jeudi 18 février 2016

Les Bambous

Les Bambous


Chanson française – Les Bambous – Maurice Dulac – 1970

Texte : Boris Bergman (interprétation 1974 – Album : Le Tzigane et la fourmi)
Musique : Maurice Dulac




CAYENNE : SCÈNES DE VIE


Lucien l’âne mon ami, toi qui es foncièrement herbivore, tu auras certainement souvenance de la chanson de Karel Kryl que j’avais mise en langue française l’autre jour et qui s’intitule HERBE.


Bien évidemment que je m’en souviens. C’était il y a deux ou trois jours. Je ne suis quand même pas gâteux malgré mon âge millénaire. Mais comme tu le sais, vivre en écriture, ça conserve. Dans cette chanson, il était question de la guerre du Vietnam et de bambous.


Précisément. Et à propos de bambous encore, au moment où je transcrivais cette version française d’une chanson tchèque, s’est mis à me trottiner dans la tête un air entendu autrefois. C’était la ritournelle d’une chanson où il était question de bambous et de mort et que j’avais préparée, il y a déjà un certain temps, pour la proposer aux Chansons contre la Guerre.


Une chanson, un air et qui parle de bambous et de mort ? Ne serait-ce pas LES BAMBOUS, une chanson que chantait Maurice Dulac ?


Bien sûr et même que c’est à cause d’elle que je me suis intéressé à nouveau à Maurice Dulac et que j’ai retrouvé ce « Cul entre deux chaises », insérée ici il y a quelques jours. Voilà pour la circonstance. Il me reste à dire quelques mots de la chanson elle-même. En premier qu’il ne s’agit pas des mêmes bambous que ceux du Vietnam. Les bambous, cette fois, ne sont pas asiatiques, mais bien américains. Ce sont les bambous de la forêt amazonienne qui enserre le bagne de Cayenne en Guyane (fermé en 1946). Elle raconte l’histoire imaginaire d’un malfrat parisien qui s’y trouve condamné à la réclusion à la suite d’un meurtre crapuleux – c’est le terme d’usage pour définir un assassinat commis pour voler. Cet assassin, c’est Jojo des Grands Chemins. Un gars du milieu qui a pris vingt ans et les passe à Cayenne. Un aller simple : Paris-Cayenne , en quelque sorte. La vie au bagne est épouvantable et vingt ans, c’est long. Alors, Jojo tente la belle et se fait abattre par les gardes-chiourme. Dans les bambous. Mais la chanson amène une autre réflexion quand elle dit :

« Après vingt ans de bagne, dis qu’aurais-tu fait
De ta vie de cavale et de ta liberté ? »


Une vraie question celle-là pour un vrai problème, dit Lucien l’âne en soupirant comme un vieux poêle. D’ailleurs à Cayenne, les condamnés à de longues peines restaient sur place. Ils s’étaient faits au climat et c’était devenu leur pays. C’est là aussi qu’ils avaient leurs connaissances. Les autres devaient les avoir oubliés depuis le temps, comme pour les émigrés. Alors, ils finissaient leur vie là-bas.


Mais Lucien l’âne mon ami, il faut aussi ajouter que les condamnés à des longues peines à Cayenne ne pouvaient revenir en France métropolitaine qu’en ayant passé l’équivalent de leur peine en relégation. Autrement dit, ils devaient rester en Guyane. Ce qui réglait généralement le problème de la réinsertion. En somme, on revenait rarement du bagne ; au point d’ailleurs que du temps de sa splendeur, on appelait Cayenne, la guillotine sèche.


Bah, ne pas revenir, dit Lucien l’âne. Revenir où ça ? Ça dépend de l’âge où on a été condamné ; et même, vingt ans (fois deux), c’est un fameux bail ; entretemps, le monde doit avoir changé et fameusement. Il y a de quoi ruminer son Rutebeuf  : « Que sont mes amis devenus... ». C’est le lot des longues peines. Évidemment, c’est pire encore quand le condamné est innocent de ce pourquoi on l’a enfermé. Je pense à Marco Camenisch, par exemple.

N’épiloguons pas plus et reprenons notre tâche tranquille et tissons, telles les fileuses et les canuts, un linceul, le linceul de ce vieux monde empli de bambous, carcéral, punitif et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.
Tu es mort à Cayenne et pas à Pantin,
S’il faut mourir quand même ça ne change rien.

Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.
C’est pour revoir la Seine que tu fabriquais
Ce grand radeau de chêne quand ils t’ont tué.

Tu allais sur la Seine pour voir les bateaux,
Tu rêvais de soleil des îles de Bornéo ;
Le bagne de Cayenne, c’est pas Valparaiso,
Au bout d’une semaine, tu rêvais de Puteaux.

Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.
Toi qui aimais la Seine, fallait pas noyer
Ce pauvre énergumène pour un peu de blé.

Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.
Après vingt ans de bagne, dis qu’aurais-tu fait
De ta vie de cavale et de ta liberté ?

Quand je vais sur la Seine pour voir les bateaux,
Je cherche ton soleil, tes îles de Bornéo ;
Le bagne de Cayenne, c’est pas Valparaiso,
Avec un peu de veine, t’aurais revu Puteaux.

Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, tu t’en fous.
L’addition est la même au bout du chemin
Que l’on soit de Cayenne ou bien de Pantin.


Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.
Tu es mort à Cayenne et pas à Pantin,
S’il faut mourir quand même ça ne change rien.

Tu dors sous les bambous, les bambous, les bambous,
Jojo des grands chemins, t’étais fou, t’étais fou.

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