Exil de Till
Chanson
française – Exil de Till – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel
le Gueux – 6
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
Exil de Till
Pélerin pélerinant |
Vois-tu, Lucien l'âne mon ami, il arrive un jour où l'oisillon quitte le nid. Mille circonstances y président. Parfois, l'oiseau reste à deux coups d'ailes du pays et sans presser y fait son nid. Parfois, il lui faut partir au loin sans que l'on sache trop bien quand il revient. Parfois, c'est de son plein gré, parfois il est exilé. C'est ce qui arrive à Till. Till doit partir en exil, Till doit s'humilier et devenir pèlerin. Les juges en ont décidé ainsi. Il est heureux pour Till qu'ils étaient du village…
Mais
qu'avait donc fait ce
brave garçon ?, demande Lucien l'âne un peu interloqué.
Oh,
rien grand-chose ! Mais ce peu était encore de trop aux yeux
des bigots. Till avait – au cours d'une petite beuverie dominicale
entre amis – critiqué le parti, le parti des prêtres, le
parti
de la toute puissante Église Catholique. Il accusait l'Église de
tirer profit de la Fête des Morts – ce qu'elle fait encore à
présent. Bref, il la disait vénale et chère pour le peuple.
C'était une manière de protestation. Et la protestation contre
l'Église et ses exactions était vraiment mal vue en ce temps-là.
S'en prendre à l'Église, c'était blasphémer et le blasphème
était très sévèrement puni.
On
en a brûlé pour moins que ça, dit Lucien l'âne. Je l'ai vu de mes
propres yeux tout au travers de l'Espagne, la France, les Pays-Bas et
même, l'Italie.
Je
te disais le blasphème… C'est
un truc pervers. J'y
reviens pour une
parenthèse à ce sujet, une parenthèse contemporaine… Till ne
serait pas trop rassuré d'entendre nos bons religieux d'aujourd'hui
s’efforcer remettre le délit (le « crime ») de
blasphème au goût du jour – ici et maintenant, en Europe.
C'est
à n'y pas croire, dit Lucien l'âne.
Et
pourtant, si
on laisse faire ces braves gens, on se retrouvera bientôt aux temps
de Till et des bûchers. Il me paraît, Lucien
l'âne mon ami, qu'il
y a là matière à réflexion et
à sonner l'alarme.
En
effet, c'est là une nouvelle bien inquiétante. Le pire – et je
l'ai vu faire souvent – c'est que ça commence toujours doucement,
tout doucereusement. Puis, on serre, on serre jusqu'à
l'étranglement des
mécréants.
Ces religieux ont de ces manières et toujours, ils tentent de faire
croire que c'est pour notre plus grand bien. Mais dis-moi, Marco
Valdo M.I. mon ami, qu'arrive-t-il à Till ?
Écoute,
Lucien l'âne mon ami. Écoute bien, car cela pourrait t'arriver.
Tout est donc parti d'une petite fête entre amis… Pourtant, il ne
serait rien advenu s'il n'y avait eu un traître dans la bande, qui
s'empressa d'aller dénoncer Till.
C'est
toujours comme ça dans les régimes policiers, dictatoriaux,
totalitaires, inquisitoriaux ou théocratiques, qui ne sont
finalement qu'une seule et même chose, dit Lucien l'âne qui était
allé partout. Il
y a toujours de bonnes âmes ou de bons citoyens pour aller dénoncer
les récalcitrants.
Comme
je te le disais, les juges avaient été assez cléments et sans
doute, avaient-ils – comme souvent le font les juges face à des
régimes autoritaires – usé de la loi en usage pour protéger
Till... À ce stade, même si l'amende, le mois de cachot et l'exil
sont de terribles sanctions, Till échappe à bien pire. Ensuite, la
chanson narre le départ de Till et le désespoir de sa mère
Soetkin, de son père Claes et de son amoureuse, Nelle. Il y a un
fait sur lequel
j'aime attirer l'attention : c'est cette étrange manie du
pardon et de l'humiliation. Ce sont deux pratiques des plus perverses
qui soit. Car leur véritable fonction, leur but réel, c'est de
rabaisser l'homme libre, la femme libre, l'être libre au rang du
disciple, au niveau d'un
membre de la communauté. En
somme, la brebis doit rentrer dans le troupeau. C'est d'ailleurs là
le point central de l'affrontement entre Till le Gueux et le pouvoir,
entre l'individu intelligent et la communauté. C'est de cela que
veut
parler Charles De Coster en écrivant cette épopée.
Eh
bien, attendons la suite, même si elle doit être terrible et
reprenons notre tâche qui consiste à tisser le linceul de ce vieux
monde totalitaire, policier, délateur, dictatorial, religieux,
communautaire et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
milieu des fleurs d'avril
Till
parlait et Nelle souriait
Et
le vent de la mer chantait.
J'ai
froid, j'ai chaud, disait Till.
Le
jour des Morts, Till fit la fête.
L'ami
Lamme payait les bières.
Tous
s'amusaient. Till faisait la bête.
Il
dit : la messe des Morts nous coûte cher.
Avec
l'Église, on ne badine pas.
Un
bon fils collabore, se dit un Judas.
Aux bons pères, il se confessa.
Aux bons pères, il se confessa.
Till
a dit ceci, Till a dit cela.
Un
mois en prison, un mois en cage.
Les
juges tenaient compte de son jeune âge.
Tristesse,
repentance, humiliation.
Till
allait pieds nus dans la procession.
On
bannit l'enfant du pays ; une vilaine punition.
À
Rome, on l'envoya chercher sa rémission.
Claes
paya l'amende de trois florins
Et
munit Till de l’habit de pèlerin.
Tous
accompagnèrent Till
Quand
il dut partir en exil.
Claes
et Soetkin pleuraient.
La
belle Nelle se taisait.
Nelle
se taisait, Till partait.
Les
morts déçus pleuraient.
Tristesse,
repentance, humiliation.
À
Rome, elle coûte cher la rémission.
Tous
les amis accompagnèrent Till
Sur
les premiers pas de l'exil.
Sois
prudent, dit Nelle, ou ils te feront brûler.
Till
dit : Je suis d'amiante et je reviendrai.
Au
bout du chemin où se perd la vue,
Till
continua sans se retourner.
Claes
et Soetkin ont pleuré.
Nelle
encore plus belle s'est tue.
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