LA CROISADE DES SYRIENS
Version
française – LA CROISADE DES SYRIENS – Marco Valdo M.I. – 2015
(9/9)
Par là-bas à l'été, On entendit les gens parler D'une grande marche bigarrée Qui, en Hongrie, s'était formée. (Objet touristique déjà ?, dit Lucien l'âne) |
Une parodie de la Croisade des Garçons de Bertolt Brecht adaptée à ces lumineux temps nouveaux, et même très nouveaux. Basée sur la traduction de Ruth Leiser et Franco Fortini et peut-être même sur la musique de Benjamin Britten ou d'autres où on parle de gens en marche, de murs, de soldats, de gares, de premiers ministres, de quotas de réfugiés et même de chiens.
Voici,
mon ami Lucien l'âne, une version française de cette « Crociata
dei Siriani » de Riccardo Venturi, soit « LA
CROISADE DES SYRIENS ». Cette
chanson est tirée en forme de parodie de la Croisade
des Enfants de Bertolt Brecht, qui avait subi le même
sort : traduction italienne de Franco Fortini, version française
de Marco Valdo M.I. En voyant le texte hier dans les Chansons contre
la Guerre, je me suis dit qu'il fallait que je la traduise toutes
affaires cessantes… Ce que j'ai fait. J'avais envoyé un petit mot
à Ventu pour lui annoncer mon intention. Je ne savais pas, je ne
m'étais pas rendu compte que c'était si long. Cependant, c'est
fait. J'envoie. Et quand je dis toutes affaires cessantes, ce fut
vraiment le cas. J'ai interrompu un travail difficile sur Carlo Levi,
la traduction en cours d'autres canzones… Mais, on verra que la
chose en valait la peine. Riccardo
Venturi a sorti là, dans l'urgence lui aussi, un texte de toute
première bourre.
Voilà,
dit
Lucien l’âne en retroussant ses naseaux, voilà qui
met, si j'ose dire, l'eau à la bouche. Je vais m'empresser de le
découvrir. J'espère que ta
version française sera à la hauteur de l'original. Cela dit, il me
paraît que tu avais déjà – en quelque sorte – fait une
croisade. N'était-ce pas « La
Croisade de Pierre » ? Comme tu le sais, j'y
étais, ainsi qu'en atteste le tableau qui illustre cette chanson dans
l'Asino
(http://asinonuovo.blogspot.com/2015/09/la-croisade-de-pierre.html). En
effet, comme tu le sais, comme je l'ai vu de mes yeux d'âne
vu, elle marchait dans l’autre sens, cette croisade et elle était
composée de bons et valeureux catholiques qui,
répondant à l'appel de leur Église, s'en allaient
délivrer Jérusalem ; elle était brutale, massacrante et
pillarde.
Juste,
juste. J'en tire une sentence nouvelle et je rappelle une de nos
antiennes. Sentence nouvelle : La peste soit des croix, des
croisés, des croisades ! L'ancienne antienne : Fanatiques
de tous les pays, calmez-vous !
Holà,
elles me semblent tout à fait indiquées pour les temps présents.
Et j'ajouterai celle qu'utilisait en concluant chacune de ses
Chroniques de la Montagne, notre maître ès écriture, Alexandre
Vialatte : « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ! »,
il y a plus d'un demi-siècle déjà. Et pour l'exemple, voici la fin
de la Chronique bien utile du requin bleu (5 mai 1968), où il est
tout naturellement question de l'âne :
« On peut même
dire qu'il est très difficile de confondre l'âne de Turquie avec la
pastenague ou même le rhinobate. Et c'est ainsi qu'Allah est
grand ! ». Pour ta gouverne, sache que l'âne de Turquie
est un grand âne, la pastenague est généralement une raie et le
rhinobate est mieux connu sous le nom musical de « guitare de
mer ».
Cela étant, voyons la chanson et puis, reprenons notre
tâche et tissons d'un cœur joyeux mais ferme, obstiné et
contraire, le linceul de ce vieux monde massacrant, épouvantable,
inhospitalier et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Entre
2012 et 2015
en Syrie,
Il y eut une grande guerre
Qui fit ruines et désert
De tant de villages et de villes.
Il y eut une grande guerre
Qui fit ruines et désert
De tant de villages et de villes.
La
sœur y perdit le frère,
La femme, le mari ou l'amant.
Les petits enfants entre le feu et les décombres
Ne retrouvent plus leurs parents.
La femme, le mari ou l'amant.
Les petits enfants entre le feu et les décombres
Ne retrouvent plus leurs parents.
De
Syrie, il ne vint plus rien,
Malgré Twitter et Fessemachin.
Pourtant dans l'Est de l'Europe,
On raconte une histoire étrange.
Malgré Twitter et Fessemachin.
Pourtant dans l'Est de l'Europe,
On raconte une histoire étrange.
Par
là-bas à l'été,
On entendit les gens parler
D'une grande marche bigarrée
Qui, en Hongrie, s'était formée.
On entendit les gens parler
D'une grande marche bigarrée
Qui, en Hongrie, s'était formée.
Cheminaient
sur les autoroutes
Des gens affamés et attroupés,
Et des villages bombardés
Amenaient d'autres exilés.
Et des villages bombardés
Amenaient d'autres exilés.
Ils
voulaient fuir les abattoirs
Et tous ces cauchemars
Et finalement un jour, un soir,
Parvenir à la paix d'un terroir.
Et tous ces cauchemars
Et finalement un jour, un soir,
Parvenir à la paix d'un terroir.
C'était
des passeurs
Qui les avaient guidés jusque là.
Ils avaient dû donner leurs valeurs
Pour être traités comme des rats.
Qui les avaient guidés jusque là.
Ils avaient dû donner leurs valeurs
Pour être traités comme des rats.
Certains
étaient crevés,
On les avait trouvés prostrés ;
Telle avait été la fin pathétique
De leur voyage vers la paix utopique.
On les avait trouvés prostrés ;
Telle avait été la fin pathétique
De leur voyage vers la paix utopique.
Avec
eux marchait un enfant, bien petit
Dans son maillot de Lionel Messi;
Habitué aux combats de rues
Comme un homme, il s'était battu.
Dans son maillot de Lionel Messi;
Habitué aux combats de rues
Comme un homme, il s'était battu.
Deux
frères menaient le cortège.
Ç'avait
été de grands stratèges
Dans
les ruelles étroites
De
leur lointain village.
Il
y avait un grison, efflanqué,
Qui rodait seul dans les camps,
Avec son terrible tourment.
Il venait, dit-on, de Kobanê.
Qui rodait seul dans les camps,
Avec son terrible tourment.
Il venait, dit-on, de Kobanê.
Dans
leurs rangs, une enfant
Ne voulait pas épouser
Un vieux barbon obsédé
Caquetant les mots d'un dieu répugnant.
Un vieux barbon obsédé
Caquetant les mots d'un dieu répugnant.
Il
y avait un chien, aussi.
Pour le manger, ils l'avaient pris ;
Mais le courage leur avait manqué.
Maintenant, il mangeait à leurs côtés.
Pour le manger, ils l'avaient pris ;
Mais le courage leur avait manqué.
Maintenant, il mangeait à leurs côtés.
Il
y avait une école et un petit
Maître, un peu décati.
Sur un char, un écolier
Griffonnait « paix », à même l'acier.
Maître, un peu décati.
Sur un char, un écolier
Griffonnait « paix », à même l'acier.
Maintenant,
sur l'autoroute, ils avançaient ;
Policiers et soldats les regardaient.
D'étranges écriteaux et d'étranges panneaux,
Indiquaient : Budapest ; pour les autos.
Policiers et soldats les regardaient.
D'étranges écriteaux et d'étranges panneaux,
Indiquaient : Budapest ; pour les autos.
Elle
avait douze ans, il en avait quinze.
Il
y avait même un mur
Dressé par le gouvernement ;
Grilles, barbelés, treillis
Hongrie ! disait le cri.
Dressé par le gouvernement ;
Grilles, barbelés, treillis
Hongrie ! disait le cri.
Le
criant comme allaient criant
Presque soixante ans auparavant
Ses compatriotes, ses camarades de classe,
Qui fuyaient en masse,
Presque soixante ans auparavant
Ses compatriotes, ses camarades de classe,
Qui fuyaient en masse,
Criant,
criant : Liberté !
Personne ne les avait arrêtés.
Les fugues et les douleurs du passé...
Aujourd’hui, tout est oublié.
Personne ne les avait arrêtés.
Les fugues et les douleurs du passé...
Aujourd’hui, tout est oublié.
L'amour ne put pas résister
Dans cette énorme ville ;
Ils se retrouvèrent amassés
Devant la grande gare.
Il
y eut même une guerre,
Contre d'autres bandes amies.
Mais la guerre fut vite finie,
Car il n'y avait pas de raison de la faire.
Contre d'autres bandes amies.
Mais la guerre fut vite finie,
Car il n'y avait pas de raison de la faire.
Quand
le combat faisait rage encore,
Sur la place de la gare,
On vit qu'à tous, il barrait le chemin
Des quais, des voies et des trains.
Sur la place de la gare,
On vit qu'à tous, il barrait le chemin
Des quais, des voies et des trains.
Quand
les autres l'ont compris
Ils envoyèrent – cela doit être dit
Des leurs, protester sans mollir,
Exiger qu'on les laisse déguerpir.
Ils envoyèrent – cela doit être dit
Des leurs, protester sans mollir,
Exiger qu'on les laisse déguerpir.
Entretemps,
on discutait de quotas,
D'invasions, d'intégration et bla bla bla.
Alors, de la grande gare,
On fit un camp provisoire.
D'invasions, d'intégration et bla bla bla.
Alors, de la grande gare,
On fit un camp provisoire.
On
aurait cru un camp de concentration
En
terre hongroise.
Un
camp de concentration sans conscience.
L’hypocrisie
gangrenait la nation.
Entre-temps
sur les réseaux sociaux,
Sur les télés, les écrans, les journaux
On voyait la belle image
D'un enfant sur une plage.
Sur les télés, les écrans, les journaux
On voyait la belle image
D'un enfant sur une plage.
Ainsi, entre les murs rigides,
Les marches forcées, les gares,
Ils allaient par les chemins perfides
Silhouettes que nul ne veut voir.
Il y avait confiance et espoir ;
Il n'y avait ni viande ni pain.
Vous qui n'offrez pas un toit à leurs soirs,
Ne venez pas dire qu'ils volaient vos grains.
Personne
n'imputera la faute à ces pauvres
Qu'ils n'invitent pas à table.
Pour ces éprouvés, c'est à manger
Qu'il faut, pas la seule bonté.
Qu'ils n'invitent pas à table.
Pour ces éprouvés, c'est à manger
Qu'il faut, pas la seule bonté.
C'est
au nord qu'ils allaient
C'est
au nord que l'argent est,
L'état
social, le travail, la belle vie
Et
la paix et la sainte famille.
Ils
trouvèrent même un soldat
Avec une photo d'Assad ;
Il n'avait pas de billet,
Mais connaissait le trajet.
Avec une photo d'Assad ;
Il n'avait pas de billet,
Mais connaissait le trajet.
Comme
les trains prenaient le départ
En dépit des flèches et des placards,
Ils durent s'en aller à pied,
Et sortirent de là dépités.
En dépit des flèches et des placards,
Ils durent s'en aller à pied,
Et sortirent de là dépités.
Des
chiffres et des sigles, sait-on ;
C'est pour la sécurité, n'est-ce pas
Et la rationalisation.
Les choses dissolvaient déjà.
C'est pour la sécurité, n'est-ce pas
Et la rationalisation.
Les choses dissolvaient déjà.
Tonnaient
les premiers ministres,
Pansus, lombards et cerbères ;
Quelqu'un vit la frontière
Il dit : « Ce doit être là derrière. »
Pansus, lombards et cerbères ;
Quelqu'un vit la frontière
Il dit : « Ce doit être là derrière. »
La
frontière semblait ouverte,
Les frontières ne sont jamais ouvertes.
Ils passèrent à la file indienne
Dans l'« Union Européenne ».
Les frontières ne sont jamais ouvertes.
Ils passèrent à la file indienne
Dans l'« Union Européenne ».
Ils
traversèrent d'autres campagnes,
D'autres villages, d'autres montagnes ;
Ils grimpèrent dans les autobus ;
Enfin, tous en Doitzlànd. Terminus.
D'autres villages, d'autres montagnes ;
Ils grimpèrent dans les autobus ;
Enfin, tous en Doitzlànd. Terminus.
Où
autrefois, on pouvait être Syrien
Maintenant il n'y a rien, plus rien.
Ou bien le tout, et la totalité
Ne mène pas à la vérité.
Maintenant il n'y a rien, plus rien.
Ou bien le tout, et la totalité
Ne mène pas à la vérité.
Je
ferme les yeux et en imagination
Je les vois qui errent
Des ruines d'un village
Aux ruines d'une civilisation.
Je les vois qui errent
Des ruines d'un village
Aux ruines d'une civilisation.
Au-dessus
d'eux, là-haut dans les nuages,
Je vois d'autres cortèges, nouveaux, grands !
Ils se heurtent à des murs et des frontières
Sans patrie, sans but évident.
Je vois d'autres cortèges, nouveaux, grands !
Ils se heurtent à des murs et des frontières
Sans patrie, sans but évident.
Cherchant
la paix sur une terre
Sans incendie, sans ouragan,
Pas comme celle qu'ils laissèrent.
Leur cortège s'étend.
Sans incendie, sans ouragan,
Pas comme celle qu'ils laissèrent.
Leur cortège s'étend.
Ce
n'est pas Alì, son cas est plus grave.
Ce n'est pas du cinéma, il n'a pas les yeux bleus.
Ici, on cherche de nouveaux esclaves,
La solidarité y est pour bien peu.
Ce n'est pas du cinéma, il n'a pas les yeux bleus.
Ici, on cherche de nouveaux esclaves,
La solidarité y est pour bien peu.
On
ne les accueille pas, on les engage.
Leur fuite ne finira pas maintenant.
Par terre ou par mer se déplace
Désormais, cette humanité dans le néant.
Leur fuite ne finira pas maintenant.
Par terre ou par mer se déplace
Désormais, cette humanité dans le néant.
Par
terre et par mer, se déplace
Désormais, cette humanité dans le néant ;
Frontières, pontons, plages,
Soldats, Salvini et Orbán.
Désormais, cette humanité dans le néant ;
Frontières, pontons, plages,
Soldats, Salvini et Orbán.
Réunions,
traités, Dublin,
Schengen, profits, discours bergoglien.
Églises et gouvernements faisaient des comptes,
Sultans et porte-feuilles.
Schengen, profits, discours bergoglien.
Églises et gouvernements faisaient des comptes,
Sultans et porte-feuilles.
Dessus,
il était écrit en arabe
Et en un anglais épouvantable :
« Helb us were hungry
An go to Germany. »
Et en un anglais épouvantable :
« Helb us were hungry
An go to Germany. »
Le monde entier s'est mobilisé
Pour ce pauvre chien.
Il fut pris et restauré
Et maintenant, lui, il va très bien.
On
lui donna un nom hongrois,
János, Miklós, on ne sait comment;
On dit qu'il a été adopté là-bas
Par le premier ministre Orbán.
János, Miklós, on ne sait comment;
On dit qu'il a été adopté là-bas
Par le premier ministre Orbán.
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