mercredi 9 septembre 2015

LA CROISADE DES SYRIENS

LA CROISADE DES SYRIENS




Version française – LA CROISADE DES SYRIENS – Marco Valdo M.I. – 2015 (9/9)

Chanson italienne – La crociata dei Siriani [Der Syrierkreuzzug] – Riccardo Venturi2015 (8/9)


Par là-bas à l'été,
On entendit les gens parler
D'une grande marche bigarrée
Qui, en Hongrie, s'était formée.
(Objet touristique déjà ?, dit Lucien l'âne)



Une parodie de la Croisade des Garçons de Bertolt Brecht adaptée à ces lumineux temps nouveaux, et même très nouveaux. Basée sur la traduction de Ruth Leiser et Franco Fortini et peut-être même sur la musique de Benjamin Britten ou d'autres où on parle de gens en marche, de murs, de soldats, de gares, de premiers ministres, de quotas de réfugiés et même de chiens.


Voici, mon ami Lucien l'âne, une version française de cette « Crociata dei Siriani » de Riccardo Venturi, soit «  LA CROISADE DES SYRIENS ». Cette chanson est tirée en forme de parodie de la Croisade des Enfants  de Bertolt Brecht, qui avait subi le même sort : traduction italienne de Franco Fortini, version française de Marco Valdo M.I. En voyant le texte hier dans les Chansons contre la Guerre, je me suis dit qu'il fallait que je la traduise toutes affaires cessantes… Ce que j'ai fait. J'avais envoyé un petit mot à Ventu pour lui annoncer mon intention. Je ne savais pas, je ne m'étais pas rendu compte que c'était si long. Cependant, c'est fait. J'envoie. Et quand je dis toutes affaires cessantes, ce fut vraiment le cas. J'ai interrompu un travail difficile sur Carlo Levi, la traduction en cours d'autres canzones… Mais, on verra que la chose en valait la peine. Riccardo Venturi a sorti là, dans l'urgence lui aussi, un texte de toute première bourre.


Voilà, dit Lucien l’âne en retroussant ses naseaux, voilà qui met, si j'ose dire, l'eau à la bouche. Je vais m'empresser de le découvrir. J'espère que ta version française sera à la hauteur de l'original. Cela dit, il me paraît que tu avais déjà – en quelque sorte – fait une croisade. N'était-ce pas « La Croisade de Pierre » ? Comme tu le sais, j'y étais, ainsi qu'en atteste le tableau qui illustre cette chanson dans l'Asino (http://asinonuovo.blogspot.com/2015/09/la-croisade-de-pierre.html). En effet, comme tu le sais, comme je l'ai vu de mes yeux d'âne vu, elle marchait dans l’autre sens, cette croisade et elle était composée de bons et valeureux catholiques qui, répondant à l'appel de leur Église, s'en allaient délivrer Jérusalem ; elle était brutale, massacrante et pillarde.


Juste, juste. J'en tire une sentence nouvelle et je rappelle une de nos antiennes. Sentence nouvelle : La peste soit des croix, des croisés, des croisades ! L'ancienne antienne : Fanatiques de tous les pays, calmez-vous !


Holà, elles me semblent tout à fait indiquées pour les temps présents. Et j'ajouterai celle qu'utilisait en concluant chacune de ses Chroniques de la Montagne, notre maître ès écriture, Alexandre Vialatte : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ! », il y a plus d'un demi-siècle déjà. Et pour l'exemple, voici la fin de la Chronique bien utile du requin bleu (5 mai 1968), où il est tout naturellement question de l'âne :
 « On peut même dire qu'il est très difficile de confondre l'âne de Turquie avec la pastenague ou même le rhinobate. Et c'est ainsi qu'Allah est grand ! ». Pour ta gouverne, sache que l'âne de Turquie est un grand âne, la pastenague est généralement une raie et le rhinobate est mieux connu sous le nom musical de « guitare de mer ». 
Cela étant, voyons la chanson et puis, reprenons notre tâche et tissons d'un cœur joyeux mais ferme, obstiné et contraire, le linceul de ce vieux monde massacrant, épouvantable, inhospitalier et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Entre 2012 et 2015 en Syrie,
Il y eut une grande guerre
Qui fit ruines et désert
De tant de villages et de villes.

La sœur y perdit le frère,
La femme, le mari ou l'amant.
Les petits enfants entre le feu et les décombres
Ne retrouvent plus leurs parents.

De Syrie, il ne vint plus rien,
Malgré Twitter et Fessemachin.
Pourtant dans l'Est de l'Europe,
On raconte une histoire étrange.

Par là-bas à l'été,
On entendit les gens parler
D'une grande marche bigarrée
Qui, en Hongrie, s'était formée.

Cheminaient sur les autoroutes
Des gens affamés et attroupés,
Et des villages bombardés
Amenaient d'autres exilés.

Ils voulaient fuir les abattoirs
Et tous ces cauchemars
Et finalement un jour, un soir,
Parvenir à la paix d'un terroir.

C'était des passeurs
Qui les avaient guidés jusque là.
Ils avaient dû donner leurs valeurs
Pour être traités comme des rats.

Certains étaient crevés,
On les avait trouvés prostrés ;
Telle avait été la fin pathétique
De leur voyage vers la paix utopique.

Avec eux marchait un enfant, bien petit
Dans son maillot de Lionel Messi;
Habitué aux combats de rues
Comme un homme, il s'était battu.

Deux frères menaient le cortège.
Ç'avait été de grands stratèges
Dans les ruelles étroites
De leur lointain village.

Il y avait un grison, efflanqué,
Qui rodait seul dans les camps,
Avec son terrible tourment.
Il venait, dit-on, de Kobanê.

Dans leurs rangs, une enfant
Ne voulait pas épouser
Un vieux barbon obsédé
Caquetant les mots d'un dieu répugnant.

Il y avait un chien, aussi.
Pour le manger, ils l'avaient pris ;
Mais le courage leur avait manqué.
Maintenant, il mangeait à leurs côtés.

Il y avait une école et un petit
Maître, un peu décati.
Sur un char, un écolier
Griffonnait « paix », à même l'acier.

Maintenant, sur l'autoroute, ils avançaient ;
Policiers et soldats les regardaient.
D'étranges écriteaux et d'étranges panneaux,
Indiquaient : Budapest ; pour les autos.

Il y avait un amour,
Elle avait douze ans, il en avait quinze.
Dans une cour de décombres,
Il peignait ses cheveux lourds.

Il y avait même un mur
Dressé par le gouvernement ;
Grilles, barbelés, treillis
Hongrie ! disait le cri.

Le criant comme allaient criant
Presque soixante ans auparavant
Ses compatriotes, ses camarades de classe,
Qui fuyaient en masse,

Criant, criant : Liberté !
Personne ne les avait arrêtés.
Les fugues et les douleurs du passé...
Aujourd’hui, tout est oublié.

L'amour ne put pas résister
Dans cette énorme ville ;
Ils se retrouvèrent amassés
Devant la grande gare.

Il y eut même une guerre,
Contre d'autres bandes amies.
Mais la guerre fut vite finie,
Car il n'y avait pas de raison de la faire.

Quand le combat faisait rage encore,
Sur la place de la gare,
On vit qu'à tous, il barrait le chemin
Des quais, des voies et des trains.

Quand les autres l'ont compris
Ils envoyèrent – cela doit être dit
Des leurs, protester sans mollir,
Exiger qu'on les laisse déguerpir.

Entretemps, on discutait de quotas,
D'invasions, d'intégration et bla bla bla.
Alors, de la grande gare,
On fit un camp provisoire.

On aurait cru un camp de concentration
En terre hongroise.
Un camp de concentration sans conscience.
L’hypocrisie gangrenait la nation.

Entre-temps sur les réseaux sociaux,
Sur les télés, les écrans, les journaux
On voyait la belle image
D'un enfant sur une plage.

Il y eut un grand émoi
Chez les chefs, les ministres et les papas.
Comme par miracle, furent relancés
Les pleurs, les charités, les solidarités.

Ainsi, entre les murs rigides,
Les marches forcées, les gares,
Ils allaient par les chemins perfides
Silhouettes que nul ne veut voir.

Il y avait confiance et espoir ;
Il n'y avait ni viande ni pain.
Vous qui n'offrez pas un toit à leurs soirs,
Ne venez pas dire qu'ils volaient vos grains.

Personne n'imputera la faute à ces pauvres
Qu'ils n'invitent pas à table.
Pour ces éprouvés, c'est à manger
Qu'il faut, pas la seule bonté.

C'est au nord qu'ils allaient
C'est au nord que l'argent est,
L'état social, le travail, la belle vie
Et la paix et la sainte famille.

Ils trouvèrent même un soldat
Avec une photo d'Assad ;
Il n'avait pas de billet,
Mais connaissait le trajet.

Il dit : « En Almanya !
Doitzland, Cemania, ! »
Il mourut avant de monter,
En Hongrie, il est enterré.

Comme les trains prenaient le départ
En dépit des flèches et des placards,
Ils durent s'en aller à pied,
Et sortirent de là dépités.

Des chiffres et des sigles, sait-on ;
C'est pour la sécurité, n'est-ce pas
Et la rationalisation.
Les choses dissolvaient déjà.

Tonnaient les premiers ministres,
Pansus, lombards et cerbères ;
Quelqu'un vit la frontière
Il dit : « Ce doit être là derrière. »

La frontière semblait ouverte,
Les frontières ne sont jamais ouvertes.
Ils passèrent à la file indienne
Dans l'« Union Européenne ».

Ils traversèrent d'autres campagnes,
D'autres villages, d'autres montagnes ;
Ils grimpèrent dans les autobus ;
Enfin, tous en Doitzlànd. Terminus.

Où autrefois, on pouvait être Syrien
Maintenant il n'y a rien, plus rien.
Ou bien le tout, et la totalité
Ne mène pas à la vérité.

Je ferme les yeux et en imagination
Je les vois qui errent
Des ruines d'un village
Aux ruines d'une civilisation.

Au-dessus d'eux, là-haut dans les nuages,
Je vois d'autres cortèges, nouveaux, grands !
Ils se heurtent à des murs et des frontières
Sans patrie, sans but évident.

Cherchant la paix sur une terre
Sans incendie, sans ouragan,
Pas comme celle qu'ils laissèrent.
Leur cortège s'étend.

Ce n'est pas Alì, son cas est plus grave.
Ce n'est pas du cinéma, il n'a pas les yeux bleus.
Ici, on cherche de nouveaux esclaves,
La solidarité y est pour bien peu.

On ne les accueille pas, on les engage.
Leur fuite ne finira pas maintenant.
Par terre ou par mer se déplace
Désormais, cette humanité dans le néant.

Par terre et par mer, se déplace
Désormais, cette humanité dans le néant ;
Frontières, pontons, plages,
Soldats, Salvini et Orbán.

Réunions, traités, Dublin,
Schengen, profits, discours bergoglien.
Églises et gouvernements faisaient des comptes,
Sultans et porte-feuilles.

En Hongrie, cet été,
Un chien fut attrapé.
Il avait un écriteau accroché
À son cou décharné.

Dessus, il était écrit en arabe
Et en un anglais épouvantable :
« Helb us were hungry
An go to Germany. »

Le monde entier s'est mobilisé
Pour ce pauvre chien.
Il fut pris et restauré
Et maintenant, lui, il va très bien.

On lui donna un nom hongrois,
János, Miklós, on ne sait comment;
On dit qu'il a été adopté là-bas
Par le premier ministre Orbán.


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