lundi 22 juillet 2019

QUAND LES ARMES SE SONT TUES


QUAND LES ARMES SE SONT TUES



Version française – QUAND LES ARMES SE SONT TUES – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Als die Waffen schwiegen Saltatio Mortis – 2015



 

Stille Nacht! Heilige Nacht!
Alles schläft; einsam wacht



Dialogue Maïeutique


M’est avis, dit Marco Valdo M.I., qu’ils auraient mieux fait de créer des chorales et de chanter, même des cantiques idiots, toute la journée jusqu’à épuisement. Au moins pendant ce temps-là, comme celui qui siffle quand il va sur les arbres cueillir les cerises, ils n’auraient pas fait tant de conneries.

Dont acte, dit Lucien l’âne ; mais quand même, évitons les chants sirupeux. Allons, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde crédule, gluant, manipulé, peuplé de niais et d’escrocs et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Il faisait froid dans les Flandres le jour de Noël,
Après trop de guerres,
En 1914, à l’hiver du monde,
Quand les armes se sont tues.
Contre la mort, hors des tranchées
Retentit une chanson simple,
Une « Douce nuit » en plusieurs langues ;
Ça ressemblait à un miracle.

Quand les armes se sont tues.
Et quand le silence éclata,
Un chant des tranchées
Promit la paix.
Un moment, personne ne voulait plus vaincre ;
Le soldat fut aussi un homme,
Quand les armes se sont tues.

Une mer de bougies au long des tranchées,
Éclairait la nuit,
Et des sentinelles courageuses ont levé la main,
Ont quitté leur poste.
Bientôt, ils chantèrent ensemble.
Ennemis, soldats,
Par-dessus les tranchées,
Célébraient Noël
Dans la guerre, avec la mort et la boue.

Quand les armes se sont tues.
Et quand le silence éclata,
Un chant des tranchées
Promit la paix.
Un moment, personne ne voulait plus vaincre ;
Le soldat fut aussi un homme,
Quand les armes se sont tues.

Il y avait tellement d’espoir à ce moment-là,
Il y avait tant de bonheur à ce moment-là.
Le moment était une promesse,
Mais le chemin repartit en arrière,
Retour vers les tranchées froides,
Retour vers la souffrance et la mort.
Tout espoir s’est éteint
À l’aube.
Quand les armes se sont tues…

samedi 20 juillet 2019

TUONS LE CLAIR DE LUNE



TUONS LE CLAIR DE LUNE


Version française – TUONS LE CLAIR DE LUNE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienneUccidiamo il chiaro di lunaFahrenheit 451 – 1998
Texte et musique : Andrea Manzo






Dialogue Maïeutique


Je suppose, Lucien l’âne mon ami, toi qui marchas sur toutes les rives de la Méditerranée, et je suis même certain que tu connais Venise, son passé prestigieux et sa réputation.


Oh, dit Lucien l’âne, tu ne peux pas te tromper beaucoup en disant ça ; tu pourrais même y ajouter la Mer Noire, le Pont Euxin, les bords du Bosphore, la mer Égée et tant d’autres. Pour faire court, j’ajouterai l’Adriatique au fond de laquelle se cache la lagune et sa Cité-perle, Venise. J’ai parcouru aussi les rives de l’Atlantique et je suis allé sur d’autres rivages au bout du monde, mais c’est là une autre histoire. Tout ça pour dire qu’en effet, j’ai connu Venise et j’ai vu les temps de sa splendeur orgueilleuse. J’ai même entendu dernièrement des échos de son triste destin.


Eh bien, reprend Marco Valdo M.I., c’est précisément ce sort funeste qui est le thème de la chanson. Enfin, d’une partie de ce sort, car elle n’aborde pas le lent enfoncement de la cité dans le creux de la lagune, cette lente et longue agonie, irréfrénable, semble-t-il. Certaine même. Sans doute faudra-t-il entendre un jour cette interjection de sermon :


« Venise se meurt, Venise est morte ! »


À cela, me paraît-il, selon ce que j’ai entendu, dit Lucien l’âne, il n’y a pas grand-chose à faire et ce qui serait fait ne ferait que retarder un peu l’échéance. Mais laissons cela qui est assez sinistre et si ce n’est pas ce malheur, voyons les événements catastrophiques qu’envisage la chanson.


Donc, Lucien l’âne mon ami, laissant de côté ce destin de noyade, en soi déjà épouvantable, il y a aussi que Venise se vide de ses habitants – de ceux qui la font vivre quotidiennement, autant dire de son sang et qu’elle se transforme en une sorte de parc à thème pour touristes en mal de séjour romantique, suivant en cela un mouvement général. Le délire touristique, nourri de l’avidité des marchands illusionnistes, étrangle la vie partout dans le monde, jusqu’au sommet de l’Everest où cet été, on fait la file jusqu’à en mourir. Pour ce qui est de Venise, la ville paye cher sa réputation de clair de lune que vise expressément la chanson. Le groupe Fahrentheit 451 a parfaitement raison de crier :


« Tuons le clair de lune... »


Vraiment, elle a raison, dit Lucien l’âne. Rien de pire que les clairs de lune. Maubeuge aussi en a souffert, elle qui se meurt à deux pas de chez nous dans la célébration de son clair de lune. Souviens-toi, Marco Valdo M.I. mon ami, de ce fameux clair de lune qui perça les oreilles populaires jusqu’à les user. Mais pour qu’on n’en perde pas la trace, je te la récite en entier telle que l’avait écrite et interprétée son auteur, le chauffeur de taxi parisien Pierre Perrin. Donc voici, « Un Clair de Lune à Maubeuge » (1961)


Je suis allé aux fraises,
Je suis rev
enu de Pontoise,
J’ai filé à l’anglaise
Avec une Tonkinoise.
Oui, j’ai roulé ma bosse,
Je connais l’univers,
J’ai même roulé carrosse
Et
j’ai roulé les R
Et je dis non, non, non, non, non !
Oui ! Je dis non, non, non, non, non, non, non, non, non !
Tout ça ne vaut pas
Un clair de lune à Maubeuge ;
Tout ça ne vaut pas
Le doux soleil de Tourcoing
Coin, coin ! Coin, coin !
Tout ça n
e vaut pas
Une croisière sur la Meuse,
Tout ça n
e vaut pas
Des vacances au Kremlin-Bicêtre.

J’ai fait toutes les bêtises
Qu’on peut imaginer,
J’en ai fait à ma guise
Et aussi à Cambrai.
Je connais toutes les mers :
La Mer Rouge, la Mer Noire,
La Mer-diterranée,
La
Mer de Charles Trenet
Et je dis non, non, non, non, non !
Oui ! Je dis non, non, non, non, non, non, non, non, non !
Tout ça ne vaut pas
Un clair de lune à Maubeuge ;
Tout ça ne vaut pas
Le doux soleil de Tourcoing
Coin, coin ! Coin, coin !
Tout ça ne vaut pas
Une croisière sur la Meuse,
Tout ça ne vaut pas
Faire du sport au Kremlin-Bicêtre. »


Oh, Lucien l’âne mon ami, j’aime beaucoup cette comparaison, ce lien entre Venise et Maubeuge, car l’une et l’autre ville ont souffert de cette notoriété lunaire. Maubeuge est bourrée de clairs de lune et c’est là toute sa gloire. Venise meurt du tourisme né pareillement de trop de célébrité et du goût glamoureux de certains pour les lunes ; la Sérénissime survit des oripeaux de ses gloires passées. Pourra-t-elle jamais s’en dépêtrer ?


J’en doute, dit Lucien l’âne. Cela dit, tissons le linceul de ce vieux monde historique, archéologique, fantasmagorique et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.






Comme un sort qui ne veut pas se défaire,
Là-bas, la terre se lie à la mer
Éclairs dorés, échos du temps,
Fragile magie majestueuse de l’enchantement.


En promenade de venelles en placettes,
En haut, on voit les bannières anciennes
D’une cité autrefois reine
Dominatrice et maintenant, en ruines.


Comme le sang laisse la blessure vive
Venise se vide et perd sa vie.
Les maisons et les palais restent vides,
Seuls quelques vivants y vivent


Parmi ces pierres corrodées par les événements
D’une culture qui vit désormais péniblement,
Pourchassés sans pitié et en traître
Pour faire place aux nouveaux maîtres.


Tuons le clair de lune,
Les gondoles placides sur la lagune,
Cette image de carte postale,
Ces gens en vedette dans les vitrines.


Tuons le clair de lune,
Les gondoles placides sur la lagune,
Cette image de carte postale,
Ces gens en vedette dans les vitrines,


Tableaux au mur accrochés
Pour les touristes qui viennent regarder
Ces maîtres un temps des sept mers
Vendus pour trente deniers au marché.


Seule la dignité nous reste.
Arrêtons les joutes, relevons la tête !
Ponts et canaux reprenons !
Hyènes et requins chez eux renvoyons !


Tuons le clair de lune,
Les gondoles placides sur la lagune,
Cette image de carte postale,
Ces gens en vedette dans les vitrines.


Tuons le clair de lune,
Les gondoles placides sur la lagune,
Cette image de carte postale,
Ces gens en vedette dans les vitrines.

jeudi 18 juillet 2019

Confiné pour confiné


Confiné pour confiné


Lettre de prison 37
15 juillet 1935







Dialogue Maïeutique

Moi, dit Lucien l’âne, je me demande ce qui se passait à ce moment-là, au moment où le prisonnier politique Carlo Levi écrivait cette lettre à sa mère.

C’est une excellente réflexion, Lucien l’âne mon ami, car le prisonnier non plus n’en sait pas grand-chose. Rappelle-toi que les seules personnes qu’il rencontre et à qui il pourrait parler sont les gardiens et les policiers qui l’interrogent et qui, cela va de soi, ne lui disent pas grand-chose. Reste la lecture, mais les seules lectures qu’il peut avoir, ce sont les lettres de sa famille –

« Huit jours déjà,
Huit jours que je ne reçois pas
Vos nouvelles lettres. »

qui n’arrivent plus, les livres anciens de la bibliothèque et les gazettes sportives. Et encore, pour ces dernières, je ne suis pas que dans sa nouvelle prison, il les reçoive encore. C’est la conséquence d’un isolement voulu par l’Autorité ; ici, la police politique fasciste. L’isolement et l’absence de nouvelles visent à couper le prisonnier du reste du monde.

Sans doute, Marco Valdo M.I., s’agit-il de le déforcer, de l’affaiblir, de lui faire ressentir un sentiment, une sensation d’abandon et lui imposer une perte des repères temporels et relationnels. Il s’agit aussi de lui instiller l’impression de sa propre néantisation. Il ne reçoit plus rien de l’extérieur, il n’entend plus rien de l’extérieur, il ne voit plus rien de l’extérieur. On l’incite à penser que l’extérieur ne le connaît plus. Avec un tel système de torture mentale et psychologique, on peut faire très mal ; on peut tuer des gens sans jamais afficher de violence manifeste. On crée des morts-vivants, des sortes de zombies agonisant lentement. Évidemment, les effets se font sentir progressivement – au début. Tout dépend aussi de la capacité de résistance du prisonnier – mais je pense que pour Carlo Levi, la résistance était une qualité intrinsèque ; il fais it partie de ceux qui face au fascisme avaient comme devise : Ora e sempre : Resistenza ! Mais quand même, que raconte cette lettre ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, outre le bilan de sa situation passée et actuelle du prisonnier, elle fait part de la grande nouvelle : le « tribunal » a statué sur son sort. Le Dr. Levi est condamné au confinement.

« On arrive enfin
Au bout de la procédure.
Je n’en voyais pas la fin.
On m’envoie aux confins »

D’un certain côté, dit Lucien l’âne, c’est un soulagement ; il sort de l’incertitude de son sort, qui était une source de tracas.

En effet, répond Marco Valdo M.I., il est fixé pour les temps à venir. Au moins, pour les temps proches. De plus, il va quand même sortir de l’atmosphère délétère de la cellule et sans doute, va-t-il trouver une certaine autonomie de mouvement et mieux encore, il va pouvoir se remettre à la création picturale, il va pouvoir peindre. Il s’y projette déjà :

« Il me faut
Des couleurs, la grande palette, des pinceaux,
Des toiles, de quoi faire mes tableaux. »


Ce sont là de bonnes nouvelles, finalement, conclut Lucien l’âne, car comme d’autres – Gaetano Bresci ou Antonio Gramsci, par exemple, on aurait pu le garder au trou jusqu’à la porte de l’agonie ou jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pour le reste, tissons, nous aussi, le linceul de ce vieux monde étouffant, mortel, confiné et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Deux mois déjà,
Deux mois entiers
Sont passés
Depuis le matin froid
Où on m’a arrêté.

Huit jours déjà,
Huit jours que je ne reçois pas
Vos nouvelles lettres.
On ne sait jamais pourquoi
Elles traînent d’un bureau à l’autre.

On arrive enfin
Au bout de la procédure.
Je n’en voyais pas la fin.
On m’envoie aux confins ;
C’est une mesure très dure.

Confiné pour confiné,
J’ai demandé
À être placé
Dans une commune
Où je pourrai faire de la peinture.

Je suis invité à la Biennale de Venise.
Pour combien de tableaux ? Je ne sais.
J’aimerais une salle particulière.
Je la remplirais sans difficulté,
Je ne manque pas de matière.

Pour aller en relégation
Et même pour rentrer à la maison,
Il me faut
Des couleurs, la grande palette, des pinceaux,
Des toiles, de quoi faire mes tableaux.

mercredi 17 juillet 2019

LA DIGNITÉ DU COCHON EST INTANGIBLE !


LA DIGNITÉ DU COCHON EST 
INTANGIBLE  !

Version française – LA DIGNITÉ DU COCHON EST INTANGIBLE  ! – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Die Würde des Schweins ist unantastbar !Reinhard Mey1991









Dialogue Maïeutique


Sans commentaires !, dit Marco Valdo M.I., sauf pour dire que Boris Vian avait fait le lien dans son Joyeux tango des Bouchers de la Villette, que je résume :

« Faut que ça saigne !
Faut que les peaux se fassent tanner,
Faut que les pieds se fassent paner,
Que les têtes aillent mariner,
Faut que ça saigne !
Faut avaler de la barbaque
Pour être bien gras quand on claque
Et nourrir des vers comaques,
Faut que ça saigne !
Bien fort !

C’est le tango des joyeux militaires,
Des gais vainqueurs de partout et d’ailleurs ;
C’est le tango des fameux va-t-en-guerre,
C’est le tango de tous les fossoyeurs !
...
Tiens ! Voilà du boudin ! Voilà du boudin !
Voilà du boudin ! »

Oh, dit Lucien l’âne, mourir tout seul, âne, homme ou cochon, on meurt toujours tout Seul, disait Brel :

« On est deux à vieillir
Contre le temps qui cogne,
Mais lorsqu’on voit venir
En riant la charogne,
On se retrouve seul. »

Et j’ajoute, car cela s’impose absolument, dit Marco Valdo M.I., un poil de philosophie réaliste : mourir seul ou tous ensemble, hommes et bêtes, quelle importance ? Quel est le sens de la vie ?, demande le cochon. Mourir, dit l’homme. The meaning of life ! : « Always Look on the Bright Side of Life », c’est le seul conseil qu’on peut donner à chacun, le seul qui vaille pour tous les destins.

Certes, mais la cruauté est-elle bien raisonnable ?, dit Lucien l’âne. Tissons le linceul de ce vieux monde carnassier, carnivore, assassin, condamné à la mort et d’ailleurs, cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






C’était dans une boîte hermétique,
Sur du béton, à l’usage de couche impropre,
Qu’elle a découvert l’éclairage électrique.
Elle était le porcelet numéro quatre,
Trois autres étaient tassés au-dessus d’elle.
Elle faillit étouffer dans une cohue pareille  !
Après deux semaines d’allaitement,
Quelqu’un est venu et a emmené sa maman,
Mais même après que le souvenir se soit défait,
Parfois, il lui arrivait
De se souvenir des mots de sa maman :
« La dignité du cochon est intangible  ! »


Sa prison est devenue son chez soi ;
Jour après jour, toujours au même endroit
Et toujours assise dans sa propre abjection.
Pour son nez fin, quelle puanteur  !
Elle était triste de cette horreur ;
Puis, il y a eu les injections.
Puis, on l’a forcée à la reproduction,
Elle n’a jamais accepté ça,
La porcitude n’est qu’élevage et engraissement
Et quand on a ouvert son testament,
Elle y disait comme sa maman le disait déjà :
« La dignité du cochon est intangible  ! »


Puis un jour, la bétaillère est arrivée,
Par la queue et l’oreille, on l’a attrapée
Avec ses compagnons de servitude,
Qui tremblaient et criaient de peur,
Transportée debout pendant des heures,
Beaucoup plus confinée que d’habitude.
La truie est intelligente, elle sent déjà
La situation tragique qui l’attend là.
Elle sait qu’elle va à son dernier reposoir.
Elle reconnaît l’abattoir,
Et elle s’y rend sans se battre.
« La dignité du cochon est intangible  ! »


Elle n’a jamais vu le ciel, ni sa lumière,
Jamais été gambader dans un pré vert,
Jamais été assise sur la paille fraîchement cueillie,
Jamais lavée dans la boue en plein air,
Jamais joyeusement accouplée, ni divertie.
Comment pourrais-je manger tant de misère ?
Le menu à la main, mon regard se morfond,
Je réfléchis à ce terrible destin
Et je pense soudain.
Je ne veux pas, pauvres cochons,
Être complice de vos douleurs.
Comme j’étais invité dans ce restaurant,
J’ai commandé à l’instant
Le chou-fleur cuit à la vapeur.
« La dignité du cochon est intangible  ! »





jeudi 11 juillet 2019

FRONTIÈRE

FRONTIÈRE


Version française – FRONTIÈRE – Marco Valdo M.I.2019
Chanson allemande – GrenzeReinhard Mey – 1991







Dialogue Maïeutique

Il y a, Lucien l’âne mon ami, bien des chansons – allemandes, surtout, allemandes – qui parlent du mur de Berlin et de ceux qui y furent confrontés.

Oh oui, dit Lucien l’âne, et j’avais beaucoup aimé la version française de celle où Wolf Biermann met en scène François Villon sur le fameux mur et face aux gardes légèrement décontenancés ; si je me souviens bien, elle s’intitulait « Ballade auf den Dichter François Villon » – et la version française « BALLADE DU POÈTE FRANÇOIS VILLON ».

En effet, c’était une fameuse ballade, dit Marco Valdo M.I., et Wolf Biermann, à propos du mur et de tout ce qui l’entourait, était – si j’ose dire – bien placé pour en savoir. Il a écrit beaucoup de chansons dans ce contexte assez particulier. Par parenthèse, tout comme pour Reinhard Mey, Franz-Josef Degenhardt, Erich Kästner, Kurt Tucholky ou Bert Brecht et tant d’autres, j’ai comme une envie d’une intégrale, une forte tendance à souhaiter pour ces auteurs que l’on recense ici toutes leurs chansons. La même sensation, le même souhait d’exhaustivité, me prend chaque fois que je me retrouve en présence d’auteurs d’un répertoire de qualité, quelle qu’en soit l’origine ou la langue. C’est d’ailleurs logique, pourquoi, par exemple, couper un morceau du répertoire de Georges Brassens, sachant que tout est dans tout et que la paix et la guerre sont des états d’une seule et même chose et que les meilleures chansons contre la guerre sont sans aucun doute les chansons de paix, celles qui ne racontent pas la guerre, celles qui proposent un moment du monde sans guerre – militaire. La guerre est un moment particulier de la paix et inversement, car la Guerre de Cent Mille Ans se poursuit sans se lasser jamais dans tous les instants de la vie.

Du moins, dit Lucien l’âne, tant qu’il y aura des hommes. Cela dit, j’aimerais beaucoup que tu me parles de cette chanson de Reinhard Mey.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, il me faut en premier lieu indiquer, qui s’intitule « Grenze », ce qu’on peut traduire habituellement par « Frontière », a été composée et chantée en 1991, c’est-à-dire après la disparition de la République Démocratique Allemande et après le démantèlement de cette fameuse frontière, qui courait tout le long entre les deux Allemagnes et de ce mur berlinois sur lequel en 1968 dansait François Villon, titillant malicieusement les Vopos frontaliers. C’est que, comme son auteur, elle est d’une autre génération ; elle parle à partir d’un autre moment.

Mais que dit donc cette chanson, demande Lucien l’âne.

Que dit la chanson ? Écoute, Lucien l’âne mon ami, écoute bien, car il y a un récit caché dans le récit. Donc, la chanson raconte une histoire apparente qui raconte une histoire invisible, mais dans le fond, comme tu le verras, c’est la même histoire. L’évidente, c’est celle du boulon qui une fois vissé ne peut être dévissé et dont les deux bouts continuent à être ainsi liés l’un à l’autre. C’est un casse-tête, une sorte pernicieuse de piège, car ce petit ustensile servait à verrouiller la clôture qui était le dernier maillon de l’important dispositif de la frontière, celle qui donne le titre à la chanson. Il était l’ultime épreuve où venaient s’échouer les fugitifs, qui repérés, étaient abattus sur place par le mitrailleur de service. Comme ces fuyards tentaient l’aventure de nuit, c’était dans le cône de lumière d’un projecteur qu’ils jouaient leur dernière scène.

Ah, dit Lucien l’âne, et l’histoire dissimulée, alors, quelle est-elle ?

Tout simplement, répond Marco Valdo M.I., sans que ce soit vraiment dit, l’histoire réelle de la séparation allemande et de la frontière entre ces deux pays, qui comme le boulon, n’en ont jamais été qu’un seul – au moins dans l’imaginaire allemand et ont d’ailleurs, finit par se ressouder. C’est l’histoire de ceux qui venus de l’Est, tentaient de gagner l’autre côté, dit de la liberté, en perdant la vie ; du mins, la plupart d’entre eux. Certes, il y en a eu qui ont tenté et réussi le coup en ballon, mais ils furent une exception et ce fut un exploit. J’avais raconté ça dans Le Tambour et mon grand Amour, Nosferatu le Vampire. Quant à ce qu’on appelle habituellement la morale de l’histoire, on la trouve naturellement tout à la fin de la chanson et je te laisse la découvrir.

C’est mieux, dit Lucien l’âne, car les histoires allemandes sont parfois bien étranges et comment dire, très allemandes. Et sans doute, est-ce une de celles-là. Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde alambiqué, inventif, bardé de frontières et de gardes et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Un inconnu, venu de l’Est, m’a remis
Ce boulon de la longueur d’un doigt
Fait d’acier chrome-nickel gris.
« Ce boulon, dit-il, était autrefois.
Vissé à la clôture en fils de fer,
Dressée le long de la frontière
Comme dernier obstacle à la liberté.
On ne peut le desserrer par la force,
Ni par la patience, ni par la ruse,
Car une fois vissé, il ne peut être dévissé.
Je te le donne, regarde-le attentivement,
Dessus collent des larmes et du sang. »


Avec ces mots, il m’a laissé.
Incrédule, j’ai commencé à le manipuler,
Et doucement, je me suis inquiété.
Les écrous aux deux bouts ont tourné,
Ensemble, en rond, en cadence, enlacés.
Le filet ne bougeait pas d’un pas.
J’ai tiré, j’ai poussé, j’ai essayé une dernière fois,
Ce boulon était d’une diabolique ingéniosité !
Face ces bouts ronds aux extrémités,
Aucune clé dans le monde ne pouvait rien.
Je l’ai tenue dans ma main, serrée dans mon poing.
À cette pensée, le froid m’a submergé.


Combien d’évasions ont échoué,
Là où la liberté était à portée,
Quand la zone interdite était déjà dépassée
Et la clôture et l’écriteau danger de mort,
Quand la patrouille, toujours par deux, était passée.
Quand dans sa tour, le garde à l’uniforme gris,
Tenait sa mitrailleuse braquée dehors,
Quand ses jumelles fouillaient la nuit.
Les feux clignotent, tout s’illumine soudain,
Des appels, des coups de feu et des aboiements de chien :
Derrière les fossés, les mines, les barbelés,
Combien, dans la lumière, à la dernière clôture, ont échoué !


Et je me demandais derrière quel front borné,
Dans quel cerveau malade et maléfique,
Avait vu le jour ce brevet diabolique.
Et qui avait donné l’ordre de l’inventer ?
Qui l’avait dessiné et qui l’avait forgé ?
Et qui était le dernier maillon de la chaîne ?
Qui l’avait testé et qui l’avait vissé,
En avait-il honte, avait-il cru à ce machin ?
Était-ce un ostensible mépris de l’homme ?
Et qui avait obéi en silence et qui avait donné l’ordre ?
Quelle que soit la réponse, il était évident
Que c’était sûrement un patron allemand.

vendredi 5 juillet 2019

La Tête d’Olympia


La Tête d’Olympia


Lettre de prison 36
8 juillet 1935





Dialogue Maïeutique


Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson qui ouvre des perspectives intéressantes sur le paysage artistique et plus particulièrement, pictural auquel songe Carlo Levi du fond de sa cellule. Il revoit ses années parisiennes.

Ohlala, dit Lucien l’âne, comme ce Paris artistique doit lui sembler plus passionnant que les conversations que lui imposent à intervalles irréguliers les commissaires et les enquêteurs du Tribunal Spécial que le régime fasciste a instauré pour poursuivre les opposants politiques.

Cependant, elles sont terminées, pense Carlo Levi et en bien ou en mal, il n’y a plus qu’à attendre les conclusions.

Ce doit être bien pénible et angoissant, dit Lucien l’âne. Que veux-tu dire avec ce en bien ou en mal ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, Le Dr. Levi sait très bien ce qu’on lui reproche et il sait aussi que ces accusations sont fondées et que les enquêteurs le savent. Mais néanmoins, inlassablement, il s’en défend, il réfute, il ne le fera jamais cadeau d’aveux, ni même des renseignements qui pourraient nuire à d’autres ou au mouvement de résistance, dont il fait partie :

« de méchantes opinions,
Filles de la diffamation…
D’où viennent ces critiques ?
Ce ne sont que des bruits. »

Il se défend notamment de celle-ci qui est souvent utilisée contre ceux qu’on veut diffamer : « des gens me disent millionnaire ». Sur ce point, une chose est certaine, Carlo Levi n’a jamais été millionnaire, sauf peut-être à l’époque où la lire italienne s’était terriblement dépréciée, des années plus tard quand il avait fallu ôter trois zéros à la fin des prix.

C’est étrange, Marco Valdo M.I. mon ami, mais cette manière de discréditer par des racontars les opposants politiques, on la retrouve partout où sévissent les populistes, alors qu’on constate invariablement à l’usage qu’ils sont eux-mêmes très friands de richesses et de privilèges. Et que nombre d’entre eux sont à la tête de fortunes aux origines pour le moins douteuses. Comme disent les enfants en jouant, « c’est celui qui dit qui est ».

Bref, reprend Marco Valdo M.I., en ce qui concerne Carlo Levi, à aucun moment de sa vie, et plus encore à cette époque lointaine, il ne roulait pas sur l’or et au contraire de Mussolini qui fut financé par le Ministère des Affaires étrangères de France et par la suite, par divers « mécènes », Levi n’était pas homme à se laisser acheter. D’où serait-il venu, cet or ? Sa famille rencontrait d’énormes difficultés, notamment son père dont le commerce d’importation venue d’Angleterre souffrait de la politique autarcique et nationaliste du régime ; son oncle maternel, Claudio Treves, dirigeant socialiste exilé à Paris était mort en 1933 dans une modeste chambre d’un petit hôtel parisien. Quant à Carlo, il vivait de sa peinture.

L’exil, dit Lucien l’âne, l’exil politique singulièrement, n’est pas vraiment une sinécure et n’a que peu à voir avec le goût des voyages.

Ah, Lucien l’âne mon ami, tu as été patient et réjouis-toi, car je vais maintenant te faire tout savoir sur la tête d’Olympia, qui sert de titre à la canzone. Carlo Levi avait rencontré Olympia à Paris dans un musée ; c’était une jeune personne célèbre et fort peu vêtue – en vérité, pas du tout. Je rappelle qu’en matière d’art et de peinture, Paris était considéré comme la Rome ou La Mecque des beaux-arts. Aller à Paris, c’était en quelque sorte entrer de plains-pieds dans la modernité. Paris, c’était la ville des impressionnistes. On retrouve ça dans le désir du peintre Levi, que rapporte la chanson, d’écrire un

« Un livre, tout un livre
Sur la peinture impressionniste »

et la tête d’Olympia est, si j’ose dire, une tête picturale. Elle figure en haut du corps d’une dame nue (Olympia), portraiturée dans la même pose et la même tenue que la Vénus d’Urbino du Titien (1538) ; C’est un tableau d’Édouard Manet, qui date de 1863. Comme tu l’imagines, il fit scandale, car la brave Olympia (à l’état-civil, Victorine Meurent) a tous les attributs d’une prostituée de haut vol de l’époque et pire, elle est une allusion à peine voilée à la prostitution (politique celle-là) du régime du Second Empire.

Arrêtons ici, dit Lucien l’âne, car on n’en finirait pas. Il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde avide, cupide, calomnieux et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


On ne m’interroge plus,
Les enquêtes sont terminées.
Qu’ont-elles conclu ?
Attendons un peu plus
Pour connaître la destinée.

Face à de méchantes opinions,
Filles de la diffamation,
À quoi bon réfuter
Les faits particuliers
Qui me sont imputés ?

D’ailleurs, des gens me disent millionnaire.
Tout au contraire,
Pour vivre
Un peintre
Doit vendre ses peintures.

On me dénonce. Qui ?
On m’attribue des activités politiques.
Lesquelles ? Avec qui ?
D’où viennent ces critiques ?
Ce ne sont que des bruits.

Comme le souvenir est incertain.
J’ai voulu dessiner
La tête d’Olympia, quel chagrin !
Je n’y suis pas arrivé.
Pourtant, je vois très bien sa main.

Ici, je voudrais écrire
Un livre, tout un livre
Sur la peinture impressionniste –
Avec des dessins d’artistes
Et des poèmes surréalistes.