ON
A JOUÉ GUILLAUME TELL
Version
française – ON
A JOUÉ GUILLAUME TELL – Marco
Valdo M.I. – 2016
Chanson
alémanique (Schwyzertüütsch) – Si
hei dr Wilhälm Täll ufgfüert – Mani
Matter – 1966
Paroles
et Musique: Mani Matter
Album: I han en Uhr erfunde ("Ho
trovato un orologio")
À
la taverne « Le
Lion » de Nottiswil, un village imaginaire de la Suisse
profonde, un soir on
joue
le
« Guillaume Tell »
de Schiller, à
la façon d’un mélodrame
napolitain :
une
moitié
du village
sur scène,
et l’autre moitié est le public, muni d’énormes cruches de
bière. Appeler Mani Matter le « Brassens suisse » n’est
pas chose originale,
vu que Mani Matter lui-même,
depuis ses tout
débuts, avait déclaré ouvertement
s’inspirer
de
Brassens.
Il
est certain que,
parmi les chansons de Mani Matter, celle-ci
est une
des
plus
« brassensienne »
(pour
le contenu on pense évidemment à l’Hécatombe)[[1264]]
dans
l’absolu, jusque
dans la musique ; comme Brassens, il se
produisait
seul avec sa guitare et il n’est pas à
exclure
que même ses moustaches
noires
n’étaient pas, au
fond, inspirées
elles aussi
de
Tonton Georges. Ce qui vraiment, cependant, distingue Mani Matter est
l’ambiance
locale, son
adaptation
des motifs
« brassensiens »
à la petite et étroite
réalité suisse en la prenant souvent en
dérision
aimablement, mais en la frappant en même temps férocement dans ses
façons
d’être et dans ses mythes.
Retournons
ainsi à Nottiswil : la pièce collective du Guillaume Tell
« commence comme dans le scénario, avec les nobles mots de
Frau Stauffacher (interprétée par la pasteure), adressés au
tailleur du village ; et on s’imagine cette communauté locale
tellement férue de théâtre, que ce ne doit pas être la première
fois qu'elle joue et que le tailleur, cette fois, est tellement
« pris » qu’il reproche à la pasteure de s’être
fait faire un costume de scène trop cher (qu’il a dû, on suppose,
offrir pour l’occasion). À un certain moment, entre en scène
l’instituteur du village, qui joue Guillaume Tell ; son fils,
cependant, au beau milieu de la scène commence à lui poser des
questions stupides une après l’autre, en retardant vraiment le
moment crucial de la scène mère, juste avant le mythique et
dramatique tir à la pomme. Un autre acteur, qui interprète un
soldat de la Garde des Habsbourg de Gessler, s’impatiente et dit au
garçon de s’arrêter et de se dépêcher, avec certaines
considérations exprimées à haute voix. Et patatras : un d’Altdorf,
à savoir un partisan de Guillaume Tell, se retourne et fout une
claque au Garde, qui répond avec une « hallebardade » en
plein ventre. La bagarre éclate, elle se déroule consciencieusement
avec fausses hallebardes, épées de carton, pièces de décor,
gifles, coups de pied et, naturellement, des verres (« la bière
se mélange au sang » ). Tout se passe en deux heures, le
local est détruit, l’aubergiste est désespéré, sa femme arrange
les os cassés et l’assurance paye. Il s’ensuit une considération
finale finaude de la part de l’auteur, autre caractéristique
pleinement « brassensienne ».
Il
serait facile considérer tout cela comme un tableau, une petite
historiette
comique (et, de toute façon, l’effet comique est assuré) ; on
doit cependant remarquer
l’authentique
ridiculisation
du mythe fondateur
de la Suisse,
chose
qui en 1966, quand
sortit
la chanson, ne fut
pas
acceptée
par tous
avec facilité (et puis,
les
Suisses
ne sont certainement pas célèbres pour leur
sens de l’humour).
Dans les mains de Mani Matter, qu’on
excuse ma
remarque,
le
Mythe Sacré
Helvétique
est,
en pratique, réduit à une bagarre de village,
« Et
jamais dans un style aussi naturaliste ! »
et il
n’est
pas exclu
que le fait historique, si jamais il y a eu, n’ait pas été
vraiment plus semblable à tout cela
plus
qu’à
la
légende dont semble être née une Confédération entière avec
tant de drames schilleriens
et d’œuvres
de Rossini. Ce que
sous-entend la chanson…
est que les
« grands mythes »
ont souvent une origine fort
terre-à-terre,
de bagarre en taverne. Autre chose
que
Guillaume Tell, autre chose
que Pacte
sacré
des Rütli, mais plutôt une sensationnelle peignée
qui rappelle les
films
avec Bud Spencer et Terence Hill. Le tout pendant qu’on
joue
un drame qui, en Suisse, a caractère presque que d’écriture
sacrée.
On
comprend
donc mieux l’ambiance
brassensienne
de
la
chanson, ce
que
Mani
Matter avait visé :
« On
gagne la liberté, quand on se bat comme ça ! » .
Ce
qui,
soit
dit en
passant,
équivaut pleinement à ces deux sacs de dynamite
[[35286]]
que
le
même Mani Matter déclarait vouloir utiliser,
tôt ou tard.
Hors
de Suisse, il n’est pas inhabituel
de
se
moquer de la
légende de Guillaume Tell ; cela
fait partie, généralement parlant, aussi
de la médiocre
sympathie
dont la Suisse et les Suisses
jouissent (jouissent, façon
de parler).
Ainsi, par exemple, il est
presque naturel de
relier cette
chanson de Mani Matter au
Figlio
di Guillaume Tell
[[21743]] de
Davide Van De Sfroos, pour donner
un exemple. Mais Mani Matter, en son temps, comment
dire, « agit de l’intérieur » , très
profondément
suisse d’un côté
qui savait bien où frapper, et de l’autre, suisse « métis » (il
était
à moitié hollandais par
sa
mère). Comme
Brassens (et comme De André, Nohavica et autres) a dû donc être
« neutralisé » , et il n’y a pas meilleure
manière
pour
neutraliser quelqu’un qu’en lui portant
une affection presque immodérée, en
le transformant en
icône et mythe nationaux.
Sa tragique fin en jeune âge a sans doute
apporté
sa contribution à tout ceci. Comment cela
finit-il ?
Je vous le raconte brièvement. En ce qui concerne cette chanson, qui
parlait d’une pièce
fictive, il
en a
été tiré
une pièce
authentique,
par le « Theater am Tatort » (Théâtre
sur le Lieu du crime), qui
la
reproduit ; elle
dure les deux heures de
la chanson et prévoit une authentique bagarre simulée
entre le public et acteurs.
Comme
Nottiswil
n’existe pas, on
l’a créée
avec même
un
panneau de signalisation, dans la localité de Madiswil (village de
2216 habitants dans le Canton Berne), où
existe vraiment une
auberge et taverne avec aussi une
salle
théâtrale, et face à cette
taverne, où
on joue
la chanson de Mani Matter, a été placée
une belle plaque routière qui indique « Nottiswil – BE »
,
similaire
aux
plaques routières suisses. Pas seulement : comme on
peut le voir
sous le titre, l’auberge/taverne, qui s’appelle « Gasthof
zum Bären » (Auberge de l’Ours) a été à l’entrée
rebaptisée
« Gasthof Löwen » avec le
titre de la chanson de Mani Matter. Le
tout
sponsorisé par
Kambly,
la très connue (et excellente)
biscuiterie suisse. [RV]
Au
« Lion » de Nottiswil, on
a donné le Guillaume Tell de
Schiller
Il y
avait la foule, la
moitié du village,
dans la pièce se
retrouvait,L’autre
moitié par contre était dans la
salle, devant de
grandes
bières,À
faire le public, regardant
et écoutant avec attention ce qui se
passait.
Au
début, tout allait
bien, jouant la femme de Stauffacher,
La
pasteure disait au tailleur des mots d’une grande sagesse,
Mais
émue, elle n’a pas dit cette fois, l’habit est si cher,
Et
il lui a répondu de ne pas perdre le fil de
son texte.
Au
moment de tirer la pomme, arrive l’instituteur qui
jouait Tell,
Son
fils pose des tas de questions, alors un
Garde
Lui
crie tellement fort que tout le monde peut
l’entendre :
Comment
pose-t-il des questions
si stupides, n’a-t-il donc rien appris à l’école ?
Un
ami de Tell, un gars de Altdorf, le frappe dans la figure,
Et
le garde, réagit, sans réfléchir, enchaîne
Et
lui colle un coup de hallebarde dans le ventre,
Alors,
accourt tout le
peuple de Uri, et la bagarre se déchaîne.
Les
uns, ceux pour l’Autriche, prennent le parti du Garde ;
Les
autres, ceux d’Altdorf, pour Tell : un massacre !
Avec des
hallebardes, des épées de carton, avec les décors,
Tell tombe
sous Gessler, toute la salle s’y met alors.
Les
verres se mettent à voler, la colère refrénée éclate,
On
brise les tables et les bancs, la bière au sang se mélange,
L’aubergiste
s’arrache les cheveux, sa femme répare les dégâts,
L’affaire
a duré deux heures, l’Autriche l’a dans le baba.
Et
jamais dans un style aussi naturaliste !
L’assurance
a payé – et je sais une chose depuis,
On
gagne la liberté, quand on se bat comme ça.
On
gagne la liberté, quand on se bat comme ça !
Paroles et Musique: Mani Matter
Album: I han en Uhr erfunde ("Ho trovato un orologio")
Il y avait la foule, la moitié du village, dans la pièce se retrouvait,L’autre moitié par contre était dans la salle, devant de grandes bières,À faire le public, regardant et écoutant avec attention ce qui se passait.
Les uns, ceux pour l’Autriche, prennent le parti du Garde ;
Les autres, ceux d’Altdorf, pour Tell : un massacre !
Avec des hallebardes, des épées de carton, avec les décors,
Tell tombe sous Gessler, toute la salle s’y met alors.
Les verres se mettent à voler, la colère refrénée éclate,
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