GUERRE
À LA GUERRE
Version
française – GUERRE À LA GUERRE – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson
allemande – Krieg
dem Kriege – Texte de Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky –
13-06-1919
Photographie de Ernst Friedrich |
Le
plus fameux poème contre la guerre de Kurt Tucholsky, qui
volontairement (et pas par hasard, les deux se connaissaient et
militèrent ensemble dans les rangs de l’anarchisme allemand),
porte le même titre que la collection photographique de Ernst
Friedrich contre les horreurs de la guerre.
« Guerre
à la Guerre ! » est un titre des plus nets, des plus
explicites qui soit, un cri que Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky
lance en 1919. On l’a entendu depuis à de multiples occasions et
il servira encore à l’édification des enfants et des jeunes de
tous les pays.
Et
ce serait une bonne chose, dit Lucien l’âne sentencieusement. Ç
calmerait peut-être les ardeurs de certains ou mieux encore, les
conduirait à penser le monde en des termes moins bellicistes.
Oui,
un cri si généreux parle au cœur de l’humaine nation. Cependant,
derrière ce presque-unanimisme pacifiste, il y a souvent une sorte
de naïveté optimiste qu’il faut mettre en garde contre les
retours de flammes. C’est le sens de la chanson de Theobald Tiger,
alias Kurt Tucholsky ; elle est d’une lucidité décapante et
en même temps, c’est un formidable appel à la volonté à la
fois, individuelle (essentielle, celle-là) et collective de vraiment
mettre fin à la guerre.
De
quelle lucidité peut-il bien s’agir ? Comment peut-elle
s’exprimer dans un contexte aussi nettement utopique ?
Reprenons :
Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, est évidemment d’accord pour
promouvoir cette idée de Guerre à la Guerre et il le fait, mais
l’autre versant de l’histoire ne lui échappe pas, celui de la
réalité allemande de son temps, de 1919.
En
quelques mots, l’Allemagne impériale vient de s’écrouler, la
révolution qui l’a emportée s’est quasiment dissoute et va
l’être plus encore, écrasée par ceux qui auraient dû être ses
propres partisans et qui se proclamaient tels : les
sociaux-démocrates.
Parallèlement
à ça, les partisans de l’ancien régime, qui n’ont digéré ni
l’effondrement de l’Empire, ni la révolution, ni la reddition
militaire relèvent la tête et organisent un coup d’État
permanent, un inextricable chaos afin de déstabiliser le nouvel État
républicain. Pr parenthèse, ils finiront pas y passer aussi, mais
plus tard. Et Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, pressent – et
c’est très perceptible dans la chanson – où tout cela va mener
l’Allemagne. Les maîtres d’hier et jusqu’à leurs cadres
subalternes sont restés en place ; ils sont partout dans le
nouvel État républicain, qu’ils n’ont de cesse de détruire.
C’est toute l’aventure de la République de Weimar. En somme,
comme ce sera également le cas plus tard au sortir de la guerre
suivante en Allemagne, mais aussi en Italie ou en France, il n’y a
pas eu d’épuration, justement, car on voulait la paix et l’ordre
(surtout l’ordre, d’ailleurs !), mais un ordre qui ferait
barrage à tout renversement de l’ordre établi. Il y avait
derrière tout ça, la grande crainte de voir finalement naître une
république républicaine et antimonarchiste, qui prendrait à revers
les maîtres d’hier, les héritiers de la Prusse de Bismarck et
saperait les bases de leurs privilèges.
Ce
Guerre à la guerre ! De Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky,
est un chant assez désespéré, un appel à faire barrage à la
démence militariste renaissante, mais au fond il sait déjà ce
qu’il en sera. C’est un peu une « vox clamans in deserto »,
un chant de Cassandre et cette sinistre prédiction sous-jacente à
son propos va effectivement se réaliser et pire encore que ce qu’il
craignait. Kurt Tucholsky, alias Theobald Tiger, finira une quinzaine
d’années plus tard par se suicider d’épuisement et de
désespoir.
Moi,
dit Lucien l’âne pensif, pour conclure, je resituerais cette
chanson et les perspectives qu’elle évoque dans le cadre de la
Guerre
de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font
contre les pauvres afin de conserver leur pouvoir et leurs richesses,
d’assurer et d’étendre leur domination, d’accroître leurs
privilèges, de renforcer l’exploitation
et de multiplier leurs profits. Ainsi conçue,
la Guerre à la guerre a un but très clair et ne pourra aboutir que
du jour où les humains auront définitivement et volontairement
abandonné leur penchant à l’avidité,
leur goût de l’arrogance et leur attrait pour l’ambition.
Évidemment,
c’est là un programme apparemment des plus irréalistes, mais
c’est le seul possible. Alors pour y contribuer dès maintenant,
reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
belliqueux, ambitieux, avide, envieux, fat et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Dans
les tranchées, vous avez été quatre ans
Du
temps, tant de temps !
Vous
avez eu des poux, froid et faim
Et
chez vous, une femme et deux enfants,
Loin !
Loin !
Et
personne pour vous dire la vérité,
Personne
pour oser la rébellion,
Mois
après mois, année après année.
Et
quand on était en permission
On
voyait à l’arrière ces grosses panses
Se
rouler dans la goinfrerie et la danse
Et
suer le marché noir et la cupidité.
Et
la horde des écrivassiers panallemands gueuler :
« Guerre !
Guerre !
Grande
Victoire !
Victoire
en Albanie et victoire en Flandres »
Et
meurent les autres, les autres, les autres !
Devant,
les camarades s’effondrent
Pour
presque tous, c’était le sort
Blessure,
souffrance de bête, mort.
Une
petite tache, rouge sale
Et
on t’emporte et on t’enterre
Mais
qui donc sera le prochain ?
Et
le cri des millions monte aux étoiles.
Les
hommes apprendront-ils enfin ?
Y
a-t-il une chose qui vaille la peine ?
Qui
est là qui là en haut trône
Du
haut en bas constellé d’Ordres
Et
qui toujours commande : Tuez ! Tuez !
Sang
et os broyés et pourriture...
Et
alors, d’un coup, on dit que le bateau a coulé
Le
capitaine a fait ses bagages
Et
subitement est parti à la nage
Et
les troufions restent là indécis
Pour
qui tout cela ? Pour la patrie ?
Frère !
Serre le rang ! Serre !
Frère !
Cela ne doit plus jamais se produire !
On
nous donne la paix du néant
Est-ce
le même destin qui attend
Nos
fils et nos petits-enfants ?
Répandra-t-on
à nouveau le sang
Dans
les fossés et sur le vert des champs ?
Frère !
Souffle quelque chose aux gars,
Cela
ne doit, cela ne peut continuer comme ça.
Nous
avons tous, tous vu
Dans
quoi une telle folie nous a foutu.
Le
feu brûle qu’on a attisé
Qu’on
l’éteigne ! Les Impérialistes
Qui
nichent entre eux là de l’autre côté
Nous
offrent à nouveau des Nationalistes !
Et
une nouvelle fois après vingt ans
Ramènent
leurs nouveaux canons maintenant.
Ce
n’était pas la paix des braves,
C’était
de la démence
Sur
le vieux volcan, la vieille danse.
Il
ne faut pas tuer ! A dit un sage.
Et
l’humanité entend, et l’humanité se lamente.
Y
aura-t-il jamais autre chose ?
Guerre
à la guerre !
Et
paix sur toute la Terre !
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