Chanson française – Les Rupins – Léo Ferré - 1961
Depuis ce temps-là, ils n'ont pas changé |
Voici
donc, mon cher Lucien l'âne mon ami, cette chanson de Léo Ferré
que je t'avais promise l'autre jour. Cette chanson pour laquelle
j'avais fait une digression sur le sens du mot qui en est le titre :
« rupin ». Je te rappelle, non que je pense que tu as peu
de mémoire et que tu ne t'en souviennes pas, mais car cela a son
importance, que j'avais fait cette digression en devisant avec toi
d'une canzone italienne dont j'avais intitulé la version française
«
ROME
EST FAITE POUR LES RUPINS »
[[48219]]. Ces deux canzones se répondent et se complètent. Toutes
les deux se situent dans une capitale : Rome et Paris. Celle de
Rome, on le sait, décrit très exactement la situation de misère
qui est faite aux pauvres ; celle de Paris, décrit très
exactement les « rupins ». Très exactement et au
picrate. Résultat : elle fut interdite… En fait, ce fut tout
le disque qui subit le même sort…
En fait, comme tu dis, c'est assez dans le style de la censure de ne pas trop faire le détail…, dit Lucien l'âne légèrement sentencieux. Mais, pour en revenir à la chanson « Les Rupins », j'ai un peu l'impression que si on la sort de son contexte « parisien », elle décrit tout simplement ce que l'on appelle maintenant la « jet-set » et plus classiquement, la haute bourgeoisie…
Oui, la « haute » tout court, celle que l'on trouvait déjà dans la chanson d'Erich Kästner « Wintersport » [[43751]]. On est bien dans ce monde en escalier de Claudio Lolli [[48142]], mais en haut. Comme aurait Nizan, il faut connaître ses ennemis… de l'intérieur, comme une introspection. Avec précision.
Bref, c'est en quelque sorte un éclairage, un coup de projecteur sur le camp des riches qui s'active dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches (précisément) mènent contre les pauvres afin de les domestiquer, de les réduire à rien ou presque, de les exploiter afin de renforcer leurs privilèges, d'accroître leur domination, de multiplier leurs richesses. Ainsi nous faisons notre tâche en tissant le linceul de ce vieux monde riche, trop riche, rupin, requin et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le chapeau sur l’œil,
Le reste à Auteuil,
Ils ont trente-six mains,
Les rupins.
Aux Galeries La Farfouillette,
Ils farfouillent et font leurs emplettes ;
Aux Galeries Saint-Honoré,
Ils se foutent un gâteau dans le cornet.
La serviette au col,
Le pif sur le bol,
Ils ont le bec fin,
Les rupins.
Leur couteau comme un stylographe,
Ils découpent et font des paraphes
En regardant sur le mur blanc
Pendre l'assiette en vieux Rouen.
Mille hectares de bois,
Un hectare au Bois,
C'est très parisien,
Les rupins.
Le fric, c'est comme les parchemins,
Ça se met en tas dans un petit coin ;
C'est pas méchant, ça ne fait pas de bruit,
Pas même quand ça fait ses petits.
Madame allongée,
Le plumard anglais,
Ils font ça très bien,
Les rupins.
Quand on est deux, c'est pour la vie ;
Quand on est trois, c'est plus gentil ;
Quand on est quatre, c'est plus carré ;
Suffit de savoir s'y retrouver.
Mademoiselle est là,
Le ventre aux abois ;
C'est pas des lapins,
Les rupins.
Voyages en Suisse, produits anglais :
Faut voir comme ils sont informés,
Faut pas ternir les vieux blasons,
Faut que tout soit propre à la maison.
Faut la Mercedes,
Bizness is bizness,
Ça n'est pas chauvin,
Les rupins.
On part au ski bridger un brin ;
On part à Cannes, quand on revient ;
Si partir, c'est mourir un peu,
Les rupins, ça ne doit pas se faire vieux.
La révolution,
C'est une opinion ;
Ça ne mange pas que du pain,
Les rupins.
On coupe une tête par-ci par-là,
Vingt ans après, tiens, les revoilà !
Les rupins, c'est comme la chienlit :
Plus on l'arrache, plus ça se reproduit !
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