dimanche 15 avril 2018

ASIE-AFRIQUE

ASIE-AFRIQUE

Version française – ASIE-AFRIQUE – Marco Valdo M.I. – 2018

d’après la version italienne de Flavio Poltronieri – ASIA – AFRIKA – 2018
d’une chanson turque – Asya-AfrikaZülfü Livaneli – 1988




Dialogue maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson turque de Zülfü Livaneli, qu’on a commencé à découvrir avec Les Murs (Duvarlar) et Güldünya. Cette chanson-ci est l’écho d’un poème de Nazim Hikmet : Adresse aux écrivains asiates et africains (Asya-Afrika yazarlarina), qui est une sorte de profession d’internationalisme ; l’une comme l’autre s’inscrivent dans une logique tiers-mondiste, qui fut celle de Nehru. Depuis, les choses ont évolué, toute une histoire s’est écoulée. Si dans les principes, la chanson de Livaneli est parfaitement dans la ligne des revendications d’égalité humaine, dans les faits, auxquels elle se rapporte, elle ne correspond plus aux situations d’aujourd’hui.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est assez naturel. La chanson date d’il y a 30 ans et elle se fondait sur des faits de l’époque. Et puis, en quoi est-elle décalée par rapport à la situation actuelle ? Peux-tu me l’expliquer ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je m’en vais te détailler ces éléments qui la rendent anachronique. La première strophe parle de la Chine et de la place Tienanmen qui est une des plus grandes et plus célèbres places de notre monde ; elle est le lieu par excellence de la capitale de la Chine, Pékin. Elle porte – par je ne sais quelle ironie de l’Histoire ! – ce nom de Tienanmen qui signifie « Place de la porte de la Paix céleste ». Cette strophe comprise comme on peut la comprendre aujourd’hui semblerait indiquer que la chanson prend parti pour les révoltés de Tienanmen et ce serait très bien ainsi, si ce n’était que ce serait un contre-sens en ce qui concerne les opprimés et les oppresseurs. Si les opprimés sont toujours les opprimés et le peuple chinois, les oppresseurs d’aujourd’hui qu’évoque la Place Tienanmen, c’est le Parti Communiste Chinois. Je vois ton regard éwaré, je le vois qui me présente toute l’incompréhension du monde ; alors, je m’explique.
La chanson date de 1988 et malgré certains antécédents, on pouvait voir cette place Tienanmen comme le lieu d’expression historique des opprimés de la Chine.
L’année suivant, en juin 1989, la 27ième Armée chinoise écrasait avec ses chars les manifestants tout autour de cette place, occupée par le peuple. La répression faisait plus de 10 000 morts. Selon Alan Donald, l’ambassadeur britannique en poste à Pékin qui envoyait les informations à son gouvernement, les blindés ont « roulé sur les corps à de nombreuses reprises, faisant comme une « pâte » avant que les restes soient ramassés au bulldozer. Restes incinérés et évacués au jet d’eau dans les égouts ». Dans les jours qui suivent, l’armée chinoise occupe Pékin et la répression s’étend à tout le pays.
Il est difficile d’imaginer que cette strophe ait eu le même sens en 1988, sauf à être une chanson prophétique prenant parti sur ce qui allait se passer l’année suivante et que le sens qu’elle a pu prendre après les massacres de 1989. Depuis lors, Tienanmen est toujours symbole de lutte pour la liberté et contre l’oppression et l’oppresseur d’alors est toujours au pouvoir et s’y accroche solidement. Comme on le voit, la Guerre de Cent Mille Ans ne connaît pas de frontières ; elle fait rage partout et les riches et les puissants de partout font brutalement la répression et la guerre aux pauvres et ils le font au nom de Dieu, du Droit, de l’État, de la Nation, de la Race, de la République, de la Démocratie, de la Liberté, du Peuple, du Parti, du Prolétariat, du Prophète ou de n’importe quoi.
Quant à la dernière strophe qui parle de l’Afrique du Sud, elle devrait elle aussi être actualisée. Botha et Mandela, qui tous les deux furent présidents du pays, ont disparu.

Effectivement, Marco Valdo M.I., ces deux strophes sont circonstancielles et de ce fait, ont perdu leurs repères pour la plupart des auditeurs ; mais c’est le lot de toutes les chansons qui se focalisent sur une actualité, par essence évanescente. Il fallait vraiment introduire un peu d’histoire pour comprendre ces deux strophes de la chanson, mais il en est une autre.

Il en est une autre et celle-là, Lucien l’âne mon ami, est toujours d’actualité, car elle est quasi-intemporelle. Que dit-elle ? Elle affirme l’homme d’Asie et d’Afrique face à la colonisation par le monde « européen » et la domination du monde par l’Occident.

Maintenant, si tu le veux bien, Marco Valdo M.I. mon ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde déséquilibré, raciste, oppresseur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



La moitié de notre cœur est ici,
L’autre moitié est en Chine :
Pas dans le Fleuve Jaune,
Mais sur la place Tienanmen
Avec les opprimés.

Ne regardez pas, frères, mes cheveux blonds,
Je suis asiate, je suis africain !
Ne regardez pas, frères, mes yeux bleus,
Je suis asiate, je suis africain !

En Afrique noire,
Botha et ses hommes jouent en noir ;
Le visage de Mandela,
De Biko et de ses amis, saigne.

jeudi 12 avril 2018

GÜLDÜNYA


GÜLDÜNYA


Version française – GÜLDÜNYA – Marco valdo M.I. – 2018
tirée de la traduction italienne – GÜLDÜNYAFlavio Poltronieri – 2018
d’une chanson turque – GüldünyaZülfü Livaneli2005
Paroles et musique : Zülfü Livaneli




Livaneli écrivit et dédia la chanson à une fille victime d’un crime d’honneur.
Son nom Güldünya est composé de deux différents mots
 : la première partie « Gul » est aussi bien le nom « Rosa » que le verbe « rire », la seconde partie « dünya » signifie par contre « monde ».

Dialogue maïeutique


Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, la chanson raconte la très triste histoire de Güldünya, une jeune fille turque qui vivait dans Istamboul, la ville la plus moderne et la plus européanisée de Turquie. Elle s’était bercée de l’illusion qu’un tel monde serait civilisé et serait capable d’atteindre la hauteur nécessaire pour donner vie à la dignité humaine, à la dignité d’être et de société humaines. C’était une illusion et Güldünya a payé très cher cette erreur de jugement : elle a voulu vivre selon ses amours, elle en est morte ; pour raison d’amour, ils l’ont assassinée.

Que racontes-tu, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-il arrivé à cette jeune femme, je pressens une tragédie ?

Une tragédie, Lucien l’âne mon ami, c’en est une, assurément ; mais c’est aussi une ignominie et en langage plus cru comme le dirait le populaire, une franche saloperie. Et le pire, le pire de tout, c’est qu’ils appellent ça un « crime d’honneur ». À mon sens, il s’agit plutôt d’un « crime d’horreur ».

Un « crime d’honneur », un « crime d’horreur » ?, dit Lucien l’âne en dressant ses oreilles à la verticale, de quoi s’agit-il ?.


En clair, Lucien l’âne mon ami, Güldünya a été purement et simplement assassinée parce qu’elle avait voulu connaître et accomplir sa liberté d’être humain et sa liberté d’être humain féminin ; car elle avait décidé de suivre le penchant de son cœur et refusé de se soumettre au diktat de la religion, qui n’est rien d’autre qu’un résidu d’antiques coutumes paysannes arriérées.

Oh, dit Lucien l’âne qui en a vu d’autres, prudence, prudence, il faut être prudent avec les religions. Car les religions sont des engeances rancunières et assassines.

Oh, Lucien l’âne mon ami, je le sais et ô combien, je le sais. J’ai écrit tant de choses à propos des persécutions et assassinats de la religion catholiquedu sac de Jérusalem aux massacres d’Albi, de Béziers et de Montségur, à la torture de Claes le père de Till, à sa mort sur le bûcher, à celle de Viviani et de Bruno, à celui de Dolcino et de tant d’autres, etc., on n’en finirait pas. Mais dans ce cas-ci, il s’agit de la religion musulmane, des prescriptions du Coran et des délires machistes du prophète, relayant les ukases divins. Ah, si cette religion se contentait de mener des guerres saintes contre les religions concurrentes, je n’y trouverais pas trop à y redire ; en quelque sorte, ils laveraient leur linge sale en famille. Mais elle est plus pernicieuse, plus perverse encore, au moins autant que ne le furent les religions chrétiennes. Elle intervient dans la vie privée, quotidienne et intime de millions et de millions d’enfants (par le baptême, la circoncision ou l’excision), de femmes et d’hommes. Les religions, foi de Marco Valdo M.I., sont toutes indistinctement des machines autoritaires et indiscrètes ; toutes sont les ennemies de la liberté.

Pour ce que j’en ai vu au cours des âges, dit Lucien l’âne, tu as raison. J’ai vu les juifs se massacrer entre eux, les chrétiens massacrer les juifs, les musulmans massacrer les chrétiens et les juifs, les hindous massacrer les musulmans et inversement.

La religion est un sport dangereux, j’en conviens, dit Marco Valdo M.I.; cependant, il faut en sortir un jour ou l’autre de ce cercle infernal et à mon sens, la seule et unique manière s’est de se reconnaître tous comme des êtres vivants et de s’accorder sur cette seule base, sans l’intervention d’un être supraterrestre, sans l’intercession d’un dieu, qui en dehors de l’imaginaire de certains, n’existe tout simplement pas.


Sur ce point, Marco Valdo M.I. mon ami, je te rejoins totalement. D’ailleurs, il suffit de lire La Déclaration Universelle des Droits de l’Âne pour se convaincre que l’âne est athée. À ce sujet, il faut en toute objectivité constater qu’à la naissance, l’homme – dans toutes ses déclinaisons – est athée comme l’âne ou n’importe quel être – animal, végétal, minéral, gazeux, vide… et que tous les vivants redeviennent athées à leur mort, pour autant qu’ils se soient égarés durant leur existence dans les arcanes d’une religion ou d’une autre.

En effet, Lucien l’âne mon ami, tu fais bien de le rappeler : à la naissance, tout le monde – absolument tout le monde – est athée. Ce n’est qu’ensuite, qu’on pousse l’être humain dans les bras des religieux, qu’on fait gober l’existence d’un Dieu ou de plusieurs, qu’on le rend croyant et crédule. Tu fais tout aussi bien de rappeler que l’être humain abandonne avec sa vie toute coloration religieuse et redevient athée, quand il meurt.

Maintenant, Marco Valdo M.I., pour cette fois, il est temps de conclure et de reprendre notre tâche qui consiste à tisser le linceul de ce vieux monde absurde, assassin, ignoble, infect, religieux, croyant, crédule, idiot et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi parlaient Marco Valdo M..I. et Lucien Lane


Güldünya Güldünya !
Le monde crie, le monde rit.
Ils abattent Güldünya,
Écoute ce que je dis !

Istamboul est pleine de quartiers
Aux maisons peintes en blanc.
Ils abattent Güldünya :
L’arbre de la jeunesse est bri

Güldünya Güldünya…

Istamboul est pleine de bazars
Et d’hommes aux cœurs barbares.
Si on ne respecte pas leurs traditions,
Une tombe noire est la punition.

Güldünya Güldünya...

mardi 10 avril 2018

LES MURS

LES MURS

Version française – LES MURS – Marco Valdo M.I. – 2018
d’après la traduction italienne – MURI – Flavio Poltronieri – 2018
de la chanson turque – DuvarlarZülfü Livaneli – 1994
Paroles et musique : Zülfü Livaneli









Sais-tu, Lucien l’âne mon ami, qui est Zülfü Livaneli ?

Oh, dit Lucien l’âne, moi, tout ce que j’en sais, c’est de l’avoir rencontré, il y a bien des années quand il menait aux côtés de Mikis Théodorakis, le combat pour établir une double voie d’amitié entre les Grecs et les Turcs. C’était au siècle dernier ; il y a maintenant plus de trente ans. Et de façon évidente, ce n’est pas gagné, surtout avec le régime actuellement au pouvoir en Turquie, qui me paraît par trop nationaliste, inféodé à une religion particulièrement intolérante, dictatorial, xénophobe et pour tout dire, assez fasciste dans son développement. C’est embêtant pour ce beau pays qui fut – un temps – une vraie république laïque, pour ne pas dire débarrassée de Dieu, qui prisait assez la liberté de ses citoyens. À présent, on en est loin. Et son évolution a de quoi inquiéter ses voisins, dont nous sommes.

Pour en revenir à ma question et à l’artiste Livaneli, reprend Marco Valdo M.I., tu sais sans doute aussi qu’il est un chanteur et un musicien, très renommé en son pays, mais également sur la scène internationale. Mais, sais-tu également qu’il s’agit d’un romancier de renom, un journaliste, un cinéaste et sans doute, a-t-il d’autres faces de sa créativité comme la poésie. Bref, il s’agit d’un artiste polyédrique, diraient nos amis italiens ; ce que je traduirai à l’usage des locuteurs de langue française, par artiste polymorphe ou protéiforme ; d’autres diraient qu’il a de multiples cordes à sa lyre. Pour ce que j’en sais, on dit de lui que c’est un artiste antidogmatique, ce qui dans la Turquie d’aujourd’hui, celle du caudillo Erdogan, est très périculeux. Je dis tout cela, car il s’agit de l’auteur, du compositeur et de l’interprète de la chanson.

Au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, que dit-elle cette chanson ?

Le fait qu’elle s’intitule « LES MURS » donne déjà une indication. Comme on peut le voir dès les premiers mots, elle s’élève contre les murs, elle appelle à les détruire, à les abattre. Reste à savoir de quels murs, il s’agit, mais il n’est pas très difficile de comprendre qu’il s’agit pour l’essentiel des murs en tant que barrières, en tant qu’obstacles mis sur la route des populations et de la liberté des gens. Il en est de physiques, il en est qui sont faits d’interdits édictés au nom d’une idéologie, d’une religion, d’une nation. Toutes choses qui, comme tu le penses, sont détestables. Enfin, j’ajouterais volontiers que cette chanson si elle vise la situation en Turquie – elle visait en réalité une situation plus ancienne, mais elle a encore plus de pertinence aujourd’hui –, si par sa langue, elle s’adresse aux Turcophones et principalement, aux gens de Turquie, elle n’en a pas moins une portée générale comme, par exemple, en avaient aussi les chansons L’autre Côté du Mur et Les Murs de Pékin.

Dis-moi, Marco Valdo M.I., pourrais-tu préciser un peu le cheminement politique de Livaneli par rapport à ce qui se passe actuellement en Turquie ?

Je vais essayer, Lucien l’âne mon ami, mais ce sera fort général, pour la simple raison que je n’ai pas d’informations récentes quant à ce que pense ou ce que devient Livaneli.
Cependant, comme je l’ai déjà laissé entendre, ce n’est pas un partisan du régime actuel et de ce que j’en sais, il s’était déjà insurgé très fortement contre la nomination d’Erdogan au poste de Premier Ministre et il a amèrement et violemment reproché au chef du Parti républicain CHP, dont il était un membre influent, d’avoir tout fait pour permettre à Erdogan, chef du parti nationaliste musulman AKP, à qui était interdit l’accès à cette fonction, de devenir « Premier ministre sans être député ». C’était en décembre 2002 (depuis le dénommé Erdogan s’est fait bombarder Président). Cette véritable trahison, qui s’apparente à un coup d’État feutré, et ses suites désastreuses ont conduit à ce qu’on connaît aujourd’hui : un plongeon dans l’obscurantisme et la barbarie. Livaneli disait dans sa lettre adressée au président du parti (je reprends cette citation d’un article publié en 2007 sur le site KABA) : « Erdoğan n’est pas n’importe qui, c’est l’homme politique que tous les ordres religieux réunis ont choisi pour remplacer Erbakan, il a pour lui le soutien des États-Unis et de l’Europe. Son projet est de faire de la Turquie une République islamique modérée. Cela ne va pas durer deux mois comme vous le dites, au contraire, il va ruiner la vie politique de tous ceux qui se trouvent dans cette pièce. » Au-delà, on trouve des traces de l’artiste au travers de concerts ou de comptes-rendus de ses romans. Mais je n’ai plus trouvé de traces actuelles, ce qui ne laisse pas de m’inquiéter, si l’on songe au sort que ce régime réserve à ses opposants et les méthodes d’intervention qu’il utilise contre ces derniers.

Oh, dit Lucien l’âne en relevant le front, je pense qu’on finira par savoir quelque chose et pour ce qui est du régime en place à Ankara, il ne faut pas se leurrer : c’est une dictature brutale et belliciste, ethnocidaire vis-à-vis des Kurdes notamment. En Turquie, ce n’est pas un coup d’essai ; il y a eu le précédent du génocide des Arméniens. Il y a là une tradition nauséabonde, que comme la chanson le montre, certains Turcs tentent de renverser. Mais tu as raison, il y a de quoi s’inquiéter, pour tous ceux qui vivent dans l’orbe turc, mais aussi pour tous les voisins du Moyen-Orient, Europe y comprise, car la Turquie est un grand pays de plus de 80 millions d’habitants, dispose d’une armée importante et d’une relative puissance économique.

Que faire ?, dit Marco Valdo M.I., face à un pareil État autoritaire, qui massacre ses propres populations ? Certains avancent l’idée qu’un boycott de la Turquie, à commencer par le secteur touristique, pourrait avoir un certain effet sur l’évolution des choses. C’est à voir et probablement, à tenter.

Oui, dit Lucien l’âne, faut voir. Quant à nous, il nous faut reprendre notre tâche qui consiste à tisser encore et toujours le linceul de ce vieux monde impuissant, velléitaire, impotent et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









Prenez d’assaut les murs,
Détruisez-les tous !
Assez de velléités,
Assez de divisions !



Abattez les murs,
Démolissez-les tous !
À bas les tyrannies,
Il suffit de chansons comme celle-ci !



Abattez les murs !
Le béton en cendres !
Marre des frontières,
Assez de guerres !



Abattez les murs,
Démolissez-les tous !
À bas les tyrannies,
Il suffit de chansons comme celle-ci !

lundi 2 avril 2018

UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE


UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE


Version française – UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienneUna giornata particolareFederico Marchioro – 2015



Dans « Une Journée particulière », chanson interprétée en duo par Federico Marchioro et Luca Bassanese, un chant décharné, sec, rigoureux, dépourvu de virtuosités, mais extrêmement direct de Marchioro, la force, la présence scénique et la théâtralité innée de Bassanese, confèrent à la pièce le caractère d’une « narration civique », du récit d’une défaite collective, d’un profond sens d’appartenance, d’un rêve commun brisé.
Dans une Italie, à la conscience civique « lobotomisée » par les grands moyens de communication, devenus moyens de contrôle et d’élaboration d’une vérité à l’usage et le profit d’une toute-puissante oligarchie, d’un « Grand Frère », d’une orwelliennne mémoire, est venu le moment de célébrer dans cette « journée particulière », qui entrera dans les livres d’histoire, pour la mémoire des générations à venir, la « mort de la gauche » et la victoire d’un « Nouvel Ordre » basé sur la haine, la violence, l’intolérance raciale et le mépris pour toute forme de libre expression culturelle, considérée comme « art dégénéré ». « Où on brûle les livres, on brûlera les hommes », écrivait le poète allemand Heinrich Heine. Et telle est l’histoire qui, tragique et inéluctable, se répète.
Dans une violente et rageuse nuit de pluie, pour les rares survivants de l’extermination planifiée d’un idéal, restés seuls dans ce « Blade Runner », c’est le temps du regret et du désespoir, d’une douloureuse remise des comptes, flux de conscience devant le tribunal de l’Histoire.
La grande épopée du Parti Communiste Italien, capable d’unir des générations entières autour de son orgueilleux drapeau, de l’incarnation de grands rêves et des espoirs, est finie, les larmes mêlées à la pluie qui descend du ciel sont du sang versé pour la trahison envers les martyrs de la Résistance.


Dialogue Maïeutique


Moi, dit Lucien l’âne, « Une Journée particulière », qui est le titre de cette chanson que tu viens de mettre en langue française, me rappelle furieusement un film qui portait le même titre. Un film d’on j’avais entendu parler bien des fois et qui si j’ai bon souvenir rassemblait en contre-emploi deux grands acteurs du cinéma. Autant que je m’en souvienne, cette « journée particulière » était celle d’un moment d’apogée du régime fasciste – le 8 mai 1938, on n’y pense pas souvent quand on fête le 8 mai, celui de 1945 – le jour de la venue à Rome du Nazi Maximus, A. H. ; cérémonial auquel les personnages – Sophia Loren en mère de famille au foyer et Marcello Mastroianni en journaliste licencié pour cause d’homosexualité et destiné au bagne de Carbonia en Sardaigne – n’assisteront pas.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, ta mémoire ne te trompe pas et mieux, elle t’a indiqué sans erreur aucune ce qui se trouve en arrière-plan de son propre récit, car, comme tu le sais, une chanson est (presque) toujours un récit. Le film que tu évoques racontait une Italie écrasée, hypnotisée par la verroterie glorieuse, soumise. Un temps où on pouvait à juste titre comme le commentaire introductif dire :
« le moment … qui entrera dans les livres d’histoire, pour la mémoire des générations à venir… basé sur la haine, la violence, l’intolérance raciale et le mépris pour toute forme de libre expression culturelle, considérée comme « art dégénéré ». « Où on brûle les livres, on brûlera les hommes », écrivait le poète allemand Heinrich Heine. Et telle est l’histoire qui, tragique et inéluctable, se répète. »
Le réalisateur du film, Ettore Scola disait : 
« L’idée était de mettre en scène une histoire actuelle de deux solitudes qui se rencontrent »
et c’est le même schéma qu’on retrouve dans la chanson, celui de la conversation particulière, du dialogue intime, confidentiel, presque clandestin et celui de la réflexion au plus profond de la dépression.

Certes, dit Lucien l’âne, j’ai bien saisi tout ça, mais dis-moi quand même quelques mots de la façon dont la chanson décrit cette journée et en quoi elle se distingue de la précédente.

Ce que décrit cette « Journée particulière », ce n’est pas un moment triomphal, ce n’est pas un instant historique, c’est une réalité quotidienne. Ce qu’elle révèle, ce sont les septante ans d’autodissolution progressive de la « gauche italienne », phénomène qui se passe à l’intérieur du champ politique et qui pourrait se résorber par de nouvelles configurations politiques, mais il y a plus grave, plus lourd, plus profond et finalement plus important, c’est la déréliction de ce peuple qui au travers de la Résistance, par sa force morale était (presque) venu à bout de la honte du fascisme. Et ce que dit la chanson, c’est que l’auteur de cette dégradation est le Parti Communiste Italien. Et après, me diras-tu que faire ?

Arrête-toi là, Marco Valdo M.I. mon ami, le reste coule de source et chacun sait que cette décrépitude est toujours en cours et on ne sait ni où, ni quand elle atteindra le bout de sa destinée. En attendant, maintenant, c’est une Italie désemparée, une Italie trahie et lentement désabusée qui se regarde avec effroi et ironie. Mais bien évidemment, l’Italie, ce n’est que l’entité abstraite, une sorte de globalité nationale qui se tient dans les limites géographiques plus ou moins solidement établies et cette entité-là, pour l’instant, n’est pas atteinte ; ce sont les gens qui subissent de plein fouet les effets de cette autodestruction de l’être ; c’est un moment de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour perpétuer leur pouvoir, maintenir leur domination, ancrer leurs privilèges et multiplier leurs prébendes et leurs profits.
Face à cela, il faut reprendre le chemin de la résistance (d’autres l’avaient pris à Marzabotto, par exemple, rappelle la chanson) et à chacun des pas, pour ne pas oublier et pour trouver la force d’ouvrir d’autres voies, d’autres manières de faire le monde, se répéter à mi-voix « Ora e sempre : Resistenza ! ».
Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde arrogant, cupide, stupide, dérisoire, autosatisfait, malfaisant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



L’Italie a décidé clairement,
Sur la base des sondages disponibles à présent
Et d’une majorité de fer à la Chambre et au Sénat
Que les forces conservatrices ont vaincu encore une fois
Et gouverneront ce pays pendant deux cent vingt-cinq ans

Solennelle et suprême, l’heure des martyrs est arrivée,
Face à la mer « tout est accompli ».
Des détachements de carabiniers ouvrent le feu
Sur les orphelins des poésies de De André,
Sur ce peu qui est resté de la gauche en Italie.

Dans cette nuit de pluie, pleure mon amour,
Car les rêves auxquels nous avons cru un temps sont tous morts.
Les chants du travail, le Parti, la solitude que nous avons ressentie à place Fontana
Sont toutes devenues des choses dont il faut avoir honte.
Dans cette nuit de pluie, pleure mon amour,
Car nous sommes seulement des lâches qui ont trahi
Les luttes, les sacrifices
Et le sang des vieux camarades morts
À Marzabotto pour notre démocratie.

Milan, place San Babila
À la tombée du soir, on allume des feux
On brûle des livres, des poésies, des souvenirs,
Mes cartes de Navigation des temps passés
Et un Nord-africain qui avait survécu à la mer

Dans cette nuit de pluie, pleure mon amour,
Car les rêves auxquels nous avons cru un temps sont tous morts.
Les chants du travail, le Parti, la solitude que nous avons ressentie à place Fontana
Sont toutes devenues des choses dont il faut avoir honte.
Dans cette nuit de pluie, pleure mon amour,
Car nous sommes seulement des lâches qui ont trahi
Les luttes, les sacrifices
Et le sang des vieux camarades morts
À Marzabotto pour notre démocratie.