samedi 6 juin 2015

ACHATS

ACHATS


Version française – ACHATS – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – EinkäufeKurt Tucholsky – 1919

Publié – sous le pseudonyme Theobald Tiger – le 21 décembre 1919 sur “Ulk”, revue satirique berlinoise ( que les nazis fermeront en 1933, après plus de soixante ans de publication ininterrompue).
Musique : Hanns Eisler
Interprète : Ernst Busch in « Ernst Busch Singt Tucholsky Und BrechtDeutsches Miserere »




Un cochon tire-lire rose et gras ?


Tucholsky, évidemment, comment faire autrement ? Tu avais déjà donné une version française de ce Chant de Noël chimiquement corrigé [[46608]] d'Erich Kästner, qu'on apprend encore aujourd'hui en Allemagne dans les bonnes écoles. Deux journalistes, deux poètes, ceux-là. Ça ne m'étonne donc que très peu que tu les suives pas à pas.


Pour tout te dire, Lucien l'âne mon ami, j'aurais bien aimé les rencontrer en ces temps-là. Car de tels journalistes, aujourd'hui, je n'en connais pas et la chose, je pense, s'explique assez bien par l'évolution des journaux et autres grands médias. Il y a là une sorte de banalisation du monde et du discours, une sorte d'industrialisation du travail journalistique. On produit aujourd'hui de l'information comme on produit des vêtements au prix d'une standardisation renforcée et évidemment, au moindre coût. Les journaux de combat ont pour l'essentiel disparu au profit d'organes d'information, au sens orwellien. Mais le filon n'est pas épuisé pour autant ; les textes intéressants passent ailleurs. Heureusement ! La pensée ne peut jamais se soumettre ; elle glisse comme l'eau dans tous les interstices et comme l'eau, elle vient à bout de tous les obstacles. Dans ces Chansons contre la Guerre, par exemple. Bref, ils empruntent d’autres voies. Je nuancerais quand même ceci en disant cela : ni Tucholsky, ni Kästner ne publiaient dans la « grande presse » de leur époque. Ils empruntaient eux aussi déjà des chemins de traverse. Karl Kraus, un Viennois, tenait haut et seul son Fanal.


Arrête-toi là. Je connais tes admirations. Si tu continues, tu vas évoquer Günter Grass. Dis-moi plutôt qui est ce Michel et ce qu'il vient faire dans les chansons contre la guerre.


Lucien l'âne mon ami, je sais que ta question est purement rhétorique et que tu sais aussi bien que moi qui est ce Michel, car on en a déjà parlé ensemble. Néanmoins, précisons qu'il s'agit tout simplement de l'incarnation du petit peuple allemand, de l'Allemagne elle-même, de l'esprit national allemand ou quelque chose dans le genre ou même tout cela à la fois. Finalement, ça dépend des périodes, du contexte, de celui qui en parle. Ici, Tucholsky désigne le peuple allemand, un peuple allemand considéré comme un grand enfant qu'on peut manipuler, ce qui est effectivement le cas à ce moment où les forces politiques sont en pleine effervescence, où le pays est sous tension, où la violence domine les rues. On est en 1919, l'épisode révolutionnaire est passé, la République de Weimar s'est installée en août… On est à la veille de Noël Et Tucholsky énumère avec ironie toutes sortes de cadeaux (à décrypter, ce qui demande de la réflexion, une connaissance de l'histoire allemande et sans doute un peu de recherche ; mais on n'a rien sans rien... ), c'est-à-dire qu'il énumère tout ce qui est à redresser dans le pays (et qu'on ne fera pas) et dénonce cette réaction déjà en place qui finira par asphyxier la République et qui fera le lit du régime nazi.


Me voilà servi. Au fait, j'ai depuis un bon bout de temps la sensation que cette République de Weimar avait quelque parenté avec l'Union Européenne… Quand on voit ce qu'ils font aux Grecs, par exemple [[41719]]. Pour le reste, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde répétitif, embourbé dans le trop, réactionnaire et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Que vais-je offrir au petit MichelPour cette fête de Noël glaciale ?Un bavoir ? Un ballon ?
Un coussin
en caoutchouc qui ne perce pas ?
Une petite
bougie de savon ?
Il n'a pas encore
ça. Il n'a pas encore ça !

Choisirais-je la boîte de construction ?
Vais-je encore lui offrir du papier à lettres, des crayons ?
Un objet avec des touches noir-blanc-rouge ;
Un piano patriotique ?
Un conseil de guerre qui ne triche pas ?
Il n'a pas encore ça. Il n'a pas encore ça !

Lui offrirais-je un pot de chambre à roulettes ?
Offrirais-je un moratoire ?
Un cochon tire-lire rose et gras ?
Un joli crématoire miniature ?
Une nouvelle Cour suprême du Reich intelligente ?
Il n'a pas encore ça. Il n'a pas encore ça !

Ah, chers oncles, tantes, cousins –
Offrez-lui quelque chose. J'ai du mal à.
Vous êtes sérieux et malins,
Accrochez-les sous le sapin.
Mais ne lui offrez pas de Réaction !
Il a déjà ça. Ça, il a déjà !


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