mardi 21 août 2018

Sous le Manteau de la Guerre


Sous le Manteau de la Guerre


Chanson française – Sous le Manteau de la Guerre – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
81
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XXXVI – XXXVII)



Dialogue Maïeutique

Je me demande bien, Marco Valdo M.I. mon ami, commente Lucien l’âne, mon ami, ce qui peut se passer « sous le manteau de la guerre » ; enfin, plus exactement, je voudrais savoir ce que peut bien cacher cette expression sibylline.

Tu fais bien de poser la question, réponde Marco Valdo M.I., car ça me permet d’y répondre et de développer un peu le sens de la chanson qui porte un tel titre. Cette canzone, si on y regarde de tout près, ne parle à proprement parler pas du tout de la guerre au sens classique ; elle n’en dit pas un mot ; du moins de la guerre au sens classique d’affrontement de groupes militaires. Les événements qu’elle évoque relèvent plutôt du fait-divers, de la chronique locale et pourraient se dérouler tant en temps de paix qu’en temps de guerre. Pourtant, c’est ce qu’indique précisément ce « sous le manteau de la guerre », ceux-ci se passent dans une période troublée, dans un pays en guerre – une guerre civile, une guerre religieuse, une guerre d’occupation, une guerre de libération ; au fond de la toile, on trouve tout simplement « la guerre ». Néanmoins, comme tout épisode d’effervescence militaire, elle ouvre des espaces d’insécurité et libère des vocations meurtrières et à tout le moins, criminelles. Sous le manteau de la guerre, les pires délits se commettent plus aisément et face aux terribles bouleversements et aux grands massacres en cours, ils passeraient presque inaperçus ou seraient considérés comme insignifiants. D’une certaine façon, ils font partie des mœurs du temps d’une société où on torture, in vole, on incendie, on viole, on tue à qui mieux mieux. Le meurtre, l’assassinat, le vol, etc., pratiqués à l’échelle individuelle ou locale, ont l’air de travaux d’artisan à côté d’une production industrielle à vocation nationale ou mondiale.

Oh, dit Lucien l’âne, je vois de quoi il s’agit. Au milieu du déferlement de violences diverses et collectives, le petit meurtre fait pâle figure.

Exactement, reprend Marco Valdo M.I., et pourtant, il ne t’échappera pas que ces petits crimes n’en sont pas moins eux aussi des actes de guerre. D’ailleurs, ils ont les mêmes mobiles et les mêmes buts – disons, les mêmes intentions – que la « grande guerre ». On le comprend mieux si on se reporte à ce que veut signifier la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres afin de s’enrichir, de les dominer, de les contraindre de les exploiter, de les obliger à les servir, de les forcer au travail, etc. Et puis, avec la chanson, il faut toujours penser à son foutu penchant à la métaphore. Il est toujours utile de voir l’autre sens de la chanson, les autres sens ; elle chante une chose et résonnent d’autres.

N’allons pas plus loin, Marco Valdo M.I., dans le dévoilement de la chanson ; laissons-lui ses mystères ; de toute façon, nous n’avons pas vocation à théoriser le monde, nous qui ne pensons que par bribes et morceaux. Néanmoins, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde querelleur, assassin, violeur, tueur, escroc et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sous le manteau de la guerre,
Grouille une myriade de vers.
Minuscules animalcules rongeurs
Tapis là-dessous, ils vivent de malheurs.

Sur la route en dehors du village,
On trouve des cadavres tout blancs,
Des filles, des gars au bel âge
Gisent saignés de tout leur sang.

Femmes, hommes, vieux aux cheveux blancs,
Fermiers, marchands déchargés d’argent,
Tous nus et mordus au cou
De dents longues, de dents de loup.

Sans ambage, sur l’heure,
On accuse Ysengrin, l’éternel tueur,
Et du vol, des larrons charognards,
Prélevant soigneusement leur part.

On cherche la bête et les voleurs,
On ne trouve pas de loup,
On ne trouve pas les détrousseurs
Et l’enquête en reste là.

Nelle s’éveille au cœur de la nuit
Tirée du lit par un cri :
« Sauve-moi ! Le loup m’emmène. »
C’est Katheline, que la garde ramène.

Katheline s’écrie face à la chandelle.
« C’est le soleil, il chasse les mauvais rêves. »
« Que se passe-t-il ? », demande Nelle.
« Le loup-garou m’a couru après sur la grève. »

« Hanske a poussé le cri de l’orfraie,
Hanske est plus beau qu’Orphée,
Il m’a promis mille carolus et l’amour,
Hanske mon mignon m’aimera toujours.

Hanske veut connaître les femmes,
Les femmes riches de Damme.
Je ne lui dirai pas,
Mon mignon ne peut aimer que moi. »

« Ôtez le feu, la tête brûle !
Reviens Hanske mon amant ! »
La veille passe, grince la crécelle
« Il est une heure, bonnes gens ! »

lundi 20 août 2018

FRÉQUENCES


FRÉQUENCES


Version française – FRÉQUENCES – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Frequenze Claudio Lolli – 2009
Texte : Claudio Lolli
Note introductive du disque « Lovesongs »
Récitatif lors des spectacles
Accompagnement musical de Nicola Alesini et Claudio Capodacqua










Ce n’est pas une « chanson » au sens strict, mais plutôt la note introductive à un disque de chansons d’amour de 2009, Lovesongs, composé de 8 chansons pêchées parmi les nombreuses écrites par Claudio Lolli (la plus ancienne, Quello che mi resta, est de 1972 ; la plus récente, Dita de 1997). Accompagné par Nicola Alesini et Claudio Capodacqua, ses éternels copains de voyage, Claudio Lolli en a fait un récitatif lors les spectacles basés sur le disque, il y a quelques années. Nous le reproposons, seulement aujourd’hui, en présentant délibérément le texte comme s’il était en vers, justement ce jour où Claudio a commencé son voyage dans le Très vaste Néant, où ne le concernent plus ni le Maintenant, ni l’Ici.

On pourrait parler de l’Amore ai tempi del fascismol’Amour au temps du fascisme. Au temps du légisme plus seulement « padan », mais « national » ou « souverainiste » ; au temps de la xénophobie, au temps de la haine « sociale », au temps des coups de feu contre les immigrés, des ports fermés, des démocratures. Au temps, en un mot, de la guerre. Car il s’agit bien de guerre, en acte, en évolution quotidienne. Nous ne savons pas si des chansons, d’amour ou d’autre nature, peuvent être des « anticorps », comme le préconise Claudio Lolli ; à dire la vérité, il existe des tonnes de chansons « d’amour » qui sont entièrement intégrées au système de la haine, ordures préconditionnées, prédigérées et pré-évacuées qui se fond parfaitement dans la haine propagée et sa guerre et s’en font le véhicule populaire. Exactement comme, sur les « réseaux sociaux », on voit des petits cœurs, des chatons, des petites phrases, des vers de chansons et des stupidités diverses de celui qui s’apprête à massacrer sa fiancée, à inviter à tirer sur l’immigré, « à les rejeter à la mer », à brûler le camp rom et à applaudir au geste de Traini (Luca Traini, 28 ans, fasciste, auteur d’une fusillade raciste en février 2018) de Macerata. Non, nous ne savons vraiment pas si une, huit ou mille chansons d’amour, même écrites et chantées par Claudio Lolli, peuvent être des « anticorps ». Il ne faut jamais oublier que, maintenant comme toujours, l’amour n’est pas seulement au temps du fascisme et de Salvini, mais aussi et surtout au temps de l’imbécillité diffuse, capillaire, inculquée et exploitée à merveille sur les Fréquences du Rien. [RV]



Imaginez un garçon
Vers la fin des an
nées ’60
Qu
i n’arrive pas à dormir,
Il n’
y réussit jamais.
Que peut-
il y faire ?
Une des premières radios portables,
Un casque improbable
Et il écoute, toute la nuit.
Mais personne n’
émet
Et ce qu’il capte
Ce sont des sons en ondes courtes
Qu
i vont et viennent,
Des langues incompréhensibles.
Vers
six heures du matin, finalement
Le
s trompettes de Radio Tirana,
Mais il est trop tard,
il faut se lever,
Il faut aller à école,
À cette inutile école.

FRÉQUENCES.

Imaginez, quelques années après,
Le même garçon, un peu
grandi,
Avec la même radio et un casque un peu meilleur,
Qu
i tourne la roulette magique de la syntonie
Il trouve un monde qui
émet,
Qu
i a envie d’émettre :
Mille
radios libres, Radio Alice,
Q
ui semblent parler de lui et qui l’appellent,
L’invitent à parler à autres,
Une injection extraordinaire d’énergie.

Aujourd’hui,
Aujourd’hui, rien de tout cela,
Aujourd’hui, l’enfer.
À la fin de Malebolge, Dante
Mit les semeurs de zizanie,
Les fo
menteurs de haine,
Les dispensateurs de d
ésamour.
Branchez-vous sur Radio Padania Libre
Et vous comprendrez très bien,
Si vous ne l’avez
pas encore compris,
Ce
qu’est la haine moderne, contemporaine,
Ce qu’est notre colonne sonore infâme.

FRÉQUENCES.

Alors,, il nous faut des anticorps
Et ce disque, sensiblement anti
ligue et passionnel
Veut être un véritable
Anticorps politico-érotique
Contre la haine
ordinaire aujourd’hui diffuse
Parmi les êtres humains de n’importe quel
le race, sexe, couleur.
Il sera banal, évangélique,
Œcuménique et ingénu.
Mais parler d’amour
Aujourd’hui peut avoir une vale
ur subversive.
L’amour aujourd’hui
Est une marchandise précieuse et rare
Et nous voulons en être les cambrioleurs
Et l’offrir aux pauvres
Et
rançonner les riches.
Lovesongs.
Parce que les fréquences
Ce sont surtout
Les fréquences
Du
cœur.

vendredi 17 août 2018

La Stevenine pendue

La Stevenine pendue


Chanson française – La Stevenine pendue – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
80
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
III, XXXV)



Dialogue Maïeutique


Lucien l’âne, mon ami, connais-tu Chantecler le coq ancien qui sut venir à bout de la ruse de Renart le goupil ? Ici, il chante lui aussi « Trinquons aux Gueux ! » et nous renvoie ainsi tous à l’ancien Roman du Renart, qui n’est rien d’autre qu’une grande chanson, écrite vers le XIIᵉ siècle. Je vois à ton air éwaré que tu te demandes ce que vient faire ici ce propos à propos du Roman de Renart, alors qu’on est censé raconter une histoire qui se passe environ 400 ans plus tard. Je le vois et je m’empresse de te répondre en te rappelant que le signal de reconnaissance des Gueux est à l’appel, le chant de l’alouette des champs et à la réponse, le chant du coq, celui de Chante Clair, orthographié Chantecler et non Chanteclair, comme on aurait pu le penser. Et dès le début de la canzone, on le voit qui reprend l’inquiétant « Trinquons avec les Gueux ! »

Voilà bien, Marco Valdo M.I. mon ami, où mène l’abus de littérature ! Mais soit, qu’y a-t-il dans cette canzone à part ce coq qui chante clair ?

Comment dire, Lucien l’âne mon ami, il y a dans cette canzone la fin de l’histoire de Stevenine, la fin de Stevenine, la fin de Gilline et la fin de toute l’aventure de l’Arc-en-Ciel et de l’Abeille. Il m’aura fallu pas moins de 5 chansons, dont celle-ci, pour arriver à tourner cette page.

De fait, Marco Valdo M.I. mon ami, je me souviens très bien de toutes ces chansons : 
La Vendeuse d’Amour ; L’Abeille et l’Arc-en-Ciel ; La Fête chez Stevenine ; Trinquons aux Gueux !. Et j’y ajouterais volontiers celle qui les précède : Les Gueux des Bois, car tout cet épisode a commencé au camp des Gueux et tout se termine dans le même camp. Toutefois, il serait bel et bon de donner quelques détails de la conclusion de l’aventure. Que deviennent tous ces gens ?

Comme tu pourras les constater, Lucien l’âne mon ami, la canzone détaille fort bien les choses, mais globalement, les Sept et leurs prisonniers ont comme objectif de rejoindre la côte et les Gueux de mer pour servir dans la flotte de liberté ; les folles-filles s’en iront à leur suite divertir et servir les équipages – moyennant, comme il se doit, honnête rétribution et primes sur le butin de guerre. D’où il appert que même en amour, on ne perd pas le Nord.

Voilà qui est réjouissant, dit Lucien l’âne. Je me demande quand même ce qui a bien pu arriver pour qu’on pende la Stevenine, comme l’annonce le titre de la chanson.

En fait, Lucien l’âne mon ami, pour la Stevenine, tout se termine fort mal. Elle qui régnait en maîtresse absolue sur son Arc-en-Ciel et ses folles-filles, se trouve subitement ruine, prisonnière et ramenée par décision de Till au rang de servante, car en raison de son âge et de sa conformation, elle ne peut plus exercer valablement le métier. Et qui plus est, ramenée au rang de servante de ses anciennes esclaves, alors que la Gilline, sa complice et son âme damnée, toujours par la volonté de Till, est préservée de ce sort. Dès lors, de jalousie et de rage, la Stevenine va assassiner la Gilline d’un coup d’aiguille (à tricoter ?) en plein cœur. Après un passage par-devant le tribunal des Gueux, elle sera conduite à la potence.

Fort bien, dit Lucien l’âne, mais que deviennent Till et Lamme, car tu n’en pipes pas mot.

Oh, Lucien l’âne mon ami, ne m’en demande pas trop. La canzone te dira tout.

Alors, Marco Valdo M.I., il ne nous reste plus qu’à reprendre notre tâche et à tisser le linceul de ce vieux monde aveugle, sourd, méchant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Trinquons aux Gueux !, chante Chantecler.
Lamme, Till et les sept bouchers.
Avec leurs cordes, ils lient les happe-chair
Et emmènent tout ce monde prisonnier.

Jusqu’au camp des Gueux,
Tout le monde, sauf deux
Des mercenaires par Till payés
Pour espionner les royales autorités.

Du camp, les Sept et leurs captifs iront
Se joindre aux Gueux de mer
Pour faire vaillante guerre
Sous peine d’être pendus pour désertion.

Et les filles, folles-filles deviendront
Folles-filles de la mer
Et à donner douceur à la guerre
Leur part de butin recevront.

Till dit : « De ces belles galantes
Qu’elle a tant exploitées et soumises,
Stevenine sera la servante
Et lavera cottes, draps et chemises.

Gilline, la séductrice en diable,
Par la volonté d’un Till intraitable,
Tenant sa viole entre ses bras,
En sa robe de brocart restera. »

Les autres filles de jalousie folles
Déversent d’étranges paroles :
« Till d’elle s’affole ».
Et la Gilline chante sur sa viole.

On ferme l’Arc-en-ciel au jour levant
Et par les champs, on arrive au camp ;
Chante l’alouette dans le vent
Et le coq répond hardiment.
Le troisième jour, d’une pointe en plein cœur,
Gilline se meurt, Gilline est morte,
Tuée par la baesine que la rage emporte.
Alors, pendue, Stevenine connaît sa male heure.

Till et Lamme se remettent en chemin :
L’un va à Bruges chercher sa femme ;
L’autre rêve à s’éveiller à Damme.
Dans les bras de Nelle, au clair matin.