vendredi 19 février 2016

Cayenne

Cayenne



Chanson française – Cayenne – anonyme – vers 1900.
Interprétation : Parabellum : https://www.youtube.com/watch?v=Kgnu3ekZSF0





BRUANT DANS SON MIRLITON



Cette chanson anarchiste des environs de 1900 souvent chantée au bagne de Cayenne, souvent attribuée à Bruant. Elle fut reprise avec succès par le groupe de rock Parabellum en 1986, mais le dernier couplet a volontairement été omis par le parolier de l'époque. Puis par Les Amis d'ta femme, en 2000. Ces derniers donneront une alternative au refrain à la fin de la chanson. Opium du peuple a fait une reprise de la version de Parabellum en 2014 ; version intégrée sur l'album La revanche des clones en 2015.
Elle est parfois également interprétée par Sanseverino lors de ses concerts, de même pour le groupe "Le grôs tour".


Le dialogue maïeutique avec l'âne


Voici encore, Lucien l'âne mon ami, une chanson à propos de Cayenne, ce terrible bagne que la France entretînt en Guyane jusqu'en 1946 ; du moins, Cayenne, c'est son titre et je trouve pourtant que ce n'est pas une chanson sur Cayenne. Cayenne sert à appâter le badaud. En réalité, c'est une chanson à propos d'un truand, qui a commis un crime et va purger sa peine à Cayenne, comme Jojo les Grands Chemins dans Les Bambous, la chanson de Dulac que je t'ai dite l'autre jour. Jusque là, on est devant un fait divers.




Évidemment. Un type qui tue un autre pour histoire de femme, c'est un fait divers.


Qu'il s'agisse d'un « noctambule en or massif » n'en fait pas une chanson anarchiste. L'ennui, c'est qu'on en a fait une chanson « anarchiste » ; ce qu'à mon sens, elle n'est pas. C'est du maquillage pour satisfaire à la mode de l'époque (les anarchistes donnaient des frissons ; c'étaient de grands méchants loups) et en finale, elle reproduit le discours de l'ordre établi en assimilant les anarchistes à des petites frappes, à ce que le même ordre établi désigne sous le nom de racaille. Elle contribuait grandement à cette propagande qui voulait disqualifier les libertaires, les socialistes, les anarchistes.


Mais quand même, dit Lucien l'âne, cette chanson insulte la police, s'en prend aux sergents de ville, aux condés, aux flics en civil.


C'est exact, c'est nécessaire à son maquillage, mais de là à être une chanson « anarchiste », même uniquement pour la forme, il y a de la marge.


Explique-moi plus clairement, car « Mort aux vaches ! » – au sens figuré s'entend – est souvent mis au compte des anarchistes.


Peut-être. Mais crier une telle phrase ne fait pas pour autant un anarchiste. « Mort aux vaches » est une expression argotique qui est utilisée dans le « milieu », dans cette couche de population interlope, qui vit en marge de la légalité, sans avoir la moindre intention d'édifier un monde meilleur, de faire une révolution, de changer le monde Que les anarchistes, qui ont souvent maille à partir avec la police, aient adopté ce « Mort aux vaches ! » et le trouvent drôle, c'est un fait. Que des gens se disent ou se croient anarchistes parce qu'ils n'aiment pas la police, c'est une erreur de leur part. L'anarchisme est une conception philosophique, une conception politique dont je doute fort qu'ils partagent les principes et les buts et une façon d'être aussi qu'ils soient prêts à assumer. Et encore moins près de la mettre en pratique. Et pour en revenir à la chanson, il n'est pas dans les habitudes, ni dans les conceptions anarchistes de tirer profit d'autrui et particulièrement, de s'établir maquereau et de vivre aux crochets d'une ou plusieurs femmes. Ce que fait le personnage dont parle la chanson.


Peut-être, mais on dit que la chanson serait de Bruant, celui-là même qui a écrit la chanson des Canuts…


Admettons, mais ça ne change rien à la question. Deux mots sur Bruant, dès lors. Aristide Bruant était – en fait – principalement un artiste de métier, et s'il était anarchiste, c'était sur la scène et dans son cabaret. C'était ce qu'on appelait un chansonnier populaire et il s'était construit une image d'anarchiste pour épater le bourgeois et conquérir un public. Il était assez dans le ton de son époque où il était de bon ton d'aller s'encanailler à Montmartre et il sut en faire son miel et son beurre. Quant à la chanson elle-même, elle fait partie de ces chansons dites de répertoire, mais d'un répertoire faussement populaire comme Nini Peau Chien ou L'Hirondelle des Faubourgs. D'ailleurs, la presse populaire tirait profit du même genre et tout particulièrement, du fait divers, de préférence crapuleux et sordide. C'est d'ailleurs encore le cas aujourd'hui.


Résumons : C'est une chanson du monde ambigu de Bruant, une chanson de Bruant sur un faux fait divers des bas fonds de Paris vers 1900, sur un crime de carton-pâte, commis par un faux truand ; c'est du guignol et on en restera là. Elle est loin, cette chanson, très loin de l'Opéra de Quatre Sous et de sa mise en perspective du monde glauque des faubourgs de Londres.


J'avais bien ressenti ça aussi. C'est du chiqué, on dirait du guignol, en effet, mais rien n'empêche de s'amuser en allant voir un chansonnier chansonner. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde frelaté, voyeur, assassin et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je me souviens encore de ma première femme ;
Elle s'appelait Nina, une vraie putain dans l'âme !
La Reine des morues de la plaine Saint-Denis,
Elle faisait le tapin près la rue d
e Rivoli !

Mort aux vaches ! Mort aux condés !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !Elle aguichait le client quand mon destin de bagnard
Vint frapper à sa porte sous forme d'un richard

Il lui cracha dessus, rempli de son dédain,
Lui mit la main au cul et la traita d
e putain.

Mort aux vaches ! Mort aux condés
 !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !

Moi qui
étais son mec et pas une peau de vache,
Moi qui dans ma jeunesse pris des principes d'apache,
Je sortis mon 6.35, et d'une balle en plein cœur
Je l'étendis raide mort et
je fus serré sur l'heure !

Mort aux vaches ! Mort aux condés !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !

Aussitôt arrêté,
je fus mené à Cayenne.
C'est là que j'ai purgé le forfait de ma peine

Jeunesses d'aujourd'hui, ne faites plus les cons,
Car
pour une simple connerie, on vous fout en prison !

Mort aux vaches ! Mort aux condés !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !

Si je viens à mourir, je veux qu'on m'enterre
Dans un tout p
etit cimetière près de la rue Saint-Martin,
Quatr
e cents putains à poil viendront crier très haut :
« C'est le
Roi des julots que l'on colle au tombeau ! »

Mort aux vaches ! Mort aux condés !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !

Sur sa tombe, on lira cette glorieuse phrase
Écrite par des truands d'une très haute classe :
« Honneur à la putain qui m'a donné sa main !
Si je n'étais pas mort, je te baiserais encore ! »

Mort aux vaches ! Mort aux condés !
Viv
e les enfants de Cayenne ! À bas ceux de la Sûreté !





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