mardi 15 décembre 2015

Vois-tu jusque Bruxelles ?

Vois-tu jusque Bruxelles ?


Chanson française – Vois-tu jusque Bruxelles ? – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 15

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LVIII)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.




Je laisse mes duchés, comtés jusqu'à mes baronnies
Dès à présent à mon fils. Dieu lui prête vie !




Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la quatorzième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les quatorze premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)
13. Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l'âne du diable [[51076]] (Ulenspiegel – I, LVII)



Ce soir, Lucien l’âne mon ami, je n’ai pas le cœur à parler de cette chanson, je suis bien fatigué comme cet empereur (pourtant si jeune encore) qui va abdiquer. Cependant, je vais rompre avec toutes mes habitudes et les tiennes et celles de nos (éventuels) lecteurs.


Voilà qui me surprend un peu, car je te sais systématique et précautionneux quand il s’agit d’écrire.


Certes, Lucien l’âne mon ami, tu as raison, mais précisément à cause de ce penchant qui me garantit une certaine paix de l’esprit et me tient éloigné de tracas, je vais innover. Il n’y a rien là de hasardeux pourtant. Tu vas comprendre pourquoi dès le moment où je t’aurai dit ce qui m’a contraint à pareil bouleversement. Cela tient à la nature de la chanson. Suis bien. C’est une chanson qui raconte l’abdication de Charles-Quint et la transmission parallèle à son frère Ferdinand de son titre d’Archiduc d’Autriche, et par suite, de celui d’Empereur ; et à son fils, Philippe, celui de Roi d’Espagne et le reste : Pays-bas, Amérique, etc : un empire où le soleil ne se couche jamais et par parenthèse et corollaire, la nuit non plus, alternativement.


Lors donc, Marco Valdo M.I. mon ami, je vois bien ce que représente cette abdication, mais je ne sais toujours pas où tu voulais en venir quand tu parlais de rompre tes habitudes…


Eh bien, tout simplement au fait que j’avais l’idée de parler à partir de l’illustration. Comme tu le vois, j’illustre cette abdication de ce duc de Bourgogne, Archiduc d’Autriche, Roi d’Espagne, Empereur du Saint Empire, etc par une tapisserie.


Une tapisserie ? Quelle idée !


Oh, j’aurais pu le faire avec le tableau monumental de Louis Gallait, une pièce de 5 mètres de haut sur 8 mètres de long, datée (ça a son importance) de 1841 ; ou avec le tableau un peu plus ancien de Joseph Paelinck, un objet nettement plus petit – 110 sur 147 cm, daté de 1832 ou 1836. Mais donc, la tapisserie… Revenons-y. Pourquoi ? Car, c’est un art moins connu et qu’on a peu l’occasion d’user en ce lieu. De plus, cette abdication se passe au Coudenberg, où se trouve l’actuel Parc de Bruxelles et que coïncidence

Il faut, dit Lucien l’âne rigolard, toujours se laisser séduire par les coïncidences. C’est une bonne raison.

Cette tapisserie se trouve encore à deux pas de là, quelque part dans l’Hôtel de Ville de Bruxelles ; toujours en usage…

C’est un tapis qui aura bien servi, dit Lucien l’âne d’une voix sépulcrale.
Cela dit, elle est aussi assez monumentale avec ses 3,36 m de haut sur 4,05 m de long. Elle n’entrerait pas facilement partout. Pour le reste, il suffit d’écouter ou de lire la chanson, dont l’image est un instantané, même si cette composition ne fut tissée, de laine et de soie par le licier Leyniers, que plus de 150 ans après l’événement qu’elle relate, soit en 1718. Mais ce qui m’importe depuis le début et où je voulais en venir, c’est de faire remarquer que ces trois illustrations que j’ai citées sont antérieures au roman de Charles De Coster et que je suis persuadé – au moins pour ce qui concerne la tapisserie du cartonnier Janssens et le tableau du peintre Gallait – que ’il s’en est inspiré. Ainsi, l’illustration a précédé le texte.

Tout ceci ne donne pas à la chanson une place particulière dans les Chansons contre la Guerre, Dit Lucien l’âne un peu perplexe.

C’est vite dit. D’abord, elle raconte la fin de l’Empire chrétien d’Occident ; Charles-Quint est le dernier à avoir poursuivi cette chimère et à mon avis, c’est très consciemment qu’il la brise. Ensuite, la canzone anime l’image, elle la fait parler et voilà que tout d’un coup le non-dit explose au visage ; soudain, l’oppression débonde, la vraie nature du pouvoir est mise au jour et ce n’est ni beau, ni rassurant. Bref, la chanson raconte l’événement du point de vue personnel de Charles-Quint et montre comment on manipule les peuples et dans quel mépris, ces grands du monde tiennent les gens du commun. Enfin, les conseils que cet Empereur d’expérience donne à son successeur sont proprement effarants, mais révèlent aux aussi toute la fourberie des puissants, leur mauvaise foi, leur mépris et la haine profonde qui les guide. Il y a là une parfait illustration du mécanisme fondamental qui conduit la Guerre de Cent Mille Ans  que les riches et les puissants (d’hier et d’aujourd’hui) font aux pauvres afin de maintenir leur domination, d’étendre leur pouvoir, de multiplier leurs richesses, de consolider l’exploitation, d’augmenter leurs profits…

C’est bien ainsi que je la comprenais cette canzone. Voyons voir et reprenons ensuite notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde héréditaire, infesté de richesses, malade de l’avidité, rongé par le profit et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



On était au jour de l’abdication
Nele vaguait sous le charme de Katheline
Jusqu’à plus de cent lieues, elle devine
Les gens jusque dans les maisons.

Claes dit : Vois-tu jusque Bruxelles ?
Je vois le Coudenberg et le parc, dit Nele.
Je vois dans la petite maison. À l’intérieur,
Il est une pièce verte où se tient l’Empereur.

Un homme bonhomme dans la cinquantaine
Chauve et gris, barbe blonde sur bedaine,
Mentant, mentonnant, toussant, expectorant,
L’œil mauvais, Charles le Cinquième, né à Gand.

Charles pesant sur l’épaule d’Orange en la salle,
Domine le roi Philippe, son fils et sa suite commensale.
Pour la gloire de Dieu et le bien de mes peuples,
J’ai bâti un empire où jamais le soleil ne se couche.

Je laisse tous mes duchés, comtés jusqu’à mes baronnies
Dès à présent à mon fils. Dieu lui prête vie !
Dit le monarque en une tirade finale
Et chacun pleure dans la salle.

Comme il faut peu pour attendrir les hommes.
Quel déluge de larmes !
Un spectacle pour le cœur populaire ; en somme,
Plus utile que les armes.

Les peuples, ah, les peuples sont ridicules.
Plus on les exploite, plus on les accule,
Plus ils nous aiment, plus ils nous adulent ;
Et s’ils regimbent, on les écrase, on les enfume.

Soyez avec eux comme je le fus
Bénin en paroles, rude en action.
Jurez, jurez toujours, tout et même plus
Et reniez aussitôt sans hésitation.

Frappez l’hérésie qui ruine l’autorité.
Tuez la libre-conscience, ce crime de lèse-majesté.
J’ai fait périr cinquante mille hérétiques sans remords ;
Faites-en disparaître plus encore.

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