dimanche 11 août 2019

LES ÉPIROTES

 

LES ÉPIROTES


Version française – LES ÉPIROTES – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la traduction de Riccardo Venturi
d’une
Chanson grecqueΟι ΗπειρώτισσεςGiorgos Katsaros / Γιώργος Κατσαρός – 1973

Texte : Pithagoras – Πυθαγόρας
Musique : Giorgos Katsaros - Γιώργος Κατσαρός
Interprète : Marinella - Μαρινέλλα
Album / ’Αλμπουμ: Αλβανία [Alvanía]


 
Femmes épirotes en guerre - 1914



LES FEMMES D’ÉPIRE DANS LA RÉSISTANCE GRECQUE 1940-1944


« Les mères grimpaient les pentes comme la Vierge Marie. Portant leur bénédiction sur leurs épaules, elles se dirigèrent vers leurs fils. Chargées comme elles l’étaient, le vent les malmenait et soulevait leurs foulards soufflant sur leurs cheveux, fouettant leurs vêtements. Mais elles marchaient comme des hommes dans les hautes montagnes, pas après pas d’une pierre à l’autre, montant à la file, jusqu’à ce que vous les perdiez de vue, cachées dans les nuages, toujours la tête haute. »

La contribution des femmes d’Épire pendant la Seconde Guerre mondiale, l’occupation allemande et la Résistance a été vraiment précieuse et est remémorée en Grèce encore aujourd’hui. Les femmes d’Épire se retrouvèrent au front, combattant l’ennemi de toutes leurs forces, dans des conditions d’adversité extrême. Et puis, pendant l’occupation allemande et la Résistance grecque, elles aidèrent autant que possible les combattants grecs dans la lutte contre les occupants. En particulier dans les villages montagneux d’Épire, les femmes se sont montrées dignes des champions de ces idéaux qu’elles sentaient en danger. Ayant perdu l’aide des hommes, tous engagés dans le combat, elles ont pris la responsabilité de veiller à leur protection et celle de leurs familles.

Les services que les femmes d’Épire ont rendus pendant la Seconde Guerre mondiale étaient si importants que la victoire de l’armée grecque n’aurait pas été possible sans leur précieuse contribution. Au matin, elles préparaient le chemin pour les troupes et la nuit, elles cousaient des vêtements pour les soldats. Les femmes ont estimé que ce n’était pas seulement une obligation, mais une question d’honneur d’offrir leur hospitalité et de coudre des vêtements pour les soldats de l’Armée grecque de libération. 300 soldats, par exemple, ont trouvé refuge (10-15 par maison) dans le village de Tsepelovo à Zagoria. Les femmes étaient tellement enthousiastes à l’idée de fournir de la nourriture et des vêtements aux soldats qu’elles ont abattu tous les animaux du village, la seule source de production dans la région. À Lepiana, dans le district d’Arta, un village situé au-dessus des montagnes de Tzoumerka, les habitants ont été réveillés par le bruit des canons. « Nous nous sommes réveillés dans la peur. Les canons tonnaient comme s’ils étaient à côté de nos maisons… Mais le pire, c’était les avions. Ils étaient trop nombreux… Ils allaient bombarder Arta… », dit Marigoula Houliara, l’une des femmes qui se souvient encore de l’horreur de la guerre, au cours de laquelle de nombreux hommes de sa famille ont été tués. Et elle ajoute : "… Un jour, des camions de l’armée arrivèrent au village. Ils apportaient du coton et ils nous l’ont donné. Ils nous ont dit d’en faire des chaussettes et des pulls pour l’armée. Chacun d’entre nous a offert les morceaux de tissu que nous pouvions trouver dans nos maisons. Couvertures, tapis de laine, n’importe quoi… » Des femmes, des personnes âgées et des enfants ont entrepris de faire des routes et de construire des ponts en peu de temps, comme les 6 kilomètres de la route du village de Kapesovo à Zagoria. « Nos soldats avançaient après la victoire de Pindos. Lorsqu’elles atteignirent la rivière Vogiousas et que les femmes courageuses de Pindos réalisèrent que les rapides ne permettraient pas aux ouvriers du génie de travailler, elles firent spontanément quelque chose qui se répéta plus tard pour les rivières Kalamas et Drinos : elles se jetèrent à l’eau et, se saisissant par les épaules, elles firent une sorte de barrage, réduisant l’intensité des rapides pour aider ceux qui devaient construire le pont. »
Le transport et les soins des soldats blessés étaient à charge des femmes. Elles portaient les blessés du front à l’arrière, bandait les blessures, réconfortaient et encourageaient. Souvent, elles les emmenaient dans leurs propres maisons, converties en logements et en hôpitaux. Dans le visage bouleversé de la femme d’Épire, chaque blessé et chaque soldat pouvait voir sa mère, sa femme, sa sœur ou même un camarade. Dans sa correspondance du front, P. Palaiologos déclare : « …les femmes portaient les blessés dans leurs bras. Elles ont mis les prisonniers de guerre blessés sur le dos de leurs mules et les ont accompagnés à l’arrière… »
La contribution la plus importante des femmes a probablement été le transport d’armes, de nourriture, de vêtements, etc. jusqu’au front, où les moyens de transport de l’armée ne pouvaient pas arriver en raison du mauvais temps et des routes accidentées. Dans les montagnes enneigées, les femmes d’Épire ont écrit leur propre histoire, se frayant un chemin dans la neige et transportant des munitions pour les troupes grecques : « … J’ai rencontré des femmes portant des munitions. Une avait 88 ans… La neige, la glace, le froid glacial ne semblaient pas leur faire peur. Elles voulaient tous offrir à l’armée tout ce qui n’était pas possible pour les moyens de transport de l’armée. Des femmes vraiment admirables. Différentes des femmes de la ville ! »
Les femmes portaient des canons et des munitions dans les montagnes avec l’aide de soldats qui les attachaient avec des cordes épaisses autour de leur taille et les tiraient. Et ils continuèrent à grimper, esquivant pierres et arbustes saillants, les genoux courbés sous la lourde charge.
De nombreux épisodes surprenants en disent long sur la force de l’âme féminine et leur sacrifice. À Tsepelovo, les soldats grecs, affamés et pieds nus, ont demandé des renforts de Ioannina, mais ils ne pouvaient venir. Les femmes ont immédiatement été appelées pour porter de la nourriture, des bottes, des fusils et des canons à l’avant. Les femmes de Pindos devinrent une légende, elles étaient aux côtés des soldats et de nouveau firent revivre la légende des femmes grecques, des femmes spartiates, des femmes de Souli et de toutes ces héroïnes qui combattirent pour l’honneur et la liberté de leur pays. Elles furent honorées par d’illustres auteurs, poètes, écrivains, Grecs et étrangers, contemporains et plus tardifs ; elles sont encore honorées par toute la nation grecque. Au sommet d’une colline, près du village d’Asprageli de Ioannina, la statue de la « Femme Pindos » se détache majestueusement là où 68 ans auparavant les femmes d’Épire se battirent pour une seule cause : conquérir leur propre part de liberté.



Les femmes d’Épire
Vont dans la neige
Et portent des grenades.
Mon dieu, comme tu les as trempées
Et elles ne sont pas inquiètes.

Les Femmes d’Épire,
Merveilles de la nature.
Ennemi, pourquoi n’as-tu pas demandé
Qui vous alliez occuper ?
Femmes de Ioannina, femmes de Souli,
Merveilles de la nature.
Ennemi, pourquoi n’as-tu pas demandé
Qui vous alliez occuper ?

Femmes des confins,
Filles, âgées, mariées,
Flammes dans les vents du nord,
Vous serez les remparts,
Les mères de la liberté.

Les Femmes d’Épire,
Merveilles de la nature.
Ennemi, pourquoi n’as-tu pas demandé
Qui vous alliez occuper ?
 Femmes de Ioannina, femmes de Souli,
Merveilles de la nature.
Ennemi, pourquoi n’as-tu pas demandé
Qui vous alliez occuper ?

vendredi 9 août 2019

LA BALLADE DU CHEMIN DE FER



LA BALLADE DU CHEMIN DE FER



Version française – LA BALLADE DU CHEMIN DE FER – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Die EisenbahnballadeReinhard Mey – 1987







Dialogue Maïeutique

Il te souviendra, Lucien l’âne mon ami, que nous avions déjà précédemment rencontré sur notre voie un train allemand dans la chanson « Das Eisenbahngleichnis », dont j’avais intitulé la version française « Parabole du Train », ce qu’en effet, elle était et une locomotive tout aussi allemande dans la « La locomotive unitaire ». Toutes deux étaient tirées d’auteurs allemands du siècle dernier principalement connus comme des écrivains, respectivement : Erich Kästner et Günter Grass. Cette fois, avec cette « Eisenbahnballade – Ballade du Chemin de fer », il s’agit d’une chanson écrite et interprétée par son auteur-compositeur Reinhard Mey.

Bien merci de toutes ces précisions, répond Lucien l’âne. Toutefois, j’aimerais savoir ce que raconte cette Ballade du Chemin de fer et aussi, en quoi elle se rapproche des deux autres que tu viens de me rappeler et dont je me souviens très bien.

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., je commencerai par ta dernière demande. Ces trois chansons et pour tout dire, ces trois trains sont des trains historiques et politiques, du fait que tous les trois traversent l’histoire de l’Allemagne du siècle dernier et qu’ils évoquent tous trois les circonstances politiques qui firent de l’Allemagne un grand épouvantail, une sorte de monstre sorti d’on ne sait où. Ces chansons montrent comment le train, la locomotive, bref, le chemin de fer a largement contribué à ces événements. Entre parenthèses, on ne pourrait passer sous silence un autre train, italien celui-là, qui est aussi un objet politique, un train qui entre tout droit dans la Guerre de Cent Mille Ans, que les riches font aux pauvres, c’est « La Locomotiva » de Francesco Guccini, à laquelle se réfère directement ma chanson Terminus.

Tant qu’on y est, Marco Valdo M.I., ajoutons à cette énumération « Le Chat et la Locomotive », cette histoire de train bombardé, mais je t’ai interrompu.

Ce n’est rien, j’ai l’habitude, Lucien l’âne mon ami. Donc, le chemin de fer, le train, la locomotive, et tout ce qui s’ensuit ont été des éléments importants de l’histoire des hommes depuis l’invention de la machine à vapeur roulante. Pour en revenir à la Ballade du Chemin de fer, elle se distingue par le fait qu’elle couvre, en plus de l’édification du chemin de fer et de son rôle dans les guerres, y compris l’épisode plus que dramatique de la déportation, la période qui commence après la défaite de 1945.

D’accord, dit Lucien l’âne, mais cette Ballade quel est le personnage qui la chante ?

Oh, il s’agit d’un homme, d’un voyageur qui recourt au train de nuit pour rentrer chez lui et qui seul dans un compartiment se laisse aller à une sorte de longue et somnolente réflexion, une sorte de rêve éveillé. Mais, pour moi, il vaut mieux laisser chanter la ballade – qui est aussi une balade nocturne en train – que de tenter de la résumer ou de la raconter à sa place. Juste de petites précisions à propos de ce passage – je les note entre parenthèses :

« L’Aigle (première locomotive allemande), le Hamburger volant (C’est le nom du premier express allemand Hambourg-Berlin – 1933), le P8 prussien (pistolet Luger Parabellum),
Et les légendaires O5 (groupe de résistants antinazis autrichiens) murmuraient pour moi à travers la nuit. »

Il ne reste plus, conclut Lucien l’âne, qu’à écouter la ballade et à tisser le linceul de ce vieux monde mécanisé, motorisé, roulant vers sa destruction et cacochyme

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



L’Eisenbahnballade et ses locomotives P8 et O5

Notre interlocuteur de langue allemande, que je voudrais remercier vivement pour ses remarques et sa lecture attentive de ma version française et du commentaire sous forme de dialogue maïeutique, a raison de me faire tenir une note correctrice concernant la P8 et la O5 qui sont donc définitivement des locomotives ; pensez, je les avais prises l’une pour un pistolet Lüger P8 et l’autre pour un groupe autrichien de résistants au nazisme O5. Le curieux, c’est que ces mentions sont exactes, mais inappropriées. Cependant, je n’avais pas trouvé les précieuses indications qui nous sont envoyées par hmmwv. Il faudra donc rectifier le texte ; idem pour « chuinter » à la place de « murmurer », quoique là, le « murmure », qui veut dire grosso modo la même chose que le chuintement, donnait un petit plus tendre et plus humain à la ballade ; je n’userai cependant pas de mon droit de licence poétique.
Les deux premières lignes de l’avant-dernière strophe se libellent dès lors comme suit :

« L’Aigle, le Hamburger volant, le P8 prussien,
Et la légendaire 05 chuintaient pour moi à travers la nuit. »

Cela étant, si notre interlocuteur au nom énigmatique voulait bien anticiper ses précisions lors de l’insertion du texte originel, on gagnerait du temps et on épargnerait des erreurs inutiles.

Encore une fois, pour tout ce qu’il a fait et qu’il fera, qu’il soit chaleureusement remercié.

Cordialement

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.



Un épais brouillard s’abattait sur l’étrange grande ville.
Un long jour de travail s’étendait derrière moi, j’étais épuisé et sans énergie.
Trop fatigué pour l’autoroute, trop tard pour le dernier vol.
Mais je voulais rentrer chez moi,
Et j’ai découvert là
Qu’un autre train partait encore vers minuit.


Il me restait encore du temps, je ne savais où aller, alors je suis resté à la gare :
Un pompeux édifice d’un temps longtemps révolu, bondé ;
fouinant, grouillant tout autour, les voyageurs, les badauds et les paumés de la nuit,
Tant d’indifférence,
Tant de détresse et tant de souffrance
Sous tant de splendeur glacée.


Je sortis sur le quai, l’air humide et froid m’a tenu éveillé.
Je frissonnais, j’ai remonté mon col et j’ai regardé mon haleine.
Dans l’obscurité, trois lumières apparurent au-dessus de la voie, et mon train entra.
Une porte de wagon claqua.
Il faisait chaud dans le train,
J’étais tout seul dans le compartiment.


Sans bruit, on démarra et les lumières de la ville s’enfoncèrent dans une purée laiteuse.
Et toujours plus vite, passaient à toute allure les fenêtres éclairées et les gares de banlieue.
Un autre passage à niveau, quelques projecteurs, et le monde disparut.
La lumière de mon compartiment tombait en blanc
Sur le ballast de la voie
Et je devinais le pays obscur.


Et à travers les ténèbres, résonnait
Le bruit monotone
Des roues sur la voie ferrée,
Un chant solitaire,
Au long du chemin de fer.


Ils se tenaient au bord de la voie, la peau tannée par les intempéries.
Avec leurs pelles, ils avaient tracé des sillons dans le pays,
Avec des pics et des marteaux, ils avaient déplacé des montagnes
Et posé des traverses sur du ballast et par-dessus, les rails.


Dans le froid âpre, les braises brûlantes, sous la pluie, jour après jour,
La nuit, un sac de paille sur le sol dans une cabane en bois.
Et encore recommencer à l’aube pour une misérable récompense,
Et encore une nouvelle fortune de plus pour le baron de l’acier.


Et bientôt la resplendissante machine à vapeur gronda dans tout le pays.
De nouvelles industries et un nouvel empire ont vu le jour,
Des richesses inestimables, mais sur chaque mètre de voie,
Sur chaque pont, sur chaque tunnel collent des larmes, du sang et de la sueur.


Le chemin de fer apporta progrès, révolution technique 
Partout, jusqu’à la gare la plus éloignée.
Il transporta les marchandises des ports au fond des Alpes,
Relia les gens et les villes et apporta la prospérité dans le pays.


Mais la grande invention est toujours associée au tragique,
Car elle peut servir à la paix, mais aussi à la guerre.
Des trains blindés sans fin roulèrent bientôt jour et nuit :
Le matériel de guerre et les canons étaient la cargaison prioritaire.


Bientôt, l’armée se pressait triomphante dans les gares,
Les cris de joie sur les lèvres et les fleurs au fusil,
Dans les wagons ornés de drapeaux et du cri de victoire
Direction Lemberg ou Liège, Cracovie ou Mons.


Dans le feu d’enfer de Verdun, l’illusion de la victoire est morte,
Les trains se sont transformés en hôpitaux, et cette fois le train a vu
La retraite des vaincus et – les seigneurs de guerre couverts de déshonneur –
Dans un wagon dans la forêt de Compiègne, la capitulation.


Des millions de morts sur les champs de bataille, des souffrances insensées.
Les rescapés ont trouvé la misère, le gêne et le chômage.
Mais sur le terrain de la déroute déjà prospèrent
Les trafiquants et les profiteurs de guerre, la spéculation.


Mais naquit aussi de la confusion d’une politique trouble
La tendre et délicate pousse de la première république.
Alors l’étroitesse d’esprit, la stupidité et la violence l’ont piétinée
Avec des bottes à clous sur la route du Reich millénaire.


Les monstres régnaient, et le monde observait et gardait le silence.
Et à nouveau, on dit : « Les roues doivent rouler pour la victoire ».
Et commença le chapitre le plus sombre de la nation,
La plus sombre des migrations : la déportation.


Enfermés dans des wagons de marchandises, entassés comme du bétail,
Affamés et désespérés, ils étaient debout, nus et froids,
Des femmes et des hommes sans défense, des vieillards et même des enfants,
Pour l’amer voyage dont le but était le camp de la mort.


Mais alors, la colère frappa les humbles,
Aucun village n’a été épargné, aucune pierre n’est restée sur une pierre,
Et les bombes tombèrent jusqu’à ce que tout le pays soit en feu,
Les villes furent anéanties et la terre brûla.


La guerre fut plus meurtrière qu’aucune guerre auparavant,
Et punit sévèrement le Peuple qui l’avait outrageusement provoquée.
Marchèrent dans des débris et des ruines, affamés,
Les survivants, les bombardés, rien n’allait plus.


Et toujours plus longs, les convois de réfugiés arrivaient jour après jour
Et ils traversaient un pays de décombres et de cendres.
La volonté de survivre les força à ne pas se résigner,
Le désespoir, à tenter l’impossible :


Encore bondir, quand quelque part un train de hamsters partait,
Quand il y avait un tas de gens accrochés à la porte du wagon.
Une place sur un marchepied, au mieux sur un tampon,
Avec l’espoir d’un peu de farine, de pommes de terre ou de saindoux.


Ce qui se trouvait sur le talus de la voie ferrée était ramassé par des enfants,
Et nombre d’honnêtes gens ont volé le charbon des trains.
Et puis les trains arrivèrent bondés de rapatriés,
Blessés et battus, dépenaillés et usés.


Combien de drames se sont déroulés sur les quais !
De recherches et de larmes de joie, où ont lieu des retrouvailles.
Attendre, espérer et demander, sera-ce cette fois ?
Beaucoup vinrent en vain, beaucoup repartirent seuls.


Les locomotives et les wagons endommagés furent vite et mal réparés
Et lancés sur un réseau ferroviaire aventureux
Et le pouls commença à battre, et surgit de nulle part,
Chargé d’espoirs et de rêves, un nouveau pays.


Et à travers l’aube résonnait
Le son monotone
Des roues sur le rail,
La chanson mélancolique,
Au long du chemin de fer.


Le cliquetis des roues sur un aiguillage me ramena dans le présent.
Je me suis réveillé de la nuit, j’étais presque au terme de mon voyage.
Je me frottais les yeux et je m’étirais, la lumière du néon paraissait pâle,
Et dans la pièce vide
Entre veille et rêve,
J’ai vu encore une fois :


L’Aigle (première locomotive allemande), le Hamburger volant (le premier express allemand –
1933), le P8 prussien (pistolet Luger Parabellum),
Et les légendaires O5 (groupe de résistants autrichiens) chuintaient pour moi à travers la nuit.
Un train en mouvement sur la voie voisine m’a arraché à mes rêves.
Un coup d’œil à l’horloge,
Encore, dix minutes seulement
Et je serai à la maison pour le petit-déjeuner.


Dehors, d’un coup d’œil, je pouvais voir dans les fenêtres éclairées.
Je voyais les gens sur le chemin du travail, debout dans les gares de banlieue,
Je voyais les phares des voitures devant les barrières au passage à niveau,
Et luisait un espoir
Sur le jour nouveau
Et dans le lever du soleil.



mardi 6 août 2019

« Andare, camminare, lavorare » : À pied ?

« Andare, camminare, lavorare » : À pied ?

D’où viennent les phrases ?



Jacques Prévert, poète français du siècle dernier avait écrit un poème, une chanson avec pour la chanter, une musique de Joseph Kosma En sortant de l’école, que chanta Yves Montand, mais aussi Les Frères Jacques, Cora Vaucaire et tant d’autres. J’en avais fait une parodie intitulée Tout autour de la Terre, qui reprenait mot pour mot Prévert :

« Alors on est revenu à pied,
À pied tout autour de la terre,
À pied tout autour de la mer,
Tout autour du soleil,
De la lune et des étoiles,
À pied, à cheval, en voiture
Et en bateau à voiles. »

À pied, justement. Voilà, d’où vient ce « À pied ».

Mais aussi on va à pied dans une autre chanson, de Charles Trenet celle-là, qui s’intitulait : « Voyage au Canada », dont le refrain était :

« Nous irons à Toronto en auto,
Nous irons à Montréal à cheval,
Nous traverserons Québec à pied sec,
Nous irons à Ottawa en ouaoua.
Nous irons à Valleyfield sur un fil,
Nous irons à Trois-Rivières en litière.
Passant par Chicoutimi endormis,
Nous irons au Lac St-Jean en nageant.
Voilà, voilà un beau voyage,
Un beau voyage ;
Voilà, voilà,
Un beau voyage au Canada. »

Si on en prend le temps d’aller y voir, on s’apercevra dans cette chanson de Trenet que la confusion s’installe et que surgit par erreur une autre version du voyage :

« Ils allèrent à Toronto
En nageant,
Ils allèrent à Montréal endormis,
Ils se rendirent à Québec en litière,
Ils allèrent à Ottawa sur un fil.
Ils allèrent à Valleyfield à pied sec,
Ils allèrent à Trois Rivières en oua oua,
Passant par Chicoutimi à cheval,
Ils plongèrent dans le lac Saint-Jean en auto.

Voilà ! Voilà !
Un beau voyage au Canada ! »

Car effet, tout se mêle dans l’univers de la chanson, lequel univers tient plus du fantasmagorique et du poétique que du terre à terre. C’est un monde magique d’où « a surgi » – lutin hors d’une boîte – « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ! », en manière de point final à la version française de la chanson de Piero Ciampi, marquant au sceau de l’ironie le « Andare, camminare, lavorare ».

Maintenant sur le fond de l’affaire, la question de Flavio Poltronieri : « mi chiedo da dove sia saltata fuori la frase finale francese: ALLEZ TRAVAILLER À PIED! », en gros : « d’où a surgi la phrase finale française ? » interpellait ; elle est excellente, car elle permet, ici et maintenant, de répéter et d’éclaircir encore un peu plus le fait qu’il y a un monde entre la traduction et la version et que ce monde est précisément un monde magique, poétique et fantasmagorique comme la chanson du poète Ciampi. Pour synthétiser, la traduction a comme objectif de (re)donner, dans une autre langue, le texte aussi près que possible de l’original. La version, elle, a d’autres manières ; elle entend créer un artefact, opérer par un procédé singulier une autre création qui entre en syntonie avec celle d’origine. C’est ce je fais – toujours – moi qui ne suis pas traducteur et qui serais bien incapable de l’être ; je ne connais que le français (et encore !). Je crée des objets artisanaux – des chansons, des poèmes qui évoquent les poèmes et les chansons d’origine, mais qui ont leur vie propre et leur propre univers.
On peut comparer ce travail à celui des peintres : l’« Olympia » d’Édouard Manet  est et n’est pas « La Maya nue » de Goya (Francisco José de Goya y Lucientes) ; laquelle était et n’était pas à son tour la « Vénus », vue par le Titien (Tiziano Vecellio). Ajoutons-y « La Vénus au miroir » de Vélasquez (Diego Rodríguez de Silva y Velázquez, dit Diego Velázquez, ou Diego Vélasquez) et la « Grande odalisque » d’Ingres (Jean-Auguste-Dominique), son « Odalisque à l’esclave », ou son introuvable « Vénus de Naples », toutes de face comme de dos, si semblables et si différentes.

Les professionnels de la chanson, notamment ceux qui en font commerce, savent très bien faire la différence. Ainsi, en va-t-il de la chanson anonyme : « The House of Rising Sun », qui en a connu des versions. Ainsi, pour « Le Pénitencier », dont j’avais – nouvelle version – tiré « La Fermeture », on voyait mal Johnny en jeune fille éplorée ; il a fallu adapter la version. Ainsi en va-t-il des différentes versions de La Marseillaise – les Chansons contre la Guerre en recensent au moins 15, dont la version de Gainsbourg a fait du bruit et surtout, cette Marseillaise dont la version la plus célèbre s’appelle « L’Internationale», elle-même objet de multiples versions.
Tout ça pour dire que les versions peuvent être très proches d’une « traduction » ou s’en aller à des années-lumières de l’original. Cependant, parfois, en effet, il y a des bribes qui viennent d’ailleurs et qui s’imposent.

Cependant, l’univers de la création poétique n’est pas sans une rationalité propre.
La question qui se pose alors pour « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ! » est de savoir ce que ça veut dire par rapport au « Andare, camminare, lavorare » de la chanson de Ciampi. Du temps de la chanson de Ciampi, l’Italie (d’autres pays aussi) était encore en plein « boum », elle se relevait de la guerre, elle devenait euphorique de sa « croissance économique », comme l’Allemagne du Lied vom Wirtschaftswunder ou de Geh´n sie mit der Konjunktur (Konjunktur-Cha-Cha) et l’automobile en était le plus évident symbole et la chanson se terminait grosso-modo, ainsi : « Allez ! La Péninsule au volant, cette belle péninsule est devenue un volant. Aller, marcher, travailler. »
L’ajout « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ! » est plus contemporain. Le soufflé est retombé, la Péninsule au volant est dans les bouchons ; Fellini l’avait bien vu, il y a déjà quelque temps ; Jean Yanne aussi : tout se bloque ; la Péninsule (et bien d’autres pays) étouffent sous la civilisation de l’auto. Cette nouvelle injonction est à double sens, elle aussi : pour ceux qui ont encore un travail, il s’agit d’être à l’heure et pour être à l’heure, c’est la nouvelle donne, « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ». Mais aussi, le sens qu’on peut lui donner actuellement, encore plus moderne et même, futuriste, c’est l’injonction écologique et climatologique. C’est l’irruption du contemporain dans l’univers de Ciampi, qui s’en moquait déjà.

Enfin, je vois ça comme ça ; elle est venue toute seule, cette phrase, trempée à l’acide ironique et elle voulait dire en synthèse : tout ça qui précède, qui est un peu long dans une chanson.
Et même, elle-même est venue « à pied » ; mais d’où, là, vraiment, je ne sais pas. Peut-être, un neurologue pourrait-il nous l’indiquer, peut-être ? Il nous montrerait un point sur une image d’un cerveau et il dirait : « De là ! ». On n’arrête pas le progrès. Mais quand même, il resterait la question : D’où viennent les phrases ? .

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.