mardi 23 février 2016

L’Araignée de l’Escurial


L’Araignée de l’Escurial


Chanson française – L’Araignée de l’Escurial – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 30

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXXV)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.

Philippe, plus apostolique que le pape,
Plus catholique, plus romain que les conciles,
Araignée solitaire, depuis son Escurial,
Pinces noires ouvertes, étend sa toile.


Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la trentième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-neuf premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)
13. Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable [[51076]] (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? [[51124]] (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection [[51150]] (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme [[51196]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation [[51215]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier [[51256]] (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir [[51272]] (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l’encan [[51310]] (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question [[51392]] (Ulenspiegel – I, LXXVIII)
23. Charles et Claes [[51454]] (Ulenspiegel – I, LXXIX)
24. Trois cents ans de torture [[51457]] (Ulenspiegel – I, LXXIX)
25. Au bord du canal [[51479]] (Ulenspiegel – I, LXXXIV)
26. Le Géant Hiver [[51532]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
27. Le Roi Printemps [[51540]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
28. Le Printemps [[51543]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)
29. Vengeance et Mort – Till et Nelle (4) [[51546]] (Ulenspiegel – I, LXXXV)



Je sais, je sais, Lucien l’âne mon ami, ce que tu vas immanquablement me dire et me demander. Tu vas trouver ce titre « L’Araignée de l’Escurial » fort énigmatique et tu vas me demander de te l’expliquer.


Évidemment, je ne peux faire autrement que te tendre la perche. En somme, c’est le rôle du faire-valoir et ici, à ce moment de notre dialogue maïeutique – encore une de tes belles trouvailles – le faire-valoir, ici, c’est moi. Donc, je te dis que ce titre énigmatique est fort étrange et demande une explication. Tu remarqueras cependant que c’est le titre qui demande une explication et pas moi.


Maintenant que la perche est tendue, j’en profite pour répondre à la demande et expliquer cette Araignée de l’Escurial. Mais allons-y pas à pas. Donc, en premier, l’araignée est cet animal arthropode, si je ne me trompe ; du moins, l’araignée commune. Pas celle de la chanson, qui elle est un homme, comme on le verra plus loin. Donc, l’araignée est cet animal qui tisse sa toile pour y (notamment) capturer d’autres insectes et les dévorer. À proprement parler, elle ne dévore pas ; elle dissout et puis, elle suce sa proie, tout simplement, car elle ne peut mastiquer. Puis, il y a l’Escurial.


Ah ! L’Escurial, celui-là, je le connais. C’est un grand bâtiment, une série de bâtiments qui servaient de palais royal, de monastère, de basilique et de cimetière pour les monarques espagnols. Je me souviens même du temps où il n’était pas là, du temps où il n’avait pas encore été construit. J’y étais passé du temps de Don Quichotte, de ce temps où j’accompagnai le Chevalier au plat à barbe.


C’est bien celui-là. Et c’est Philippe – celui dont parle la canzone – qui l’avait fait bâtir. Il avait fallu plus de vingt ans pour le terminer. C’est dans ce palais que Philippe va se retirer. Et l’Araignée dont il est question dans la chanson, c’est lui.


Voilà donc le mystère du titre éclairci. Pour le reste, que raconte cette chanson ?


C’est en fait une sorte de portrait de Philippe ; pas un portrait physique, mais un portrait « moral », une description de son caractère, plus exactement de sa façon de penser, une évocation de ses ruminations assassines. En fait, c’est un moment de mise au point dans le récit qui reprend en ce début du Livre Deux de la Légende. C’est un texte central dans la démonstration de Charles De Coster. Philippe est l’incarnation du pouvoir et de l’intolérance religieuse. Oh, Philippe n’est pas le seul tyran de son époque et l’intolérance et la dictature religieuses faisaient florès des deux côtés de la Réforme et de la Contre-Réforme.


Oh, dit Lucien l’âne sérieux comme un âne, la terreur a toujours été l’arme de la mauvaise foi. 


Certainement, mais à ce stade du récit, ici et maintenant, il s’agit de montrer celui qui représente tout ce que Till le Gueux va combattre et aussi de faire l’inventaire des raisons qui vont pousser les Gueux au combat contre l’intolérance religieuse et pour la liberté de conscience. Mais l’affaire va bien au-delà ; à la longue, cette lutte, qui se poursuit encore aujourd’hui, va promouvoir la libre pensée (libre de tout dogme – religieux ou non) et plus loin encore, la liberté de l’humaine nation et de l’individu face à tout pouvoir. La chanson se conclut d’ailleurs sur cette phrase lumineuse :
« Alors s’embrasent les feux de la résistance. »


Ce qui est assez proche, me semble-t-il, de notre motif : « Ora e sempre : resistenza ! », dit Lucien l’âne en clignant de ses yeux noirs de basalte. C’est quand même une chose curieuse que tu nous fais faire que ces chansons mises bout à bout qui racontent une si longue histoire et suscitent tant de réflexions.

D’ailleurs, il me faut te faire ici une confidence. Souvent quand je rencontre des gens, ils m’interrogent à propos des chansons, du genre de chansons que nous faisons ; ils veulent savoir combien il y en a ; ils sont très étonnés de ce que je leur réponds et certains même disent que ce ne sont pas là des chansons. Il m’est aisé de les détromper et de leur montrer chanson de Roland à l’appui ou à l’aide de la complainte des fileuses de Chrétien de Troyes, ce qu’est réellement la chanson et combien ils sont abusés par les marchands et leurs produits chansonniers mercantiles, écrasés, compactés, formatés, bref, totalement créés pour être vendus. J’imagine que tu sais tout cela et ceux qui s’intéressent à nous jusqu’à nous lire le savent aussi.

Mais à présent, je m’en vais, je m’en vais, car il nous faut reprendre notre tâche et tisser, inlassablement tels d’inconnus canuts, le linceul de ce vieux monde béni oui-oui, intolérant, obéissant, croyant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Philippe le roi morne
Paperasse sans relâche
Il barbouille papiers et parchemins
De ses tortueuses pensées de souverain.

Philippe n’aime personne et pire
Personne ne l’aime.
Il porte seul tout son empire
Et sous le poids du fardeau, la tête s’incline.

Philippe, roi triste, froid, sec, dur rumine
Détestant même jusqu’au visage du bonheur.
Philippe dort mal et le travail le mine.
Son corps faible s’use sous l’effet de langueur.

Philippe tient en haine la gaieté
En haine aussi le libre parler.
La révolte contre l’Église romaine
Par mille sectes pique sa folle haine.

Philippe tourmenté du désir superbe
De tenir Sa Sainte Mère l’Église vierge
De changement : une, entière, universelle,
Confirme à tous sa vérité éternelle.

Philippe, plus apostolique que le pape,
Plus catholique, plus romain que les conciles,
Araignée solitaire, depuis son Escurial,
Pinces noires ouvertes, étend sa toile.

Sous son père, l’Inquisition par le bûcher,
Par la fosse, par la corde avait tué
Cent mille chrétiens, sans même compter les impies
Et rincé leurs biens comme lave la pluie.

Philippe dit : ça ne rapporte pas assez.
Il impose de nouveaux évêques,
Il importe une Inquisition plus ibérique,
Ainsi s’affirme son intangible volonté.

Au son de trompes et de tambourins,
Les hérauts lisent à tous les coins
Les royaux placards terribles et angoissants,
Portant la sainte terreur chez les habitants.

Philippe, pour les hérétiques, décrète
Aux hommes et aux garçons : le feu ou la corde.
Enterrer vives et piétiner : femmes et filles
Alors s’embrasent les feux de la résistance.

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