La
Tête
d’Olympia
Lettre
de prison 36
8
juillet 1935
Dialogue
Maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une chanson qui ouvre des perspectives
intéressantes sur le paysage artistique et plus particulièrement,
pictural auquel songe Carlo Levi du fond de sa cellule. Il revoit ses
années parisiennes.
Ohlala,
dit Lucien l’âne, comme ce Paris artistique doit lui sembler plus
passionnant que les conversations que lui imposent à intervalles
irréguliers les commissaires et les enquêteurs du Tribunal Spécial
que le régime fasciste a instauré pour poursuivre les opposants
politiques.
Cependant,
elles sont terminées, pense Carlo Levi et en bien ou en mal, il n’y
a plus qu’à attendre les conclusions.
Ce
doit être bien pénible et angoissant, dit Lucien l’âne. Que
veux-tu dire avec ce en bien ou en mal ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, Le Dr. Levi sait très bien ce qu’on
lui reproche et il sait aussi que ces accusations sont fondées et
que les enquêteurs le savent. Mais néanmoins, inlassablement, il
s’en défend, il réfute, il ne le fera jamais cadeau d’aveux, ni
même des renseignements qui pourraient nuire à d’autres ou au
mouvement de résistance, dont il fait partie :
« de
méchantes opinions,
Filles
de la diffamation…
D’où
viennent ces critiques ?
Ce ne
sont que des bruits. »
Il se
défend notamment de celle-ci qui est souvent utilisée contre ceux
qu’on veut diffamer : « des gens me disent
millionnaire ». Sur ce point, une chose est certaine, Carlo
Levi n’a jamais été millionnaire, sauf peut-être à l’époque
où la lire italienne s’était terriblement dépréciée, des
années plus tard quand il avait fallu ôter trois zéros à la fin
des prix.
C’est
étrange, Marco Valdo M.I. mon ami, mais cette manière de
discréditer par des racontars les opposants politiques, on la
retrouve partout où sévissent les populistes, alors qu’on
constate invariablement à l’usage qu’ils sont eux-mêmes très
friands de richesses et de privilèges. Et que nombre d’entre eux
sont à la tête de fortunes aux origines pour le moins douteuses.
Comme disent les enfants en jouant, « c’est celui qui dit qui
est ».
Bref,
reprend Marco Valdo M.I., en ce qui concerne Carlo Levi, à aucun
moment de sa vie, et plus encore à cette époque lointaine, il ne
roulait pas sur l’or et au contraire de Mussolini qui fut financé
par le Ministère des Affaires étrangères de France et par la
suite, par divers « mécènes », Levi n’était pas
homme à se laisser acheter. D’où serait-il venu, cet or ? Sa
famille rencontrait d’énormes difficultés, notamment son père
dont le commerce d’importation venue d’Angleterre souffrait de la
politique autarcique et nationaliste du régime ; son oncle
maternel, Claudio Treves, dirigeant socialiste exilé à Paris était
mort en 1933 dans une modeste chambre d’un petit hôtel parisien.
Quant à Carlo, il vivait de sa peinture.
L’exil,
dit Lucien l’âne, l’exil politique singulièrement, n’est pas
vraiment une sinécure et n’a que peu à voir avec le goût des
voyages.
Ah,
Lucien l’âne mon ami, tu as été patient et réjouis-toi, car je
vais maintenant te faire tout savoir sur la tête d’Olympia, qui
sert de titre à la canzone. Carlo Levi avait rencontré Olympia à
Paris dans un musée ; c’était une jeune personne célèbre
et fort peu vêtue – en vérité, pas du tout. Je rappelle qu’en
matière d’art et de peinture, Paris était considéré comme la
Rome ou La Mecque des beaux-arts. Aller à Paris, c’était en
quelque sorte entrer de plains-pieds dans la modernité. Paris,
c’était la ville des impressionnistes. On retrouve ça dans le
désir du peintre Levi, que rapporte la chanson, d’écrire un
« Un
livre, tout un livre
Sur
la peinture impressionniste »
et
la tête d’Olympia est, si j’ose dire, une tête picturale. Elle
figure en haut du corps d’une dame nue (Olympia), portraiturée
dans la même pose et la même tenue que la Vénus d’Urbino du
Titien (1538) ; C’est un tableau d’Édouard Manet, qui date
de 1863. Comme tu l’imagines, il fit scandale, car la brave Olympia
(à l’état-civil, Victorine Meurent) a tous les attributs d’une
prostituée de haut vol de l’époque et pire, elle est une allusion
à peine voilée à la prostitution (politique celle-là) du régime
du Second Empire.
Arrêtons
ici, dit Lucien l’âne, car on n’en finirait pas. Il nous faut
reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde avide,
cupide, calomnieux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On
ne m’interroge plus,
Les
enquêtes sont terminées.
Qu’ont-elles
conclu ?
Attendons
un peu plus
Pour
connaître la destinée.
Face
à de méchantes opinions,
Filles
de la diffamation,
À
quoi bon réfuter
Les
faits particuliers
Qui
me sont imputés ?
D’ailleurs,
des gens me disent millionnaire.
Tout
au contraire,
Pour
vivre
Un
peintre
Doit
vendre ses peintures.
On
me dénonce. Qui ?
On
m’attribue des activités politiques.
Lesquelles ?
Avec qui ?
D’où
viennent ces critiques ?
Ce
ne sont que des bruits.
Comme
le souvenir est incertain.
J’ai
voulu dessiner
La
tête d’Olympia, quel chagrin !
Je
n’y suis pas arrivé.
Pourtant,
je vois très bien sa main.
Ici,
je voudrais écrire
Un
livre, tout un livre
Sur
la peinture impressionniste –
Avec
des dessins d’artistes
Et
des poèmes surréalistes.
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