dimanche 15 avril 2018

ASIE-AFRIQUE

ASIE-AFRIQUE

Version française – ASIE-AFRIQUE – Marco Valdo M.I. – 2018

d’après la version italienne de Flavio Poltronieri – ASIA – AFRIKA – 2018
d’une chanson turque – Asya-AfrikaZülfü Livaneli – 1988




Dialogue maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson turque de Zülfü Livaneli, qu’on a commencé à découvrir avec Les Murs (Duvarlar) et Güldünya. Cette chanson-ci est l’écho d’un poème de Nazim Hikmet : Adresse aux écrivains asiates et africains (Asya-Afrika yazarlarina), qui est une sorte de profession d’internationalisme ; l’une comme l’autre s’inscrivent dans une logique tiers-mondiste, qui fut celle de Nehru. Depuis, les choses ont évolué, toute une histoire s’est écoulée. Si dans les principes, la chanson de Livaneli est parfaitement dans la ligne des revendications d’égalité humaine, dans les faits, auxquels elle se rapporte, elle ne correspond plus aux situations d’aujourd’hui.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est assez naturel. La chanson date d’il y a 30 ans et elle se fondait sur des faits de l’époque. Et puis, en quoi est-elle décalée par rapport à la situation actuelle ? Peux-tu me l’expliquer ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je m’en vais te détailler ces éléments qui la rendent anachronique. La première strophe parle de la Chine et de la place Tienanmen qui est une des plus grandes et plus célèbres places de notre monde ; elle est le lieu par excellence de la capitale de la Chine, Pékin. Elle porte – par je ne sais quelle ironie de l’Histoire ! – ce nom de Tienanmen qui signifie « Place de la porte de la Paix céleste ». Cette strophe comprise comme on peut la comprendre aujourd’hui semblerait indiquer que la chanson prend parti pour les révoltés de Tienanmen et ce serait très bien ainsi, si ce n’était que ce serait un contre-sens en ce qui concerne les opprimés et les oppresseurs. Si les opprimés sont toujours les opprimés et le peuple chinois, les oppresseurs d’aujourd’hui qu’évoque la Place Tienanmen, c’est le Parti Communiste Chinois. Je vois ton regard éwaré, je le vois qui me présente toute l’incompréhension du monde ; alors, je m’explique.
La chanson date de 1988 et malgré certains antécédents, on pouvait voir cette place Tienanmen comme le lieu d’expression historique des opprimés de la Chine.
L’année suivant, en juin 1989, la 27ième Armée chinoise écrasait avec ses chars les manifestants tout autour de cette place, occupée par le peuple. La répression faisait plus de 10 000 morts. Selon Alan Donald, l’ambassadeur britannique en poste à Pékin qui envoyait les informations à son gouvernement, les blindés ont « roulé sur les corps à de nombreuses reprises, faisant comme une « pâte » avant que les restes soient ramassés au bulldozer. Restes incinérés et évacués au jet d’eau dans les égouts ». Dans les jours qui suivent, l’armée chinoise occupe Pékin et la répression s’étend à tout le pays.
Il est difficile d’imaginer que cette strophe ait eu le même sens en 1988, sauf à être une chanson prophétique prenant parti sur ce qui allait se passer l’année suivante et que le sens qu’elle a pu prendre après les massacres de 1989. Depuis lors, Tienanmen est toujours symbole de lutte pour la liberté et contre l’oppression et l’oppresseur d’alors est toujours au pouvoir et s’y accroche solidement. Comme on le voit, la Guerre de Cent Mille Ans ne connaît pas de frontières ; elle fait rage partout et les riches et les puissants de partout font brutalement la répression et la guerre aux pauvres et ils le font au nom de Dieu, du Droit, de l’État, de la Nation, de la Race, de la République, de la Démocratie, de la Liberté, du Peuple, du Parti, du Prolétariat, du Prophète ou de n’importe quoi.
Quant à la dernière strophe qui parle de l’Afrique du Sud, elle devrait elle aussi être actualisée. Botha et Mandela, qui tous les deux furent présidents du pays, ont disparu.

Effectivement, Marco Valdo M.I., ces deux strophes sont circonstancielles et de ce fait, ont perdu leurs repères pour la plupart des auditeurs ; mais c’est le lot de toutes les chansons qui se focalisent sur une actualité, par essence évanescente. Il fallait vraiment introduire un peu d’histoire pour comprendre ces deux strophes de la chanson, mais il en est une autre.

Il en est une autre et celle-là, Lucien l’âne mon ami, est toujours d’actualité, car elle est quasi-intemporelle. Que dit-elle ? Elle affirme l’homme d’Asie et d’Afrique face à la colonisation par le monde « européen » et la domination du monde par l’Occident.

Maintenant, si tu le veux bien, Marco Valdo M.I. mon ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde déséquilibré, raciste, oppresseur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



La moitié de notre cœur est ici,
L’autre moitié est en Chine :
Pas dans le Fleuve Jaune,
Mais sur la place Tienanmen
Avec les opprimés.

Ne regardez pas, frères, mes cheveux blonds,
Je suis asiate, je suis africain !
Ne regardez pas, frères, mes yeux bleus,
Je suis asiate, je suis africain !

En Afrique noire,
Botha et ses hommes jouent en noir ;
Le visage de Mandela,
De Biko et de ses amis, saigne.

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