mardi 5 janvier 2016

Le Talisman rouge et noir

Le Talisman rouge et noir


Chanson française – Le Talisman rouge et noir– Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 20

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXV)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.




Croà ! Croà ! À l’appel des oiseaux
D’un pas pesant, ils vont au bûcher.





Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingtième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les dix-neuf premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)
13. Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable [[51076]] (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? [[51124]] (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection [[51150]] (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme [[51196]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation [[51215]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier [[51256]] (Ulenspiegel – I, LXXIV)



La mort de Claes, le charbonnier qui se consumait avec son bûcher sur la place publique du village, était le sujet de la précédente chanson. Cette mort du père de Till le Gueux est – dans ce cycle venu du Moyen-Âge – un de ces moments-clés qu’on ne peut ignorer. C’est un des degrés qui conduisent Till – dont la dimension symbolique n’est pas sans importance et qui dès lors, incarne plus que lui-même – à la révolte la plus profonde contre les pouvoirs de son temps. En ce sens, Till le Gueux est un récit initiatique.

Un récit initiatique ? Qu’est-ce à dire ? Il me semble que là, tu y vas un peu fort, Marco Valdo M.I. mon ami.

Je ne sais pas si j’y vais fort, comme tu dis, Lucien l’âne mon ami. Mais, ce que je sais, c’est que lentement et sans se presser, l’histoire de Till le Gueux, de Till le révolté se met en place. Et cette lenteur a son importance, car elle donne le tempo de ce crescendo qui est le sens de la vie. Il s’agit de découvrir le sens de la lenteur, de retrouver la lenteur, d’échapper à ce monde où on finirait par oublier qu’il y a un long chemin de la naissance aux autres âges de l’existence et – par parenthèse – que ce chemin est l’existence elle-même. De l’homme, on ne voit trop souvent de nos jours qu’une silhouette, une sorte d’ombre chinoise, entrevue un moment, enfermée dans cet instant, enfermée dans son âge et dans son rôle. Quand ce n’est pas seulement qu’une esquisse, un reflet fuyant dans le coin d’un regard.

Quel rapport, dis-moi Marco Valdo M.I. mon ami, avec la chanson ? Ne te laisses-tu pas dériver ?

Pas du tout. Il s’agit également de donner au personnage une consistance et de montrer les nœuds de sa vie – similaires aux nœuds du bois – où viennent s’accrocher les grands pans de son aventure. On ne passe pas de la naissance à la révolte sans une histoire, sans des circonstances éclairantes, sans des événements catalyseurs. On ne naît pas révolté on le devient et c’est ce devenir qu’il nous revient de suivre. Ceci est vrai pour tout le monde. Il n’est pas sûr – je suis même persuadé du contraire – qu’on naisse avec tel ou tel caractère ; on le fait, on le forge à coup sûr dans le temps de sa vie, comme si on sculptait sa propre histoire au milieu de toutes les autres.

Certes, mais que dit la canzone ? Je veux dire que raconte-t-elle concrètement ? Après la mort de Claes, que se passe-t-il ? Car, vois-tu, Marco Valdo M.I. mon ami, j’aimerais le savoir et je suppose que c’est de cela qu’elle doit parler.

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, c’est ce qui se passe dans la nuit après ce crime religieux d’État qu’elle nous conte. La mort du père intronise le fils ; c’est un phénomène universel. C’est à cette accession de ce roi sans royaume, de ce roi sans règne qu’elle nous convie. Je te rappelle qu’on a déjà assisté à celle de Philippe, le roi avec royaume, transmis par un père vivant encore. Quant à al chanson, pour répondre à ta question, elle raconte la visite nocturne de Soetkin et de Till au cadavre de Claes, encore toujours attaché à son poteau. Dans cette chanson, on y rencontre les oiseaux, vrais croque-morts, le soldat chargé de veiller le cadavre et d’en interdire l’approche, sa complaisance pour la veuve et l’orphelin, et puis, la confrontation avec ce qui reste de Claes. Elle raconte Till qui prend les cendres du cœur de son père et puis, plus tard, le sachet rouge et noir que Soetkin confectionne pour les mettre au cou de Till et le serment de vengeance qui y est lié et qui trace dès lors l’avenir de Till. Ici, meurt Till l’espiègle qui traversait le monde insouciant des conflits qui s’y développent et le structurent. C’est ici que l’histoire bascule ; Till entre en résistance.

Il lui faudra aussi, dit Lucien l’âne, tirer vengeance de cet odieux dénonciateur, de ce parfait sycophante.

Ne t’inquiète pas. Attends la suite de l’histoire ; le poissonnier paiera. Mais la révolte de Till ira beaucoup plus au-delà, comme tu pourras le voir.

J’espère bien, dit Lucien l’âne. Mais voyons d’abord cette chanson et puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde cruel, brutal, lâche, délateur et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Sans parler, sans pleurer
La tête basse, les mains jointes
La mère debout, comme une sainte,
Tient le fils embrassé.

Effrayé de la fièvre de feu
Qui torture le corps de sa mère
Craquant de toutes ses dents, Till serre
La rage de mort qui ferme ses yeux.

Croà ! Croà ! À l’appel des oiseaux
D’un pas pesant, ils vont au bûcher.
Tac ! Tac ! Les becs des corbeaux
Picorent le corps du cadavre consumé.

Sorcier, ne cherche pas les mains de gloire !
Car, les mains brûlées sont des mains noires.
Messire sergent, je ne suis pas sorcier,
Je suis l’orphelin de cet homme attaché.

Avec mère, on vient saluer père,
Honorer sa mémoire, chercher ses cendres.
Fais ce que dois, dit l’homme d’armes.
Ils baignent le visage du martyr de leurs larmes.

À l’endroit du cœur, où
La flamme a creusé son trou,
Le fils prend les cendres du père mort.
L’aube les trouve là, pleurant encore.

D’un morceau de soie rouge, d’un morceau de soie noire
De deux rubans, la mère fait un talisman.
Dedans, elle enferme la poussière du désespoir.
Puis, le noue au cou du fils, doucement.

Voici le cœur de mon homme fondu dans la souffrance.
Le rouge est son sang, le noir est sa mort.
Porte sur ta poitrine, mon fils, le feu de vengeance
Partout où tu iras, fais payer aux bourreaux le prix fort.






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