par le « peuple » français, avait maugréé, sans doute plein de rage, à propos des Français de France : « Ce sont des veaux. Ils sont bons pour le massacre. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. » Il n’y avait donc pas que des veaux allemands. Cependant, le sens donné au mot est le même. Il s’agit bien de l’animal voué à l’abattoir.

En effet, dit Lucien l’âne, mais il faut dire à la décharge du veau, compte tenu de son jeune âge, on peut imaginer qu’il ne peut pas comprendre ce qui lui arrive et qu’il n’ait pas le réflexe de résister, ni même le temps de s’organiser.

Justement, cela devrait donner une idée de ce que pense Brecht à propos de la soumission « volontaire » de la population allemande au Reich de Mille Ans, qui dura – agonie compriseune douzaine d’années.
Maintenant deux mots de la chanson. Je te rappelle que dès ses débuts en politique, Adolf Hitler avait été surnommé le « tambour », tant il faisait du bruit en hurlant. C’est donc de lui qu’il est question. Bien sûr, ce drapeau rouge sang est celui des nazis et la croix qui l’orne est tout aussi évidemment une croix gammée : c’est le « croc sanglant ».
Et enfin, Lucien l’âne mon ami, si la chanson est courte et un peu abrupte, c’est qu’elle est tenue par la forme de celle qu’elle parodie : le chant des nazis – le Horst Wessel Lied. Note que c’est une pratique courante dans la chanson politique que de prendre la forme du chant de l’ennemi pour lui faire chanter d’autres paroles. Elle en adopte donc la forme et la musique, mais elle n’en a pas du tout, pas du tout le même contenu.

Je l’espère bien, dit Lucien l’âne en éclatant de rire. Cependant, n’oublions pas le destin des veaux et les dégâts que leur pleutrerie et leur suivisme a engendrés, dont ils furent parmi les premiers à souffrir. Je leur propose un petit proverbe aux allures bibliques : « Qui se conduit comme un veau, périra comme un veau ». Alors, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde pleutre, pusillanime, lâche et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

Loin derrière le tambour
Trottent les veaux ;
Ils fournissent la peau
Du tambour.
Ils portent une croix
Sur leurs drapeaux rouge sang.
Pour le pauvre homme, cette croix,
C’est un croc sanglant.

Le boucher crie. Les yeux bien fermés,
Le veau marche d’un pas calme et décidé.
Les veaux, dont le sang coule déjà dans l’abattoir,
S’alignent mentalement dans le mouroir.
Ils portent une croix
Sur leurs drapeaux rouge sang.
Pour le pauvre homme, cette croix,
C’est un croc sanglant.

Ils ont le bras levé,
Ils le montrent ostensiblement.
Déjà dégouline leur sang
Et les voilà vidés.

Ils portent une croix
Sur leurs drapeaux rouge sang.
Pour le pauvre homme, cette croix,
C’est un croc sanglant.


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