QUAND
TU SERAS GRAND
Version
française – QUAND TU SERAS GRAND – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson
italienne – Quando
sarai grande – Edoardo
Bennato – 1977
Texte
et musique : Edoardo
Bennato
Il
y eut
une période, à cheval sur
les années
70 et 80, où les chansons d’Edoardo Bennato étaient devenues
une
espèce d’hymnes pour
une certaine
catégorie de personnes. C’étaient
les adolescents de ma génération, âgés
de seize
–
dix-sept ans qui n’avaient pas pu participer aux grands
soulèvements
de 68
et qui
vivaient vers
1977
avec une participation
un peu étrange, chancelante, de gamins. Ces chansons
de Bennato étaient
simples,
directes,
et il serait facile les critiquer maintenant ;
pourtant elles
avaient leur importance. Bennato chantait des choses que tout
adolescent éprouve,
et en particulier, la précise sensation d’être déjà une partie
d’un engrenage
autoritaire exprimé principalement par
l’école. En ce sens, le
« concept
album » métaphorique
Burattino
senza fili
Marionnette
sans fils (qui est justement
de
1977) est emblématique :
avec la démarche
typiquement
bennatienne
de réinterprétation
des fables plus célèbres, dans ce cas, celle
de Pinocchio exprime avec amertume la fin prochaine des rêves, le
retour aux « bons garçons qui étudient » (et ici il a
été vraiment prophétique…), l’autoritarisme qui renvoie chaque
réponse à
« lorsque
tu seras grand » parce que la
réponse
qu’on
aura
quand
on sera grand
est déjà
celle
qui se
prépare dès
l’enfance :
sois
silencieux, fais le brave
et
ne pose
pas tant
de questions, petit
con.
Je
crois qu’aux garçons d’aujourd’hui, ça
ne ferait pas de
mal
de
retourner
écouter un peu du vieil Edo, et de
le redécouvrir. Avec ses « chansons », il disait des
choses qui
ne
sont
certainement
pas
passées
d’actualité (et qui
se sont,
même,
aggravées)
; il détaillait
les fondements
de l’autoritarisme depuis ses premières manifestations, famille et
école. Il s’adressait
à des
garçons en se faisant portraiturer,
lui,
garçon
dans l’âme, sous
l’apparence d’un
employé
anonyme dans un bureau du temps passé,
sans ordinateur. La fin de Pinocchio quand
il
devient finalement un « garçon
bien » dans le macabre final édifiant
que
Carlo Lorenzini voulut donner à son œuvre.
Il n’y a
pas de grands envols
pindariques
dans cette chanson, mais il s’y
trouve quelque
chose qui, trente ans après, revient
à l’esprit
en
une matinée quelconque ;
on
se demande alors
ce
qu’il en a été. [R.V.]
Dialogue
maïeutique
Mon
cher Lucien l’âne, mon ami, si je n’avais pas en tête l’une
ou l’autre idée que je n’ai pas encore éclaircies, je te dirais
volontiers qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter au commentaire
autobiographique de R.V., alias Riccardo Venturi, alias, alias, alias
et au texte de la chanson d’Edoardo Bennato qui est on ne peut plus
clair.
Mon
cher Marco Valdo M.I., mon ami, qu’est-ce que c’est que tout ce
charabia ? Sans doute, tu dois dire vrai et ton idée est encore
dans les limbes ; car si tu l’avais déjà toute formée, il
aurait été inutile d’en dire tant, tu m’aurais directement
informé de cette idée qui se cache dans ta tête, telle Athéna
dans celle de Zeus. En fait, j’ai comme l’impression que tu
essayes de gagner du temps par de telles circonlocutions. À moins,
tous comptes faits, que tu ne causes que par habitude ?
Oh,
Lucien l’âne mon ami, ne m’incrimine pas. D’abord, laisse-moi
te dire que si je ne causais pas par habitude, je ne causerais pas du
tout et par ailleurs, la plupart des propos des humains relèvent de
cette nécessaire habitude, sans laquelle l’espèce aurait depuis
longtemps disparu. Cependant, je te l’accorde, je suis comme
Laverdure qui disait, qui répétait même l’antienne qui le
caractérise tant : « Tu causes, tu causes, c’est tout
ce que tu sais faire ». Et il n’avait pas tort ; je
préfère le dire moi-même avant que tu me l’assènes. Mais nous y
venons quand même, car j’aurais aimé te dire quelques mots à
propos du travail considérable d’Edoardo Bennato, chanteur-auteur
napolitain, qui s’est lancé (je devrais dire qui s’était, car
c’était au siècle dernier – dans la seconde moitié de la
seconde moité, je te le concède) dans la mise en chansons
d’histoires qu’il puise dans les récits de l’un ou l’autre
écrivain : son Burattino senza fili (Marionnette sans fil),
chez Carlo Collodi, alias Lorenzini, qui reste à jamais auteur de
l’immortel Pinocchio et son Sono solo canzonette (Ce sont seulement
des chansons) chez James Matthew Barrie et son Peter Pan, tout aussi
immortel. Comme il me semble me souvenir que tu l’es toi-même par
la grâce de Calvino et que je devrais bien l’être moi aussi par
celle d’Apulée.
C’est
souvent le destin des hétéronymes, dit Lucien l’âne d’un air
entendu. Ceci dit, je vois où tu veux en venir. Je songe
particulièrement à cette idée qui t’est chère et que tu as
développée hors proportions avec Dachau Express (Suite biographique
de Joseph Porcu en 24 chansons), Les Histoires d’Allemagne (100
chansons, suite kaléidoscopique tirée du Jahrhundert de Günter
Grass), Les Histoires lévianes (124 chansons suite pittoresque tirée
du Quaderno a cancelli de Carlo Levi) et celles encore en
construction comme celle de Till (sous la houlette de ton concitoyen
Charles Decoster) ou d’Arlequin amoureux (revenu de loin sous la
conduite de Jiří Šotola).
C’était
bien là mon idée derrière la tête, Lucien l’âne mon ami ;
tu es un véritable accoucheur d’idées. J’ajouterais qu’il ne
faudrait pas oublier de mentionner par exemple Fabrizio De André et
ses canzones inspirées de l’Anthologie de Spoon River.
Par ailleurs, je ne suis pas
spécialiste de l’histoire de la chanson ou
musicologue, mais j’imagine que d’autres ont dû tenter pareilles
aventures. On ne saura probablement plus le jour où la chanson sera
reconnue pour ce qu’elle est un art à part entière et une des
grandes dimensions de la littérature et que des « scholars »
ou des chercheurs exploreront ce
domaine immense, ainsi que l’atteste le labyrinthe des Chansons
contre la Guerre.
Tout
un programme !, dit Lucien l’âne ; il y a là de quoi
occuper des facultés entières ; mais tel n’est pas notre but
et telles ne sont pas nos compétences. Nous, on se contente de
tisser – à notre manière : traductions, versions françaises,
chansons et causerie maïeutique, c’est tout ce qu’on sait faire
– le linceul de ce vieux monde
disciplinaire, sévère, austère, absurde et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au
réveil, il y a
Un monde entier
Autour de toi
Ils
t’ont inscrit
À un grand jeu,
Si tu ne comprends pas,
Si
tu interroges,
Tu
dois rester silencieux
Seulement écouter
Tu dois lire
autant de livres que tu peux,
Tu dois étudier.
Un monde entier
Autour de toi
Ils t’ont inscrit
À un grand jeu,
Si tu ne comprends pas,
Si tu interroges,
Tu dois rester silencieux
Seulement écouter
Tu dois lire autant de livres que tu peux,
Tu dois étudier.
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