L’ALLÉGRESSE
Version française – L’ALLÉGRESSE – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson portugaise – Alegria – José Saramago – 1970 : #alegria – Teresa Salgueiro – 2019
Texte : José Saramago – 1970
Chanson : Teresa Salgueiro – 2019
L’ALLÉGRESSE
Amadeo de Souza-Cardoso – 1911
En 1970, José Saramago a publié son deuxième recueil de poèmes, intitulé Provavelmente alegria, ALLÉGRESSE PROBABLEMENT. Dans ce recueil, il a inclus un poème qui parlait – dans ce Portugal endormi, morose, émigré partout, écrasé par une dictature peut-être plus catholique que fasciste, penché sur les guerres coloniales – d’un droit inaliénable de l’homme : la joie. Je ne sais pas si nous sommes encore habitués à considérer la joie comme un droit, et même comme l’un des plus importants ; le fait est qu’elle est généralement l’une des plus piétinées, des plus opprimées, des plus brisées. Tout pouvoir – et j’ajouterais même, saramagiquement, toute “religion” – cultive une inimitié mortelle envers la Joie, et une amitié tout aussi mortelle envers la Mort. Habitués que nous sommes à esquiver les moments où nous nous sentons joyeux, à en avoir honte, d’ailleurs, et à ne pas oser en exprimer les accents parce que c’est un péché, un crime ou les deux, nous refusons catégoriquement ce droit, nous le craignons comme la peste bubonique et nous nous remettons entre les mains poilues de ceux qui exercent sagement cette forme d’esclavage subtil et barbare. En 2019, Teresa Salgueiro a dû remarquer tout cela ; elle dit qu’elle cherchait quelque chose qui parle de la joie pour y mettre une mélodie, et qu’elle l’a trouvée dans les vers de Saramago. Qui sont donc arrivés au port dans une chanson à laquelle Teresa Salgueiro a donné un titre avec le hashtag Twitter, #alegria, presque comme si elle voulait la diffuser par les moyens dont José Saramago n’aurait pas pu disposer il y a plus de 50 ans. Note textuelle : dans la chanson chantée, Teresa Salgueiro répète les strophes. Dans le texte qui suit, elles sont indiquées en retrait et en italique. [RV]
Dialogue maïeutique
C’est toujours la même chose, Lucien l’âne mon ami, pour déterminer le mot juste quand on passe d’une langue à une autre – ici, du portugais au français. Pourtant, il n’y a même pas de doute sur le sens, sur la qualité de l’objet, du sentiment en cause ; c’est juste qu’il y a plusieurs états à cet état.
Ohlala, dit Lucien l’âne, que tout ça m’a l’air tarabiscoté. Ne peux-tu en venir au fait, ce serait plus simple, ne penses-tu pas ?
Oui, non, peut-être, pas vraiment, répond Marco Valdo M.I., mais allons-y quand même. Le mot portugais est « alegria ». Comment le ressens-tu, comme ça, sans chercher plus loin ?
Qui ? Moi ?, dit Lucien l’âne. Sans plus réfléchir, je dirais : la joie, le plaisir, le contentement.
C’est bien ça, répond Marco Valdo M.I. ; sans réfléchir, tu m’en cites trois, sans même dire, l’allégresse qui est, à mon sens, le plus évident et sa transposition en français. Il faudrait y ajouter la gaîté, la gaieté, l’entrain, la vivacité, l’alacrité, la jouissance et la réjouissance, le ravissement, la jubilation, la félicité, le bonheur. Je m’arrêterai ici.
Moi, dit Lucien l’âne, j’y ajouterais le bien-être, la béatitude, le bien, la satisfaction, la bénédiction, le délice, la volupté, l’extase (et en son pas ultime, l’épectase), l’exaltation, le septième ciel, l’euphorie, le nirvana, l’enivrement, l’ivresse, la délectation, l’enchantement.
Restons-en là, Lucien l’âne mon ami, il y en a sans doute d’autres encore, mais tel n’est pas mon propos et encore moins celui de José Saramago, ni de Teresa Salgueiro.
J’imagine, dit Lucien l’âne, qu’il s’agit de tout ça à la fois.
Peut-être, reprend Marco Valdo M.I., et finalement, j’avais opté pour la joie et maintenant, d’avoir dialogué avec toi, de t’en parler, je penche définitivement pour l’allégresse. Le pire, c’est que le même genre de question se pose pour de nombreux mots. C’est d’ailleurs une des raisons qui font que primo, je ne propose jamais qu’une « version française » – parfois, plusieurs, et que secundo, j’évite également de commenter les versions faites par d’autres surtout quand il s’agit d’un texte qui s’affirme lui-même poétique.
Et, suggère Lucien l’âne, c’est souvent le cas dans la chanson.
Certes, ajoute Marco Valdo M.I., et je ne parle même pas de la place des mots, ni de l’ordre des phrases. C’est un fameux bazar, tu peux me croire. Sur le fond, quand même, deux mots pour dire que cette « allégresse » soit chantée par José Saramago est assez inattendu, car, comme tu le sais certainement, c’était un fervent de Fernando Pessoa, dont on sait le penchant vers la saudade, la mélancolie, la tristesse, la dépression. Là-dessus, je n’épiloguerai pas non plus, j’en ferais toute une histoire bourrée d’hétéronymes. Contentons-nous donc de l’allégresse, ce n’est pas si souvent qu’on la rencontre.
L’allégresse, dit Lucien l’âne, est notre seule terre d’exil. Ici, dans l’île de la Joie, petite, introuvable et infinie, nous vivons et nous rions en tissant le linceul de ce vieux monde ennuyeux, bruyant, adipeux, cirrhosé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Au loin, j’ouïs déjà les cris
Déjà, la voix de l’amour dit
L’allégresse du corps,
L’éclipse du mauvais sort.
Les vents déjà s’échauffent,
Déjà l’été débourse
Tant de fruits, tant de sources
Et le soleil nous réchauffe.
Je cueille le jasmin, déjà et le nard ;
Déjà, je mets mes colliers de roses
Et je danse entre les trottoirs
De prodigieuses danses.
Les sourires déjà s’amorcent,
Déjà, la ronde rompt les solitudes
Oh, la certitude des certitudes ;
Oh, l’allégresse des noces.
Je cueille le jasmin, déjà et le nard ;
Déjà, je mets mes colliers de roses
Et je danse jusque bien tard
De prodigieuses danses.
Les sourires déjà s’amorcent,
Déjà, la ronde rompt les certitudes ;
Oh, l'allégresse des solitudes ;
Oh, l’incertitude des noces.
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