mercredi 3 janvier 2018

LE GRILLON QUI PARLE

LE GRILLON QUI PARLE


Version française – LE GRILLON QUI PARLE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Tu grillo parlante – Edoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato






Voici, Lucien l’âne mon ami, encore une chanson d’Edoardo Bennato relative à l’histoire de la Marionnette dans fil, alias Pinocchio.

C’est une bonne idée, Marco Valdo M.I. mon ami, car l’air de rien, ces « chansons qui ne sont que des chansonnettes » - c’est du moins ainsi qu’en parle Edoardo Bennato lui-même, si mon souvenir est exact- m’ont tout l’air, tout au contraire, d’êtres d’authentiques chansons remplies de vigueur, de verdeur et diablement intéressantes.

De fait, Lucien l’âne mon ami ; si tu te souviens, nous avons déjà présenté ici (et ailleurs) les versions françaises de plusieurs d’entre elles.

Oui, Marco Valdo M.I. mon ami, et si ma mémoire est bonne (tu compléteras si j’en oublie), c’était La Fée, Quand tu seras grand, En Prison, en Prison, Le Renard et le Chat, Docteurs, Médecins et Savants. Il me semble qu’à ce train-là, on aura une version française de tout le « Burattino senza fili », la Marionnette sans fil. Ce qui, je pense, vaut la peine d’être noté, car cela démontre une belle persévérance, même si ce n’est pas la première fois.

Cette fois-ci, reprend Marco Valdo M.I., mais ce ne sera pas la dernière version française de ce Burattino, puisqu’il faudra encore y ajouter le Magiafuoco et « È stata la tua colpa » ; cependant, on y viendra.

Oh, dit Lucien l’âne, je n’en doute pas, car comme dit l’ami Ventu : « Tôt ou tard, ici, la chanson sera traduite ».

Quant à celle-ci, elle mérite deux mots d’explication, poursuit Marco Valdo M.I. ; elle reprend un personnage annexe de Pinocchio, le grillon parlant, mais à la manière de Bennato en en faisant un personnage assez abominable : une sorte de snob, de politicien, de prêcheur qui vient donner des leçons aux gens qui est rembarré par Pinocchio et ses copains.
Au passage, je te rappelle qu’il y a – sans doute plus en dehors d’Italie qu’au pays natal de Pinocchio – un malentendu himalayen à propos du personnage de Pinocchio lui-même. Ce malentendu est né de la production-trahison de Walt Disney où la pauvre Pinocchio est affadi au-delà de ce qui est possible. Entre Disney et Bennato, il n’y a pas à tortiller, c’est le Pinocchio de Bennato qui est le plus vrai. Pinocchio selon Collodi est bien le héros des enfants rebelles.

Certes, dit Lucien l’âne. Un personnage qui m’évoque le gars Félix Badonce dont Vialatte disait : « C’était un garçon passionné, aussi frivole que patriote ; il aimait la France, la barre fixe, le chocolat et l’aviation. » Il poussa le vice du patriotisme jusqu’à mourir au front d’une balle en plein crâne, afin d’ajouter son nom sur la pierre du monument aux morts « à la liste dorée de ces enfants dociles qui savaient réciter Corneille jusqu’à ce que mort s’ensuivît » ; un Pinocchio, mais à l’envers. Finalement, il me faut quand même conclure un peu en tissant le linceul de ce vieux monde conforme, coincé, hypocrite et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Éteignez la lumière,
Écoutez la voix,
Qui vient dans le vent,
C’est un grillon parlant.
Il arrive, le voici, le voilà,
Et vous pouvez entendre
Comme il chante…

C’est un grillon parlant ;
Il se croit important,
Il a beaucoup étudié,
Il est diplômé.
Il arrive, le voici, le voilà,
Et vous pourrez écouter
Quel sermon, il nous fera.

Toi le grillon parlant
Qui parle ainsi aux gens,
Qui t’a invité,
Qui t’a sollicité ?
Tu n’es qu’un prophète de variété
Et ton blabla
Ne nous intéresse pas ! …

La fête commence,
Mais la fête est fête
Seulement au moment où
Nous cassons tout !
Pour nous, la fête c’est ça
Et jamais aucun blabla
Ne nous séduira ! …

La fête commence,
Mais c’est notre fête.
Nous décidons
À quel jeu nous jouons.
Nomme-la rage ou violence
Comme il te semble ;
De toute manière, tu le sais,
Nous devons nous défouler.

Tu es un puits de science,
Mais cette violence
Dont on parle tant,
Nous l’avons au dedans.
Dans les magasins de la ville, elle se vend
Achète-z-en un peu aussi, toi,
Cela te servira !

Tu dis que tu as
Un riche passé,
Que tu as tant voyagé,
Que tu es très cultivé,
Et maintenant, voilà,
Il te faut apprendre une autre vérité :
À faire le prophète, tu vois,
Jamais personne ne nous aura !



lundi 1 janvier 2018

QUAND TU SERAS GRAND

QUAND TU SERAS GRAND

Version française – QUAND TU SERAS GRAND – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Quando sarai grandeEdoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato



Une chanson, la fin des rêves et les fondements de l’autoritarisme

Il y eut une période, à cheval sur les années 70 et 80, où les chansons d’Edoardo Bennato étaient devenues une espèce d’hymnes pour une certaine catégorie de personnes. C’étaient les adolescents de ma génération, âgés de seize dix-sept ans qui n’avaient pas pu participer aux grands soulèvements de 68 et qui vivaient vers 1977 avec une participation un peu étrange, chancelante, de gamins. Ces chansons de Bennato étaient simples, directes, et il serait facile les critiquer maintenant ; pourtant elles avaient leur importance. Bennato chantait des choses que tout adolescent éprouve, et en particulier, la précise sensation d’être déjà une partie d’un engrenage autoritaire exprimé principalement par l’école. En ce sens, le « concept album » métaphorique Burattino senza fili Marionnette sans fils (qui est justement de 1977) est emblématique : avec la démarche typiquement bennatienne de réinterprétation des fables plus célèbres, dans ce cas, celle de Pinocchio exprime avec amertume la fin prochaine des rêves, le retour aux « bons garçons qui étudient » (et ici il a été vraiment prophétique…), l’autoritarisme qui renvoie chaque réponse à « lorsque tu seras grand » parce que la réponse qu’on aura quand on sera grand est déjà celle qui se prépare dès l’enfance : sois silencieux, fais le brave et ne pose pas tant de questions, petit con.

Je crois qu’aux garçons d’aujourd’hui, ça ne ferait pas de mal de retourner écouter un peu du vieil Edo, et de le redécouvrir. Avec ses « chansons », il disait des choses qui ne sont certainement pas passées d’actualité (et qui se sont, même, aggravées) ; il détaillait les fondements de l’autoritarisme depuis ses premières manifestations, famille et école. Il s’adressait à des garçons en se faisant portraiturer, lui, garçon dans l’âme, sous l’apparence d’un employé anonyme dans un bureau du temps passé, sans ordinateur. La fin de Pinocchio quand il devient finalement un « garçon bien » dans le macabre final édifiant que Carlo Lorenzini voulut donner à son œuvre. Il n’y a pas de grands envols pindariques dans cette chanson, mais il s’y trouve quelque chose qui, trente ans après, revient à l’esprit en une matinée quelconque ; on se demande alors ce qu’il en a été. [R.V.]


Dialogue maïeutique

Mon cher Lucien l’âne, mon ami, si je n’avais pas en tête l’une ou l’autre idée que je n’ai pas encore éclaircies, je te dirais volontiers qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter au commentaire autobiographique de R.V., alias Riccardo Venturi, alias, alias, alias et au texte de la chanson d’Edoardo Bennato qui est on ne peut plus clair.

Mon cher Marco Valdo M.I., mon ami, qu’est-ce que c’est que tout ce charabia ? Sans doute, tu dois dire vrai et ton idée est encore dans les limbes ; car si tu l’avais déjà toute formée, il aurait été inutile d’en dire tant, tu m’aurais directement informé de cette idée qui se cache dans ta tête, telle Athéna dans celle de Zeus. En fait, j’ai comme l’impression que tu essayes de gagner du temps par de telles circonlocutions. À moins, tous comptes faits, que tu ne causes que par habitude ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, ne m’incrimine pas. D’abord, laisse-moi te dire que si je ne causais pas par habitude, je ne causerais pas du tout et par ailleurs, la plupart des propos des humains relèvent de cette nécessaire habitude, sans laquelle l’espèce aurait depuis longtemps disparu. Cependant, je te l’accorde, je suis comme Laverdure qui disait, qui répétait même l’antienne qui le caractérise tant : « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ». Et il n’avait pas tort ; je préfère le dire moi-même avant que tu me l’assènes. Mais nous y venons quand même, car j’aurais aimé te dire quelques mots à propos du travail considérable d’Edoardo Bennato, chanteur-auteur napolitain, qui s’est lancé (je devrais dire qui s’était, car c’était au siècle dernier – dans la seconde moitié de la seconde moité, je te le concède) dans la mise en chansons d’histoires qu’il puise dans les récits de l’un ou l’autre écrivain : son Burattino senza fili (Marionnette sans fil), chez Carlo Collodi, alias Lorenzini, qui reste à jamais auteur de l’immortel Pinocchio et son Sono solo canzonette (Ce sont seulement des chansons) chez James Matthew Barrie et son Peter Pan, tout aussi immortel. Comme il me semble me souvenir que tu l’es toi-même par la grâce de Calvino et que je devrais bien l’être moi aussi par celle d’Apulée.

C’est souvent le destin des hétéronymes, dit Lucien l’âne d’un air entendu. Ceci dit, je vois où tu veux en venir. Je songe particulièrement à cette idée qui t’est chère et que tu as développée hors proportions avec Dachau Express (Suite biographique de Joseph Porcu en 24 chansons), Les Histoires d’Allemagne (100 chansons, suite kaléidoscopique tirée du Jahrhundert de Günter Grass), Les Histoires lévianes (124 chansons suite pittoresque tirée du Quaderno a cancelli de Carlo Levi) et celles encore en construction comme celle de Till (sous la houlette de ton concitoyen Charles Decoster) ou d’Arlequin amoureux (revenu de loin sous la conduite de Jiří Šotola).

C’était bien là mon idée derrière la tête, Lucien l’âne mon ami ; tu es un véritable accoucheur d’idées. J’ajouterais qu’il ne faudrait pas oublier de mentionner par exemple Fabrizio De André et ses canzones inspirées de l’Anthologie de Spoon River. Par ailleurs, je ne suis pas spécialiste de l’histoire de la chanson ou musicologue, mais j’imagine que d’autres ont dû tenter pareilles aventures. On ne saura probablement plus le jour où la chanson sera reconnue pour ce qu’elle est un art à part entière et une des grandes dimensions de la littérature et que des « scholars » ou des chercheurs exploreront ce domaine immense, ainsi que l’atteste le labyrinthe des Chansons contre la Guerre.

Tout un programme !, dit Lucien l’âne ; il y a là de quoi occuper des facultés entières ; mais tel n’est pas notre but et telles ne sont pas nos compétences. Nous, on se contente de tisser – à notre manière : traductions, versions françaises, chansons et causerie maïeutique, c’est tout ce qu’on sait fairele linceul de ce vieux monde disciplinaire, sévère, austère, absurde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Le vide, et
Au réveil, il y a
Un monde entier
Autour de toi

Ils t’ont inscrit
À un grand jeu,
Si tu ne comprends pas,
Si tu interroges,

On te répond :
C’est trop tôt,
Quand tu seras grand,
Alors, tu sauras tout…

Tu sauras pourquoi,
Tu sauras pourquoi
Quand tu seras grand,
Tu sauras pourquoi…

Et alors tu observes
les autres qui jouent ;
C’est un jeu étrange,
Tu dois apprendre.

Tu dois rester silencieux
Seulement écouter
Tu dois lire autant de livres que tu peux,
Tu dois étudier.

Tout est écrit,
Catalogué,
Chaque secret,
Chaque péché.

Tu sauras pourquoi,
Tu sauras pourquoi
Quand tu seras grand,
Tu sauras pourquoi…




dimanche 31 décembre 2017

LE RENARD ET LE CHAT

LE RENARD ET LE CHAT

Version française : LE RENARD ET LE CHAT – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne – Il gatto e la volpeEdoardo Bennato – 1977
Texte et musique : Edoardo Bennato





Il y a quarante ans, Edoardo Bennato écrivait et interprétait tout une série des chansons consacrées à « Burattino senza fili », à une Marionnette sans fil ; une série rassemblée en un album quui avait comme personnage central Pinocchio que sans doute, tu connais toi aussi.

Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, que je connais cette histoire de Pinocchio. C’est celle d’une marionnette en bois qui de fil en aiguille, d’une aventure à l’autre, se met à vivre, devient un petit garçon et perdant ainsi sa nature propre s’acclimate à la société des hommes. C’est à l’évidence une parabole de la socialisation et de la normalisation des petits humains. En gros, elle raconte le passage de l’enfance à l’âge adulte.

En effet, c’est bien cette histoire-là, Lucien l’âne mon ami. Mais, cette fois, Pinocchio est sorti de l’histoire du livre de Collodi pour se plonger dans le monde contemporain. Du coup, cette Marionnette sans fil devient une fable métaphorique, polysémique et polyscénique. Elle se passe dans le réel et la Marionnette est confrontée au pouvoir qu’il soit économique, politique, culturel ou religieux. C’est de cette rencontre que se nourrit le récit.

Oui, dit Lucien l’âne, Le Renard et le Chat dans tout ça ?

Le Renard et le Chat est une des chansons de cette fable en musique. Avant d’aller plus avant et que tu me le fasses remarquer, je te signale que c’est volontairement que dans le titre en français, j’ai inversé les deux personnages :
– titre italien : Il gatto e la volpe ;
titre français : Le renard et le chat.

Et pourquoi ça ? Je me le demande bien, dit Lucien l’âne.

Tout simplement pour ceci que, Lucien l’âne mon ami, c’est le renard qui parle dans la chanson, c’est lui qui la voix mielleuse qu’on y entend tout au long.Il me paraissait donc logique de lui rendre sa place.
Cela dit, cette fable en chanson du renard et du chat montre spécifiquement le jeu du pouvoir, c’est-à-dire cette forme d’oppression et de domination, qui est le fondement de la Guerre de Cent Mille Ans, dans le domaine particulier de l’industrie culturelle du spectacle, peu importe le média considéré. Elle montre comment on attire dans le piège du contrat celui qu’on veut exploiter.
Dans sa version Edoardo Bennato, qui lui-même évidemment directement concerné par ce jeu de pouvoir en tant qu’artiste, la situe dans le show-bizzenesse, dans l’univers du spectacle musical, mais c’est tout aussi vrai pour le cinéma, domaine où la situe la version française. Dans tous les cas, la règle fondamentale est la même : bizzenesse is bizzenesse et tout est bon pour faire du « cash », de la monnaie, y compris gruger les autres et tirer profit de leur ignorance.

Oh, dit Lucien l’âne, je vois de quoi il est question, dit Lucien l’âne. Edoardo Bennato a bien raison de révéler de telles pratiques. Quant à nous, tissons à notre tour le linceul de ce vieux monde escroc, profiteur, cupide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Quelle hâte, mais où tu cours, où tu vas ?
Si tu nous écoutes un instant, tu comprendras,
Moi, je suis le renard, lui, c’est le chat ; nous,
Nous sommes en société, tu peux te fier à nous.

Tu peux nous parler de tes ennuis, de tes problèmes,
Nous sommes les meilleurs dans ce domaine.
C’est une maison spécialisée, crois-moi,
Tu signes un contrat et tu verras,
Tu ne t’en repentiras pas.

Nous découvrons des talents, nous ne nous trompons jamais ;
Nous saurons exploiter tes qualités.
Donne-nous seulement une avance
Et nous t’inscrivons à la course
Pour la célébrité.

C’est une vraie affaire, crois-moi !
Il ne faut pas perdre cette occasion-là,
Sinon ensuite tu t’en repentiras.
Ça n’arrive pas tout le temps
D’avoir deux consultants,
Deux entrepreneurs compétents
Qui se mettent en quatre pour toi… !

En avant, ne perdons pas de temps, signe là ;
C’est légal, une formalité, un contrat,
Tu nous cèdes tous les droits
Et nous ferons de toi
Une star de cinéma.

Quelle hâte, mais où tu cours, où tu vas ?
Quelle chance, tu as !
Si tu nous écoutes un instant, tu comprendras,
Moi, je suis le renard, lui, c’est le chat, Nous,
Nous sommes en société, tu peux te fier à nous.
Tu peux te fier à nous,

Tu peux te fier à nous !

vendredi 22 décembre 2017

ATTENTION, COLONEL !

ATTENTION, COLONEL !
Version françaiseATTENTION, COLONEL !Marco Valdo M.I.2017
Chanson italienne – Attento, Colonnello! Dario Fo – 1973
Texte et musique : Dario Fo




Ces derniers temps, souviens-toi Lucien l’âne mon ami, on avait rencontré deux chansons qui mettaient en scène un colonel. Enfin, ce n’était pas à chaque fois le même colonel, mais – disons-le ainsi – la figure, la silhouette, le personnage du colonel nous était apparu.

Pour sûr que je m’en rappelle, rétorque Lucien l’âne en riant. Il y avait La Chanson du Colonel et La Chanson du Colonel (et du régiment au couvent), qui m’avait bien fait rire.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, j’en ai trouvé une encore, mais en italien, cette fois. J’en ai donc établi une version française. Le titre italien « Attento, Colonnello  ! » est facile à comprendre ; il signifie « Attention, colonel  ! » ; elle a cependant une caractéristique un peu particulière, que je m’en vais t’expliquer. Il te souviendra que La Chanson du Colonel (et du régiment au couvent), qui t’a tant faire rire, était tirée d’une opérette du XIXième siècle – La Femme à Papa, un titre qui donne à comprendre le genre léger auquel elle se rattache ; un genre d’autant plus prisé en ce temps-là du fait qu’il n’y avait pas encore de comédies musicales ou de films du même genre que l’on peut voir à présent.

En effet, dit Lucien l’âne ; mais encore.

Celle-ci – « Attento, colonnello ! » – est tirée d’un spectacle de Dario Fo, intitulé Guerra di popolo in Cile – Guerre du peuple au Chili ; spectacle qui date de 1973, année historique pur le Chili, où une révolution (relativement) tranquille était en cours et donnait les plus grandes espérances au peuple, jusqu’au moment – le 11 septembre où tout fut détruit par un coup d’État militaire. La suite fut sanglante et Pinochet s’installa au pouvoir dans le feu et dans le sang.
Ce qui m’amène à parler du spectacle théâtral pratiqué par Dario Fo, genre également pratiqué au Chili, qui s’inscrit dans une lignée, une forme de spectacle et de théâtre révolutionnaire qui s’est développé à partir du début du XXième siècle, spécialement en Allemagne et en Russie. Après la deuxième Guerre, il s’est développé sous le nom de théâtre populaire. En Italie, il se développa notamment à Milan avec Giorgio Strelher et Dario Fo.

Ho, Marco Valdo M.I. mon ami, ce n’est pas l’heure, ni le lieu de faire un cours sur le théâtre populaire. Ici, il est surtout question de chanson.

Tu as raison, Lucien l’âne mon ami, je me laissais encore entraîner par mon indécrottable habitude de la digression. Que le grand Sterne, nous en préserve  ! Donc, la chanson Attento, colonnello  ! ; j’y viens dans sa liaison avec le théâtre, car son auteur et son interprète est principalement un homme de théâtre, de théâtre-action, de théâtre « engagé », d’un théâtre qui une volonté d’expression politique ; un théâtre qui a rompu avec le modèle classique – tant dan son contenu, que dans sa forme, que dans ses instruments – dont la chanson. C’est un spectacle qui se place volontiers dans la perspective de la Guerre de Cent Mille Ans et qui dans cet affrontement se situe délibérément du côté des pauvres. En ce sens, ce théâtre et la chanson qu’il porte en lui sont des armes.

Je comprends bien tout ça, Marco Valdo M.I. mon ami, d’autant qu’il m’est arrivé d’en voir et même d’y figurer. Ainsi, le spectacle, la chanson comme instrument de spectacle et comme armes, l’image est exacte. Quant à nous, trêve de considérations, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde militaire, guerrier, oppresseur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Attention à vous, Colonel !
Et ne venez pas vous lamenter
De m’avoir appris à tirer : pan pan !
Vous m’avez enseigné ce qu’est un obturateur,
Comment on met un chargeur,
Comment faire pan pan !

Attention à vous, Colonel !
Vous me dites de tirer
Sur l’ennemi et de le tuer,
Mais qui est l’ennemi pour un prolétaire,
Vous avez oublié de le préciser.

Attention à vous, Colonel !
Vous me dites de tirer,
D’apprendre à tirer, vous m’avez enseigné
Ce qu’est un obturateur,
Comment on met un chargeur,
Et à faire pan ! pan ! Boum
Et badababoum !

Attention à vous, Colonel !
Vous devriez étudier davantage
Étudier l’histoire, apprendre par cœur
Ce qui s’est passé en ’19 à Turin
Et à Milan, quand les ouvriers ont pris les usines
Le fusil à la main,
Et que vous avez envoyé les soldats
Avec l’ordre d’arrêter les ouvriers,
Et qu’au contraire, les soldats aux ouvriers se sont unis,
Ils ont distribué les fusils
Et contre les carabiniers et les fascistes, ils ont tiré.

Attention à vous, Colonel !
Qui lors de la révolution bolchevique a tiré
Vous n’aurez pas de peine à le deviner
Et lors de la révolution rouge des Chinois
Qui a tiré contre les troupes des bourgeois.
C’étaient des paysans, c’étaient des prolétaires
Qui avaient servi comme militaires
Dans l’armée régulière.

Attention à vous ! Colonel !
Il vous faut étudier davantage
Et ne pas vous lamenter
De m’avoir fait apprendre à tirer.
Attention à vous ! Badababoum !

Boum !