samedi 31 janvier 2015
jeudi 29 janvier 2015
LA FILLE DE KOBANÉ
LA
FILLE DE KOBANÉ
Version
française – LA FILLE DE KOBANÉ – Marco Valdo M.I. – 2015
Sur une route droite avec le fusil en bandoulière.
|
Voici,
Lucien l'âne mon ami, une chanson qu'on dira d'actualité… Elle se
situe dans la ville de Kobané, qui se situe là-bas aux confins de
la Turquie et de la Syrie, dans une région kurde. Une ville martyr,
prise dans les tourbillons des délires de religieux assassins et de
nationalistes ahuris. Une bande immense de crétins, bourrés de
paroles prophétiques. Bref, tout droit sortis d'Absurdie. Là aussi,
la sentence de Jeanson s'applique et on a entendu jusqu'ici les
Kurdes crier : « Au secours ! Les cons nous
cernent ! ». Des tueurs aussi sanglants et aussi stupides
que les Croisés lors de la prise de Jérusalem en 1099. J'ai dit
d'actualité, car après des mois de résistance, les Kurdes viennent
de chasser ces imbéciles et commencent à dégager la ville, du
moins ce qu'il en reste, car tout semble détruit, de l'encerclement.
Ils desserrent l'étau et repoussent les agresseurs.
Laisse-moi
te dire, Marco Valdo M.I. mon ami, le destin incroyable de cette
petite ville. J'avais connu Kobané à ses débuts, il y a cent ans,
quand elle n'était qu'une agglomération naissante que bâtissaient
les réfugiés arméniens. C'était déjà une histoire terrible que
celle de ces gens fuyant le génocide que leur faisaient subir les
Turcs. C'était en 1915. Depuis, les Arméniens sont presque tous
repartis vers d'autres cieux et c'est aux Kurdes d'assumer le destin
effroyable de cette ville.
Effroyable
destinée, c'est bien le mot. Kobané est libérée, mais que
reste-t-il ? Tout est à refaire. Cependant, pour en revenir à
la chanson, elle évoque une fille qui hante l'histoire du siège de
Kobané et qui participe à la défense et à la reconquête, les
armes à la main. Et il est bon que ce soit une femme, bon et
symbolique ; car ce sont aussi des femmes qui composent l'armée
populaire de résistance aux cinglés prophétiques et dès lors, ce
sont des femmes et des jeunes filles qui leur ont infligé cette
formidable défaite.
Oui,
Marco Valdo M.I., mon ami, c'est sans doute le fait le plus important
que raconte cette chanson. Les femmes kurdes n'ont cure des
injonctions prophétiques et n'admettront jamais d'être traitées en
esclaves par des hommes atteints de démence furieuse. Elles sont
fortes et courageuses car elles ont à défendre leur propre vie,
certes, mais surtout celle de leurs enfants, de leurs proches, de
leurs amis, des gens avec lesquels elles bâtissent l'avenir au
quotidien. Des gens avec qui elles construisent la vie. Elles ont
porté la résistance (« Ora e sempre : resistenza!) comme
le firent ici d'autres femmes en d'autres temps.
Et
puis, ces femmes kurdes et leurs hommes sont confrontés à un État
profondément raciste, une sorte de national-islamisme oriental
proche dans sa manière d'être et d'agir du national-socialisme tel
qu'on l'a connu ici, lors de sa montée triomphale et de son
expansion catastrophique. Il y a là un embryon d'État – qu'ils
ont appelé Califat, une bande de truands qui se prennent pour un
État, une baudruche étatique qui gonfle, qui gonfle… Elle en
était à sa montée triomphale… Rien ne l'arrêtait… Et voilà,
patatras... Les femmes de Kobané viennent de le faire...
Et
nous, nous, Marco Valdo M.I. mon ami, nous sommes ici. Il nous
revient de dire les choses et de tisser ainsi le linceul de ce vieux
monde mortifère, insensé, religieux, prophétique, assassin et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
mercredi 28 janvier 2015
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Musique de Nonò Salamone
Interprétation de Ciccio Busacca
En guise d'introduction, voici l'introduction d'une autre chanson en langues française et italienne - intitulée Salvamort - qui raconte, elle aussi, cet assassinat :
La mère de Salvatore, Francesca Serio, a été la première femme dans l’histoire de l'Italie à porter la dénonciation d’un crime mafieux devant un tribunal public.
Le procès,qui en découla est lui aussi emblématique.
D'abord, les hommes de main, puis les carabiniers vinrent tenter de contraindre Francesca, cette femme seule à qui on venait de tuer son fils, à se taire, à passer sous silence ce meurtre.
Elle refusa, elle réclama justice pour Salvatore assassiné.
Prévu à Palerme, le procès fut renvoyé sur le continent. Depuis, c'est devenu une habitude.
Elle persista dans son obstinée revendication de justice.
Le procès eut lieu. Les avocats des parties ne sont pas des inconnus.
Pour porter la voix de la justice, la voix de Salvatore assassiné, il y avait Sandro Pertini.
Pour défendre les assassins, il y avait Giovanni Leone.
Tous deux furent des emblèmes des deux Italies, tous deux furent par la suite et successivement Présidents de la République.
Leone, issu de la Démocratie Chrétienne, dut démissionner de son mandat de Président pour corruption.
Son successeur, Sandro Pertini fut un Président respectable, respecté et d'une haute tenue morale.
Les deux Italies qui s'affrontent encore toujours.
Encore aujourd'hui, les femmes de Sicile qui – comme Laetizia Battaglia – affrontent la mafia, se regroupent pour combattre « cosa loro », pour crever les yeux de la pieuvre, se réclament de cette mère courage.
Carlo Levi l’a soutenue et a raconté cette histoire dans son livre « Le parole sono pietre » - « Les paroles sont des pierres ».
C’est un texte central dans l’œuvre de Carlo Levi.
C'est encore une de ces canzones en deux langues et dont l'auteur espère qu'elles pourront être chantées dans les deux langues le plus souvent possible. Rien n'empêche évidemment de ne chanter qu'en français ou qu'en italien.
Pour rappel, l’ensemble des chansons lévianes veulent montrer le caractère poétique de l’écriture et de la pensée de Carlo Levi et ont vocation à être mises en musique et en scène et chantées.
Pour les amis de langue française, voici une brève biographie de Salvatore Carnevale :
Salvatore "Turi" Carnevale (Galatti Mamertino 23 septembre 1923 – Sciara, 16 mai 1955) - syndicaliste italien.
Ouvrier agricole et syndicaliste socialiste de Sciara (PA) de 32 ans, il fut assassiné le 16 mai 1955 à l'aube tandis qu'il se rendait à son travail dans une carrière de pierres appartenant à l'entreprise Lambertini.
Les tueurs l'assassinèrent sur le chemin muletier des « Cozze secche ».
Carnevale avait donné beaucoup de fil à retordre aux propriétaires terriens pour défendre les droits des travailleurs agricoles.
En 1951, il avait fondé la section socialiste de Sciara et il avait organisé la Camera del Lavoro.
En 1952, il avait revendiqué le partage des produits de la terre pour les paysans et il avait organisé avec les paysans l'occupation symbolique des terres de Giardinaccio, appartenant à la princesse Notarbartolo. Il fut arrêté et sorti de prison, il se réfugia en Toscane pour deux ans, où il découvrit une culture des droits des travailleurs plus forte et plus radicale.
En août 1954, il rentre en Sicile, où il transpose dans les luttes paysannes son expérience acquise dans le Nord.
Trois jours avant d'être assassiné, il avait obtenu pour ses camarades le paiement des salaires en retard et le respect de la journée de 8 heures.
Ont été accusés de son assassinat : Giorgio Panzeca, Antonio Mangiafredda et Luigi Tardibuono, l'intendant de la princesse Notarbartolo.
En première instance, les accusés furent condamnés à la prison à vie. En appel et en Cassation, défendus par Giovanni Leone, les trois accusés furent acquittés.
Pour vous faire entendre l'histoire
De Turiddu Carnivali
Le socialiste mort à Sciara
Assassiné par la mafia.
Pour Turiddu Carnivali
Pleure sa mère
Et pleurent tous les pauvres de la Sicile
Car Turiddu Carnivali
Mourut assassiné
En défendant le pain des pauvres
Et maintenant
Écoutez
Car il y a à apprendre
Dans l'histoire
De Turiddu Carnivali,
Son histoire vous dit :
Ce n'était pas un saint et il fit des miracles
Il monta au ciel sans cordes et escalier
Et sans parachute, il en descendit ;
Son capital était l'amour,
Et il partageait cette richesse avec tous :
Turiddu Carnevale, il était né
Comme le Christ, il est mort assassiné.
Il grandit près de sa malheureuse mère
Compagne de douleur et de peines,
De pain noir et de dure sueur ;
Le Christ du ciel le bénit, il lui dit :
« Toi, mon fils, tu mourras assassiné ;
Les maîtres de Sciara, ces damnés,
Tuent tout qui veut la liberté ».
Pour qui ne le sait pas
C'est un petit pays
De la province de Palerme
Où
Aujourd'hui encore
Règne et commande la mafia
Donc
Turiddu avait ses jours comptés,
Mais rencontrant la mort, il en rit,
Car il voyait les frères condamnés
Sous les pieds de la tyrannie,
Les chairs par le travail broyées
Sur le billot torturées,
Et il ne pouvait supporter l'abus
Ni du baron, ni du mafieux.
Turiddu
Les couche-à-terre, les faces à trident,
Les mange-peu au souffle court :
Le tribunal des pénitents ;
Et il fit loi de cette chair et ce cœur
Et arme pour combattre les puissants
De ce pays désolé et sombre
Où l'histoire avait trouvé un mur.
Et toi qui chaque jour travaille la terre,
Viendra le jour où descend le Messie,
Le socialisme avec son manteau ailé
Qui porte paix, pain et poésie ;
Viens si tu le veux, si tu es décidé,
Si tu es ennemi de la tyrannie,
Si tu embrasses cette foi et cette école
Qui donne l'amour et console les hommes.
Par sa parole le socialisme
Prend les hommes à terre et les élève
Et où elle passe, elle rafraîchit et assainit
Vous êtes comme les rats des égouts.
Vous vous rassasiez de haricots et de trognons ;
Octobre vous laisse des lèvres sèches
Juin avec les dettes et les cals
De l’olivier, vous avez les brindilles
Des épis, le chaume et la paille ».
Prenez les drapeaux et les houes ! » :
Et avant que sorte l'aube
ils firent des cuvettes et creusèrent des fossés :
la terre sembla une table dressée,
Vivante, de chair comme une personne ;
Et sous le rouge de ces drapeaux
Parut un géant chaque journalier.
Avec les menottes et les fusils à la main
Turiddu cria: « Arrière maintenant!
Il n'y a ici ni voleurs ni assassins,
Ce sont les journaliers exploités, chiens,
Qui dans les veines n'ont plus de sang :
Si vous cherchez des voleurs et des brigands
Vous les trouverez dans les palais, avec les amants ».
Il dit : « La loi ne permet pas cela ».
Turiddu lui répondit fièrement :
« Celle-là est la loi des puissants,
Mais il est une loi qui ne se trompe pas et pense
Et dit : pain pour les ventres vides,
Habits pour ceux qui sont nus, eau aux assoiffés
Et à qui travaille honneur et liberté ».
même dans la Bible
Sont écrites ces paoles :
« Habits aux nus ! Eau aux assoiféx !
À qui travaille honneur et liberté ! »
Mais la mafia que pense-t-elle ?
Cette loi ne plaisait pas aux patrons,
Ils étaient comme chiens enragés
Les dents enfoncées dans les jarrets.
Pauvres journaliers malchanceux
Avec ceux-là sur le dos qui vous mordent!
Turiddu connaissait ces bêtes
Et il était vigilant quand il voyait des haies.
Le regard et la pensée dans le vague :
« Mange, mon fils, cœur loyal… » ;
Plus elle le regarde, plus elle le voit sombre :
« Fils, ce travail te fait mal »,
De la main, il s'appuyait au mur.
« Mère », dit Turiddu et il la regarda :
« Je me sens bien ». Et la tête se pencha.
Ce fut la dernière fois
Que Turiddu fut menacé par la mafia
Je dis la dernière fois
Parce que
Ils l'avaient menacé des centaines de fois
Tant de fois peut-être
Ils avaient essayé de le séduire
En lui offrant de l'argent
« Turiddu, fais attention
Tu fais fausse route
Tu es contre les patrons
Et tu sais
Qui se met contre les maîtres
Peut connaître une laide fin
D'un jour à l'autre
Il peut t'arriver
Un malheur »
Turi à ces menaces
Répondait toujours
De la même façon :
« Je suis prêt à mourir
Pour les paysans
Je suis aussi un paysan
J'ai eu la chance
De lire des livres
Et je sais ce que ce vous devez aux paysans :
Ce qui leur revient
Et vous patrons, vous devez leur donner ».
« Turiddu
Fais attention à ce que tu fais
On t'a averti tant de fois
Fais attention »
Turiddu, ce soir-là
Était rentré chez lui
Encore gravée dans son cerveau
Et dès qu'il entra
Sa mère lui servit la soupe prête
Comme tous les soirs
Dès qu'elle le voit arriver
Elle est contente
« Turiddu
Tu es rentré
Mon fils
La soupe est prête
Mange ».
Mais Turi
Ce soir
N'avait pas faim
« Maman
Laisse...
Ce soir
J'ai tant de choses
À penser
Je n'ai pas faim »
La mère a compris
Qu'ils
Avaient menacé Turiddu
Encore une fois.
Je suis ta mère, ne pas avoir de secrets ! »
« Mère, mon jour est arrivé » ; et soupirant
« Christ fut tué et il était innocent ! »
« Fils, mon cœur s'est arrêté :
Tu y a mis trois épées affûtées ! »
Gens qui êtes ici, criez fort :
La mère voit en croix son fils mort.
les mafieux
Ont tenu leur promesse
Le lendemain matin
Alors que Turiddu allait travailler
À la carrière
Sur le sentier
Ils lui ont tiré deux coups de lupara
En plein visage
Pour le défigurer
On n'oubliera jamais ce matin :
Du seize mai
Mil neuf cent cinquante cinq.
Et là-haut, le château domine Sciara
Face à la mer resplendissante
Comme un autel sur d'un cercueil ;
Entre mer et château ce matin
On voit une croix dans l'air clair
Sous la croix, un mort, et avec les oiseaux
Tel un déluge, le pleur des pauvres.
Ce seize mai à Sciara ?
Une heure après que Turi ait quitté la maison
Sa mère entend frapper à la porte
Furieusement
(Sa mère était encore au lit)
C'était l'aube
« Francesca !
Madame Francesca !
Madame Francesca, ouvrez !
Ouvrez, il y a eu un malheur !
Ils ont assassiné Turiddu
Ils ont assassiné votre fils Turiddu
Ils lui ont tiré deux coups de lupara dans la figure
Ils l'ont défiguré
Ils l'ont assassiné
Turiddu,
Ils l'ont assassiné ! »
Le dire ainsi
C'est facile
Mais vous pensez
Pour cette pauvre mère
Qui avait ce seul fils
Comme elle s'habille en vitesse et en fureur
Et commence à courir
Par toutes les rues du village
En criant
En appelant les pauvres à la suivre
Pour aller pleurer
Sur le cadavre de son fils.
Monceaux de sarments qui brûlait
Dans le four avec le vent aux trousses :
« Courez tous pleurer avec moi !
Pauvres, sortez de vos tanières,
Les pauvres
Où se trouvait le cadavre de Turiddu
Mais
personne ne pouvait passer
Personne ne pouvait regarder Turiddu
pour la dernière fois
Turiddu
Il était entouré de carabiniers
La mère
S'agenouille face aux carabiniers
Ne me touchez pas, partez d'ici,
Ne voyez-vous pas que mes mains sont des torches
Je m'enflamme comme poussière dans le feu ;
C'est mon fils, garez-vous,
Laissez mon pleur et ma douleur s'épandre,
Laisser la colombe blanche s'envoler
Qu'il tient dans sa poitrine du côté gauche.
Ne vois-tu pas qu'il perd son sang fin
Laisse-moi approcher que je soulève
Cette pierre qu'il tient comme coussin,
Que sous son visage, je lui mette les mains
Sur sa poitrine, je pose mon cœur
Qu'avec mon pleur, je soigne ses blessures
Avant qu'il fasse jour demain matin.
Mon fils avait le sang d'or fin
Je creuse sa fosse avec mes mains !
Oh, s'il n'y avait ma foi !
Ce socialisme qui ouvre les bras
Et qui me donne espoir et courage ;
Tu me l'enseignas et tu me tenais entre tes bras
Et sur tes mains, je te pleurais
Tu m'essuyas avec ton mouchoir,
Je me sentais mourir d'amour.
Je te parlais comme une pénitente
Maintenant défaite par tant de douleur
Je donne ma voix à ces commandements :
Je veux mourir de ton amour
Je veux mourir avec ces sentiments.
Fils, je t'ai volé ta bannière :
Je suis ta mère et camarade sincère ! »