dimanche 20 mai 2018

L’Imprimeur de Liberté

L’Imprimeur de Liberté


Chanson française – L’Imprimeur de Liberté – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 45

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XVIII)










Que voilà un beau titre, Marco Valdo M.I. mon ami, un titre qui donne envie d’en savoir plus. Cependant, malgré son apparence simple, c’est une fois encore un titre fort étrange. Comment peut-on être un imprimeur de liberté ? Comment peut-on imprimer de la liberté ?

Très juste, Lucien l’âne mon ami. C’est un titre audacieux, car il crée une image qui parle au cœur et à la raison, il suscite l’intérêt et, j’espère, l’adhésion à l’idée qu’il véhicule. En fait, c’est un fameux raccourci. Il aurait fallu dire : l’imprimeur qui par son travail sert la cause de la liberté.
De fait, c’est une grande invention que l’imprimerie, une des plus grandes sans doute, car elle a permis de diffuser la pensée, le discours humain sous une forme multiple et elle a fait de la pensée une matière stable, transportable et démultipliable. Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, ce qui est écrit est écrit et peut être relu et relu dans sa forme ; c’est vrai pour tout écrit ; avec l’imprimerie, le caractère particulier de l’écrit s’étend progressivement au général. D’une certaine façon, le contenu s’objective.

Je comprends tout cela, dit Lucien l’âne. Mais que peut donc imprimer cet imprimeur de liberté ?

Nous y venons, dit Marco Valdo M.I., car Simon Praet, l’imprimeur de liberté, répond lui-même à ta question dans la chanson ; il dit :

« Le jour, j’imprime les cruels et méchants édits ;
La nuit, je travaille pour la liberté. »

Comme tu le vois, c’est un Janus, c’est un bifront : le jour, imprimeur officiel, la nuit, un imprimeur clandestin, comme on va en trouver dans tous les mouvements de résistance, de rébellion, de révolution.

Reste à savoir ce qu’il imprime – la nuit, dit Lucien l’âne.

D’accord, répond Marco Valdo M.I., c’est un élément essentiel. Sache donc qu’il imprime des bibles en langue commune, dans la langue en usage parmi les populations. Ici, en l’occurrence, il imprime des bibles en néerlandais.

Tiens, tiens, dit Lucien l’âne, cette histoire de bible en langue du pays me rappelle quelque chose. N’est-ce pas ainsi ce que voulut et que fit Valdo en son temps et ce qui lui valut d’être persécuté par l’Église catholique ainsi que ses partisans.

Évidemment, Lucien l’âne mon ami. Mais du temps de Pierre Valdo – vers 1200, l’imprimerie n’existait pas encore, ni même, les bibles en langue vernaculaire. Valdo dut faire traduire la bible et la faire recopier en quelques exemplaires afin d’alimenter la transmission orale, qui se colportait de village en village. C’était pourtant le début du mouvement de libération vis-à-vis de l’Église de Rome et le début du mouvement de liberté. Ici, dans la chanson, au temps de Till, on est 350 ans plus tard. Et la lutte continue.

Ce qui m’intrigue, dit Lucien l’âne, c’est que dans les deux cas, il s’agit de diffuser le contenu de la bible en langue populaire. Pourquoi la Bible ?

Eh bien, reprend Marco Valdo M.I., l’explication est assez simple. La Bible est – en ce temps-là – le seul recueil de contes et légendes anciennes qui, après des siècles de propagande religieuse, soit connu des gens comme le grand « best seller », la série à succès, le feuilleton qui passionne. Comme tout le monde le sait, la Bible est un gigantesque fourre-tout, mais aussi, la référence ultime du pouvoir qui l’invoque comme une Constitution pour se légitimer et dont il tient le contenu au secret dans une langue et dans des formes qu’il contrôle étroitement. Il y eut à partir de Valdo d’abord, l’établissement de versions « intégrales », non expurgées, non caviardées, des textes bibliques à partir de traductions des langues anciennes (grec, hébreu), qui brisaient le monopole de l’Église catholique et dans le même temps, dévoilaient la supercherie de son discours et ruinaient la base-même de son pouvoir et de celui des monarques qu’elle soutenait.
Comme il est aisé de le comprendre, les choses ne vont que croître et embellir avec l’imprimerie, qui – miracle – multiplie les livres plus et plus vite que d’autres multiplient les poissons.

Certes, dit Lucien l’âne, mais l’imprimeur de liberté, ce Simon Praet, pourquoi agit-il ainsi ?

Tout simplement, Lucien l’âne mon ami, car tout comme Till et nombre de gens des Pays, Simon Praet s’est rangé du côté de la liberté ; il participe au mouvement de résistance connu sous le nom de « Gueux ». À terme, ce mouvement...

Halte, Marco Valdo M.I. mon ami, ne dévoile pas ici et maintenant ce qui viendra plus tard. D’ailleurs, il nous faut conclure et reprendre notre tâche qui est de tisser le linceul de ce vieux monde absurde, religieux, totalitaire et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Un jour, un énigmatique Docteur Agile
Remet deux florins et des lettres à Till.
Il lui enjoint sur un ton plein de mystère
De se rendre chez Simon Praet qui lui dira que faire.

Praet l’imprimeur, un homme chétif et piteux,
Accueille et nourrit Till au mieux.
Il le loge sous le toit, au grenier.
Simon a sa chambre près de son atelier.

Que Till se couche tôt, qu’il se couche tard,
Simon est toujours au boulot.
Au matin, si tôt qu’il soit, fait-il encore noir
Simon est déjà au boulot.

Pour nourrir femme et enfants,
Simon doit travailler tellement ;
Comme la vie est dure à présent,
Se dit Till compatissant.

Au milieu des chats, Till dort comme un seigneur.
D’étranges coups de marteau
L’éveillent de tantôt en tantôt
Et ce martelage intrigue le veilleur.

Un soir, Till emmène Simon
Au cabaret de l’Oie cendrée.
Till boit, boit comme un pochtron
Simon doit le ramener à sa chambrée.

Bientôt, le bang-bang se répète
Rythmé, le bruit monte de l’atelier.
Till descend l’escalier.
À l’entrée de l’atelier, il s’arrête.

Que fais-tu Simon ainsi en pleine nuit ?
Le jour, j’imprime les cruels et méchants édits ;
La nuit, je travaille pour la liberté. Vas-tu me dénoncer ?
N’aie crainte, dit Till, je suis de ton côté.

Je suis Gueux et je le reste
Dût-il m’en coûter la vie.
Les cendres qui sur mon cœur battent
En sont la garantie.

Simon de ces livres clandestins inonda le pays
Jusqu’au jour mille fois maudit
Où la tête tranchée
La vie lui fut ôtée.

vendredi 18 mai 2018

Les folles Filles


Les folles Filles


Chanson française – Les folles Filles – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 44

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XVIII)






Aujourd’hui, Lucien l’âne mon ami, nous allons rencontrer comme le titre le laisse supposer de « folles filles », dont je m’empresse de préciser qu’il ne faut pas les confondre a priori avec des filles folles, qui sont des personnes qui auraient perdu la raison ou qui seraient atteintes d’une maladie mentale. En fait, ces « folles filles » sont des demoiselles qui font les folles, qui s’amusent ; par ailleurs, comme elles constituent la partie féminine du régiment, elles suivent les soldats dans tous leurs déplacements. Ces dames ne sont probablement ni leurs épouses, ni leurs compagnes. Concrètement, en termes militaires, ce sont les demoiselles du bordel de campagne. Comme tu t’en doutes, elles sont un peu légères dans leur comportement et tiennent des propos un peu lestes. Ce qui amuse beaucoup Till, ainsi qu’on va le voir.

Oh, tu sais Marco Valdo M.I. mon ami, j’en ai connu des tas de ces troupes de dames qui suivaient les armées les plus diverses – de la plus haute Antiquité à nos jours et comme disent les barbeaux de la chanson de Gilles et Julien (Faut bien qu’on vive) :

« Elles ont au moins un avantage

On les fait changer de paysage. »

Et puis, Lucien l’âne mon ami, alors que les soudards doivent marcher, elles sont transportées dans des chariots.

Là, dit Lucien l’âne, c’est du luxe. Généralement, elles suivent à pied et portent elles-mêmes leur balluchon. Voilà donc pour le titre, mais que se passe-t-il réellement ?

Ah, dit Marco Valdo M.I., je m’en vais te conter ça par le menu. Il te souviendra d’abord que précédemment, aux dernières nouvelles, Till et Lamme sont cherchés par le Comte jaloux. Après avoir baguenaudé un temps dans Bruxelles, ils sont revenus dans la maison de la rue Sainte Catherine, où ces dames les ont cachés dans le grenier. C’est là que Till a rendez-vous avec la commère du Comte, qui a promis de le rejoindre une fois le Comte endormi. La situation se dramatise du fait que le Comte révèle à la dame qu’il envoie des détachements de son armée à Bois-le-Duc le lendemain matin pour prendre la ville, poursuivre les hérétiques et accessoirement, la rançonner et donner libre cours au pillage – qui est la manière systématique de payer la troupe au service de l’Espagne et de terroriser les populations.
La bonne dame informe Till de cette intention criminelle et Till, après de tendres adieux, part dans la nuit, déguisé en pèlerin, pour prévenir les gens de Bois-le-Duc. Chemin faisant, il rencontre la troupe qui marche dans la même direction que lui. Il obtient l’autorisation de l’accompagner et est vite repéré par les « folles filles », qui lui proposent de les rejoindre dans leur chariot.
Cependant, le sergent qui les surveille, dénommé ici le « garde-putes » – mot que j’ai inventé pour donner une idée du nom flamand que De Coster donnait à ce sergent : « hoer wyfel ». « Garde-putes » est un néologisme, un mot que j’ai composé sur le modèle de « garde-ville », terme bruxellois pour désigner le sergent de ville. Pour le reste, je t’en ai dit assez ; va voir la chanson.

C’est ce que je vais faire à l’instant. Puis, nous reprendrons notre tâche et nous tisserons le linceul de ce vieux monde putassier, militaresque, fou et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



À sa belle commère, le Comte confesse, au lit,
Que sa troupe envahirait Bois-le-Duc au matin.
Le fier homme endormi, la commère rejoint Till et lui dit.
Le temps d’un adieu peu vertueux et Till se met en chemin.

Déguisé en pèlerin, Till s’élance incontinent
Sans rien, sans provisions, sans argent.
Il rattrape la troupe des soldats
Et marche avec eux du même pas.

En tête va l’enseigne wallonne aux tambours tambourinants
Suivie de l’enseigne flamande, aux fifres glapissants.
Ils sont plus de trois cents derrière l’oriflamme,
Suivis de deux chariots de femmes.

Les dames légères comme des fauvettes
Mangent et boivent et font la causette.
Ce ne sont que plumes et couleurs :
Satins et tissus rouge, bleu, vert, azur : des fleurs.

Certaines en uniforme de lansquenets,
Décolletées, laissent voir leurs attraits.
Des femmes de métier assurément
Qui rient et grimacent à la barbe du sergent.

Alors, criant, rigolant, hoquetant, caquetant,
Les folles filles avisent Till hardiment.
Que fais-tu là, beau manant ?
Selon le vœu du Pape, je pèlerine pèlerinant.

Je vais prêchant l’amour du prochain et la Sainte Foi
Par monts et par vaux à tous les soldats.
Tu es bien jeune, disent les filles, pour cet amour-là.
Monte près de nous, l’amour de la prochaine, on t’enseignera.

Apprendre d’elles, Till aurait bien voulu,
Ce sont des filles savantes et franches.
Mais l’autorité veille sur la vertu :
Le sergent garde-putes dit : « Si tu ne t’en revas, je te détranche. »


À l’étape, prudent, Till se méfie
Des soldats, des sergents, pas des filles,
Chez qui il veut encore monter.
Le sergent jaloux l’abandonne au fossé.

Délivré, Till coupe par chemins et par sentiers,
Gagne Bois-le-Duc comme le vent.
Les bourgeois se regroupent à huit cents.
Ainsi, les soudards de Merghem sont repoussés.

mercredi 16 mai 2018

Le vilain Comte


Le vilain Comte


Chanson française – Le vilain Comte – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 43

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XVI)








Quel titre encore une fois, Marco Valdo M.I. mon ami ; on dirait un oxymore, cette figure si prisée par les gens d’aujourd’hui.

C’est évidemment, Lucien l’âne mon ami, l’effet recherché de tous ces titres que d’éveiller l’attention du lecteur et dans ce cas-ci, de donner à un Comte, personnage de haute noblesse, très conscient de l’être et doté d’un arrogant orgueil, le qualificatif de « vilain ». Vilain est un mot qui a de multiples sens et qui sont tous, du point de vue de la noblesse, péjoratifs. En premier lieu évidemment, le fait que le « vilain » est celui qui n’est pas noble ; l’autre nom qu’on utilise pour signifier « vilain » est celui de « roturier » ou celui de « manant » ; ensuite, viennent toutes les autres connotations telles que « pas beau », laid, méchant, mauvais, médiocre, etc. Pour le reste, on verra que Charles de Brimeu, Comte de Meghem, par ailleurs, petit-fils de Marguerite d’Autriche, est quelqu’un qui correspond tout à fait à ce curieux titre de « vilain Comte » : il campe du côté des oppresseurs ; il est radin, il est jaloux.

Quel vilain homme que ce Comte, dit Lucien l’âne en rigolant. Mais que raconte d’autre la chanson ?

Eh bien, comme souvent, répond Marco Valdo M.I., elle raconte certaines aventures de Till. Des aventures multiples puisque dans cette chanson, on retrouve Till dans son rôle de résistant à l’oppresseur et dans son rôle de libertin, séducteur et séduit – toujours, comme on le verra, pour la bonne cause.

Oh, dit Lucien l’âne, m’est avis que Till a tout de l’agent secret de cinéma.

Soit, sans doute, j’imagine, reprend Marco Valdo M.I. ; il faut quand même tenir compte du décalage temporel ; c’était il y a plus de quatre siècles.
Je résume : Till doit aller, accompagné de Lamme, de ville en ville porter le message d’Orange qui est d’alerter les gens pour qu’ils puissent mettre à l’abri les femmes et les enfants et qu’ils puissent se mettre en position de résister et de se défendre des armées du roi d’Espagne. Pour accomplir cette mission, il peut s’appuyer sur un réseau de résistance qui couvre tout le pays et sur une population acquise à l’idée de paix et de tolérance religieuse : « la bonne cause… », dit la chanson. Till et Lamme sont (fort bien) accueillis dans une maison – celle du Comte de Meghem, précisément, par deux dames – la commère du Comte et sa coquassière, qui leur assurent ce qu’ils espèrent. Till, qui est entré dans les bonnes grâces de la patronne, obtient d’elle, des renseignements sur les mouvements militaires dirigés par le Comte de Meghem ; renseignements qui sont le résultat des confidences d’oreiller du royal officier, qui ignore que sa compagne est prête à tout pour la « bonne cause ».
Je te laisse le soin de découvrir le reste.

Je le ferai avec plaisir, conclut Lucien l’âne. Sois-en certain, car j’aime beaucoup Till et aussi son côté coquin. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde médiocre, fâcheux, vilain, oppresseur, persécuteur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Simon Simonsen, un bonhomme aux affaires étranges,
Donne un âne à Lamme, un âne à Till,
Pour aller en toutes les villes
Porter le message d’Orange.

Il faut avertir les bourgeois
Des vilains desseins du Roi
Et recueillir jusque dans les campagnes
Les nouvelles venues d’Espagne.

Ainsi, pour la bonne cause, Till et Lamme
Vêtus en paysans madrés
Avec leurs ânes, courent tous les marchés
Et vendent des légumes aux dames.

À Bruxelles, rue Sainte Catherine,
Ils font halte à la fenêtre de la cuisine,
De la coquassière et de sa maîtresse,
Deux charmantes hôtesses.

Elles attirent en la demeure d’un puissant seigneur.l
Par ruses féminines, les ânes, le joli cœur et le grand mangeur.
Till courtoisement fait sa cour à la patronne,
Lamme tranquillement mange des tonnes.

La belle dame s’inquiète auprès de Till :
« Prendrais-tu la défense des persécutés ? »
« Sur les cendres de Claes, toujours, je le ferai.
De Claes, mon père brûlé pour sa foi en l’Évangile. »

« Le Comte de Meghem ne pense pas comme toi,
Il envoie demain à Anvers, ma bonne patrie,
Dix enseignes d’infanterie
Pour mettre au pas les bourgeois. »

« Alarme !, dit Till. Lamme viens,
Courons prévenir les bonnes gens
De ce traquenard vilain, afin
Qu’ils se mettent en armes à temps. »

Brimeu, comte de Meghem, averti
Que des hérétiques mangeaient chez lui,
Jaloux comme un régiment d’époux,
S’encolère et les fait chercher partout.

En son foyer, la dame pleure et se pâme
Et la cuisinière jure également
Tellement que Messire croit sa femme
Et s’apaise soudainement.

mardi 15 mai 2018

La Danse de Lamoral


La Danse de Lamoral


Chanson française – La Danse de Lamoral – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 42

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XVI)



Décidément, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as le chic pour donner des titres équivoques à tes chansons et si je ne l’avais pas déjà vu écrit, j’aurais pensé que ta chanson évoquait je ne sais quelle cérémonie d’initiation civique ou religieuse ou une sorte d’audacieuse méthode avant-gardiste d’enseignement de la morale, une variante de « La danse du feu », par exemple. Je me serais imaginé une explication ethnologique ou une discipline ethnographique. Bref, j’aurais cherché quel aurait pu être l’objectif d’une chorégraphie, intitulée « La Danse de la Morale » ; j’essayais de me figurer toute une classe, toue une jeunesse entraînée dans des mouvements d’une grâce singulière. À moins encore qu’il ne s’agisse d’une sorte de description d’un personnage dénué de principes : « La danse de l’amoral », un ballet objectif ou réaliste, en quelque sorte. Ce n’est évidemment pas ça. J’ai cru un moment à une erreur de composition et que ce serait une chanson de marine : « La danse de l’amiral ». Mais non, je le vois à tes yeux rieurs, il ne s’agit pas de ça non plus. J’aurais vogué en plein mystère. J’y suis encore avec le titre effectif, vraiment, je ne suis pas plus avancé, car que peut bien être « La danse de Lamoral » ? Alors, dis-le moi ! Je brûle de le savoir.

En tout cas, Lucien l’âne mon ami, j’ai réussi à susciter ton intérêt. C’est déjà une bonne chose. Mais venons-en au fait et à ce Lamoral qui t’intrigue tant. Lamoral, comme beaucoup de gens l’ignorent, est un prénom français, fort peu usité, sauf dans certaines familles nobles et ce Lamoral de ma chanson n’est autre que le Comte d’Egmont, fort titré et dont la fonction principale est d’être le Gouverneur (stadthouder) de Flandre et d’Artois, soit la partie sud-ouest des Pays-Bas, qui sont encore à ce moment entièrement sous domination espagnole. Il est le plus haut représentant du roi dans ces régions. Son influence et sa réputation sont considérables. Il est également un de ceux qui se font traiter de « gueux », même s’ils sont encore « fidèles au roi ». C’est ce même Egmont à qui Beethoven consacrera une de ses œuvres (op.84) les plus célèbre, sous le titre « Egmont » ; mais de cela, on aura l’occasion de reparler quand on remémorera son exécution, le 8 juin 1568 – il y a exactement 450 ans ; une exécution que Till, tel une Cassandre moderne, annonce dans un diptyque énigmatique :

« Quel est le plus rouge ? Le vin qui entre au gosier
Ou le sang qui coule du cou tranché ? »

à Egmont, lequel ne semble pas vouloir le comprendre, ni même l’entendre. On ne connaîtra jamais la réponse que Lamoral d’Egmont aurait pu apporter à ces questions. Ainsi, ma chanson aurait pu aussi bien s’intituler « L’annonce faite à Egmont ».

Oui, dit Lucien l’âne, c’est une chanson dramatique et de cette mort d’Egmont, on en reparlera certainement. En attendant, il nous faut continuer notre tâche et tisser, tisser encore le linceul de ce vieux monde sanguinaire, dramatique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Lamoral lui-même, Lamoral
Prince de Gavre, comte d’Egmont
S’en revient au pas de son cheval
De souper avec l’abbé de Saint-Bavon.

Soudain, une voix dans la nuit
Parle des lendemains.
Un homme marche à côté de lui,
Une lanterne à la main.

Egmont grogne : « Que veux-tu ?
Laisse-moi, va-t’en, malotru ! »
« Je cherche un homme, j’éclaire ton chemin
Pour que demain soit certain. »

« Quand même, dit Till, écoute mon avis ! »
« Cette lanterne est un fanal
Qui d’ici, éclaire dedans l’Escurial. »
« Peu me chault ta lanterne, l’ami. »

Et Till prend le cheval au mors,
Il tient la bête qui rue fort.
« Sur ton cheval, Lamoral, tu danses ;
Sur ton col, Egmont, ta tête pense. 

Egmont, homme sans défiance,
Le roi espagnol en sa démence
Veut laisser intact ton corps
Et s’assurer de ta tête de mort.

« Du fouet, méchant ratiocineur ! ».
« Les cendres sur ma poitrine encor
Disent qu’Egmont, comte et seigneur,
Seul peut sauver les Pays du Nord. »

Le fouet s’élève, Till cavale
Loin des coups furieux de Lamoral.
« Mange des lanternes, écoute la nuit,
Fais ce qu’elle dit, sauve les Pays. »

Un jour d’été, le soleil rit.
Lamoral arrête son cheval au Cochon bigarré,
Une auberge tenue par Musekine, la gentille souris.
Egmont crie « À boire ! », dressé sur ses étriers.

C’est Till le serveur, c’est Till qui vient
Avec à la main, un plein flacon de vin.
« Quel est le plus rouge ? Le vin qui entre au gosier
Ou le sang qui coule du cou tranché ? »

lundi 14 mai 2018

Cave Canem !

Cave Canem !


Chanson française – Cave Canem ! – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 41

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XV)



Tiens, Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai comme l’impression que te voilà pris par le démon des séries, te voilà à faire des chansons littéralement à la queue leu-leu et la question qui me turlupine est de savoir jusque-z-où ? Jusque-z-à quand ?

Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Ça, Lucien l’âne mon ami, je le sais, tu le sais, tout le monde le sait ou peut le savoir en réfléchissant un instant : jusqu’à la fin de l’histoire telle qu’elle est contée par la Légende. Mais j’imagine que ça ne répond nullement à ton attente. À vrai dire, hors ça, je n’en sais rien, car à la vérité, ces chansons, je les fais au fur et à mesure et en quelque sorte, sur mesure ? j’avance page après page dans la légende et je ne sais pas trop ce que réserve la page suivante. Peut-être y aura-t-il de quoi faire une chanson, peut-être pas.

Je te comprends, Marco Valdo M.I. mon ami, car à chaque jour suffit sa peine et point n’est besoin d’avoir établi de grands plans pour savoir qu’il y faudra encore des semaines et des mois. Si j’ai bien compté, jusqu’ici, tu en as écrit une quarantaine et tu serais arrivé à peu près au milieu du gué.

Comme je te l’ai dit, répond Marco Valdo M.I., je n’en sais trop rien, parce que tout va dépendre de ce que le récit de Charles De Coster me permettra de faire. Par exemple, on y trouve de nombreuses anecdotes, venues tout droit du fonds des légendes allemandes du Moyen Âge. Des histoires où Till, Lamme et Nelle et Katheline et les autres vivent des scènes de la vie privée, des moments ordinaires, certes intéressants, mais qui n’apportent rien au récit de la lutte de Till contre l’Inquisition, l’occupant espagnol et l’intolérance, ni au récit de ses aventures comme porteur de l’esprit de liberté, au personnage de Till comme ludion de la raison, comme précurseur d’une humanité libérée des religions en tout genre.

Lors donc, procédons et parlons de ce Cave Canem ! qui m’intrigue beaucoup, dit Lucien l’âne. Si je n’ai pas oublié mon latin, ça voudrait dire « Prends garde au chien ! » ou « Attention au chien ! ».

Exactement, Lucien l’âne mon ami. Ce « Prends garde au chien ! », qui figurait en mosaïque devant la maison de patriciens romains, s’adresse au voyageur, au visiteur. Maintenant, on se contente d’un panneau plus prosaïque sur lequel il est écrit : Chien méchant. Toutes ces formulations conviennent pour la chanson, car le Cave Canem ! de la chanson met en garde contre le Chien rouge, contre ce Cardinal Granvelle, qui est à Bruxelles, l’âme damnée de Philippe II d’Espagne, l’homme fort de l’oppression et de la répression du mouvement de liberté qui secoue les Pays. Quant au Duc qui « marche sur les Pays du Nord », il s’agit de Fernando Álvarez de Toledo y Pimentel, connu sous le nom de Duc d’Albe – un Grand d’Espagne, celui-là, un personnage typique de la domination espagnole quand elle s’entête dans son orgueil et dans son catholicisme, quand elle se trouve confrontée à un vent de liberté et à une volonté d’indépendance.
Pour les détails, tout se trouve dans la chanson.

Je n’en demandais pas plus, Marco Valdo M.I. mon ami. J’en sais assez à présent et nous pouvons reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde obstiné borné, répressif, intolérant, religieux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



En la ville, on ne comprend pas pourquoi
On détruit toutes les églises, toutes les chapelles ;
On prend tous les flambeaux, toutes les chandelles.
En criant « Vive le Gueux ! À bas le Roi ! »

Pourquoi les malconnus venus d’ailleurs,
La guenaille de la ville aussi,
Brisent la grille du chœur
Et tirent la Vierge hors de son nid.

Ils crient « Vive le Gueux ! » et avant minuit,
En l’église, tout est détruit :
Les autels, les images, les peintures,
Abattues les statues, brisées les serrures.

« Voyez, voyez », dit Till,
« Qui détruit, qui saccage. »
« Cherchez, cherchez », dit Till,
« À qui profite le pillage. »

« Larron pillard, gentil larron,
Gracieux vaurien, bélître stipendié,
Besogneux sicaire, montre-moi ta commission,
Misérable mercenaire, dis-moi qui t’a payé ! »

« Cave canem : prenez-garde au Chien rouge !
Cave canem : on a brisé le crucifix.
Cave canem : le crime est commis.
Cave canem : méfiez-vous du Chien rouge !

La moisson a mûri,
La moisson est mûre.
Les faucheurs arrivent aux Pays,
La désolation est sûre.

La mer monte, la mer de vengeance,
Le Duc, le Duc marche sur les Pays du Nord.
Fuyez filles, femmes, fuyez tous cette engeance !
Le père sema la mort, le fils fera pis encore.

Voici le temps des ruines et des souffrances.
Aux carrefours, sur les places poussent les potences.
Pauvres gens, pour la paix, il n’est plus l’heure,
Fuyez les bourreaux, fuyez les fossoyeurs. »

Till partout sonne l’alarme,
Lamme partout fait vacarme.
Par milliers avec leurs chariots chargés,
Les vieux, les jeunes, les enfants partent des cités.