« Andare,
camminare, lavorare » : À
pied ?
D’où
viennent les phrases ?
Jacques
Prévert, poète français du siècle dernier avait écrit un poème,
une chanson avec pour
la
chanter, une
musique de Joseph
Kosma
–
En sortant de
l’école,
que chanta Yves Montand,
mais
aussi Les
Frères Jacques, Cora Vaucaire et tant d’autres. J’en avais fait
une parodie intitulée Tout
autour de la Terre,
qui reprenait mot pour mot Prévert :
« Alors
on est revenu à pied,
À pied tout autour de la terre,
À pied tout autour de la mer,
Tout autour du soleil,
De la lune et des étoiles,
À pied, à cheval, en voiture
Et en bateau à voiles. »
À pied tout autour de la terre,
À pied tout autour de la mer,
Tout autour du soleil,
De la lune et des étoiles,
À pied, à cheval, en voiture
Et en bateau à voiles. »
À
pied, justement. Voilà, d’où vient ce « À pied ».
Mais
aussi on
va à pied dans une
autre chanson, de Charles Trenet celle-là, qui s’intitulait :
« Voyage
au Canada »,
dont le refrain était :
« Nous
irons à Toronto en auto,
Nous irons à Montréal à cheval,
Nous traverserons Québec à pied sec,
Nous irons à Ottawa en ouaoua.
Nous irons à Valleyfield sur un fil,
Nous irons à Trois-Rivières en litière.
Passant par Chicoutimi endormis,
Nous irons au Lac St-Jean en nageant.
Voilà, voilà un beau voyage,
Nous irons à Montréal à cheval,
Nous traverserons Québec à pied sec,
Nous irons à Ottawa en ouaoua.
Nous irons à Valleyfield sur un fil,
Nous irons à Trois-Rivières en litière.
Passant par Chicoutimi endormis,
Nous irons au Lac St-Jean en nageant.
Voilà, voilà un beau voyage,
Un
beau voyage ;
Voilà, voilà,
Voilà, voilà,
Un
beau voyage au Canada. »
Si
on en prend le temps d’aller y voir, on s’apercevra dans cette
chanson de Trenet que la confusion s’installe et que surgit par
erreur une autre version du voyage :
« Ils
allèrent à Toronto
En nageant,
Ils allèrent à Montréal endormis,
Ils se rendirent à Québec en litière,
Ils allèrent à Ottawa sur un fil.
Ils allèrent à Valleyfield à pied sec,
Ils allèrent à Trois Rivières en oua oua,
Passant par Chicoutimi à cheval,
Ils plongèrent dans le lac Saint-Jean en auto.
Voilà ! Voilà !
Un beau voyage au Canada ! »
En nageant,
Ils allèrent à Montréal endormis,
Ils se rendirent à Québec en litière,
Ils allèrent à Ottawa sur un fil.
Ils allèrent à Valleyfield à pied sec,
Ils allèrent à Trois Rivières en oua oua,
Passant par Chicoutimi à cheval,
Ils plongèrent dans le lac Saint-Jean en auto.
Voilà ! Voilà !
Un beau voyage au Canada ! »
Car
effet, tout se mêle dans l’univers de la chanson, lequel univers
tient plus du fantasmagorique et du poétique que du terre à terre.
C’est un monde magique d’où « a surgi » – lutin
hors d’une boîte – « ALLEZ
TRAVAILLER À PIED ! »,
en manière de point final à la version
française de la chanson de Piero Ciampi,
marquant au sceau de l’ironie le
« Andare, camminare, lavorare ».
Maintenant
sur le fond de l’affaire, la question de Flavio Poltronieri :
« mi chiedo da dove sia saltata fuori la frase finale francese:
ALLEZ TRAVAILLER À PIED! », en
gros : « d’où a surgi la phrase finale française ? »
interpellait ; elle
est
excellente, car elle permet, ici
et maintenant, de
répéter et d’éclaircir encore un peu plus le fait qu’il y a un
monde entre la traduction et la version et que
ce
monde est
précisément un
monde magique, poétique et fantasmagorique comme
la
chanson du poète Ciampi.
Pour synthétiser, la traduction a comme objectif de (re)donner, dans
une autre langue, le texte aussi près que possible de l’original.
La version, elle, a d’autres manières ; elle entend créer un
artefact,
opérer
par
un procédé singulier une
autre création qui entre en syntonie avec celle d’origine. C’est
ce je fais – toujours – moi qui ne suis pas traducteur et qui
serais
bien incapable de l’être ; je
ne connais que le français (et encore !).
Je crée des objets artisanaux – des chansons, des poèmes qui
évoquent les poèmes et les chansons d’origine, mais qui ont leur
vie propre et
leur propre univers.
On
peut comparer ce travail à celui des peintres : l’« Olympia »
d’Édouard
Manet
est
et n’est pas « La
Maya
nue » de
Goya
(Francisco
José de Goya
y Lucientes)
; laquelle
était
et
n’était pas à son tour la « Vénus »,
vue par le Titien (Tiziano Vecellio). Ajoutons-y
« La Vénus au miroir » de Vélasquez
(Diego
Rodríguez de Silva y Velázquez, dit Diego Velázquez, ou Diego
Vélasquez)
et
la « Grande odalisque » d’Ingres
(Jean-Auguste-Dominique),
son « Odalisque à l’esclave »,
ou son introuvable « Vénus de Naples », toutes
de
face comme de dos,
si semblables et si différentes.
Les
professionnels de la chanson, notamment ceux qui en font commerce,
savent très bien faire la différence. Ainsi, en
va-t-il de la chanson anonyme : « The
House of Rising Sun »,
qui en a connu des versions. Ainsi, pour « Le
Pénitencier »,
dont
j’avais – nouvelle version – tiré « La
Fermeture »,
on
voyait mal Johnny
en jeune fille éplorée ; il a fallu adapter la version. Ainsi
en va-t-il des différentes versions de La Marseillaise – les
Chansons contre la Guerre en recensent au moins 15,
dont la version
de Gainsbourg
a fait du bruit et surtout, cette
Marseillaise dont
la version la plus célèbre s’appelle
« L’Internationale»,
elle-même objet de multiples versions.
Tout
ça pour dire que les versions peuvent être
très proches d’une « traduction » ou s’en aller à
des années-lumières de l’original. Cependant,
parfois, en effet, il y a des bribes qui
viennent d’ailleurs et qui s’imposent.
Cependant,
l’univers de la création poétique n’est pas sans une
rationalité propre.
La
question qui se pose alors pour « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ! »
est de savoir ce que ça veut dire par
rapport au « Andare, camminare, lavorare » de
la chanson de Ciampi.
Du temps de la chanson de Ciampi, l’Italie (d’autres
pays
aussi) était encore
en
plein « boum », elle se relevait de la guerre, elle
devenait euphorique de sa « croissance économique »,
comme
l’Allemagne du Lied
vom Wirtschaftswunder ou
de Geh´n
sie mit der Konjunktur (Konjunktur-Cha-Cha)
et l’automobile en était le plus évident symbole et la chanson se
terminait grosso-modo, ainsi : « Allez !
La Péninsule au volant, cette belle péninsule est devenue un
volant. Aller, marcher, travailler. »
L’ajout
« ALLEZ TRAVAILLER À PIED ! » est plus
contemporain. Le soufflé est retombé, la Péninsule au volant est
dans les bouchons ; Fellini
l’avait bien vu, il y a déjà quelque temps ; Jean Yanne
aussi : tout se bloque ;
la Péninsule (et bien d’autres pays)
étouffent
sous la civilisation de l’auto. Cette
nouvelle
injonction est à double sens, elle aussi : pour ceux qui ont
encore un travail,
il s’agit d’être à l’heure et pour être à l’heure, c’est
la nouvelle donne, « ALLEZ TRAVAILLER À PIED ».
Mais aussi, le
sens qu’on peut lui donner actuellement, encore
plus moderne et même, futuriste, c’est
l’injonction écologique et climatologique. C’est l’irruption
du contemporain dans l’univers de Ciampi, qui
s’en moquait déjà.
Enfin,
je vois ça comme ça ; elle est
venue toute
seule, cette
phrase, trempée à l’acide ironique
et elle voulait dire en synthèse :
tout ça qui précède,
qui est un peu long dans une chanson.
Et
même, elle-même
est venue « à pied » ; mais d’où, là, vraiment,
je ne sais pas. Peut-être, un neurologue
pourrait-il nous
l’indiquer, peut-être ? Il
nous montrerait un point sur une image d’un cerveau et il dirait :
« De là ! ». On n’arrête pas le progrès. Mais
quand même, il resterait la question : D’où
viennent les phrases ? .
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
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