ULYSSE
Version française – ULYSSE – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Odysseus – Francesco Guccini – 2004
Ulysse et les sirènes
John William Waterhouse - 1891 |
Dialogue maïeutique
Ah, dit Lucien l’âne, Ulysse, quelle odyssée ! Mais il faut avoir connu Pénélope pour comprendre d’où est surgie toute cette histoire. D’abord, il faut dire qu’Ulysse n’a jamais été prince ou roi, c’était un paysan et comme beaucoup de paysans des âges anciens, quand la terre ne donna plus assez, il s’en est allé à la guerre. En fait, Ulysse et les autres de la bande à Homère étaient des mercenaires.
Hou-la, mon ami Lucien l’âne, je sais que tu as croisé Homère et peut-être même Ulysse et la bande, mais quand même, tu y vas fort. Imagine, Ulysse et tous ces grands héros de la grande épopée fondatrice de notre civilisation ramenés au rang d’une bande d’aventuriers, de bidasses réinventant leur guerre et magnifiant leurs exploits. On peut difficilement digérer que toute la grande histoire repose sur des conversations de bistro.
Soit, dit Lucien l’âne, d’abord, c’est toujours comme ça après les guerres – ceux qui en reviennent ou se taisent ou en font toute une épopée et puis, tu n’as encore rien entendu. Ce n’est pas par hasard que je t’ai demandé si tu connaissais Pénélope, une maîtresse femme celle-là. Ulysse l’avait épousée comme le font les jeunes paysans pour avoir une compagne et une aide pour les travaux quotidiens. Rien que de très coutumier. Mais après quelque temps, il s’est rendu compte de l’erreur qu’il avait commise. Il avait importé en sa demeure un dragon domestique, une femme à poigne, qui ne rigolait pas et qui s’y entendait pour régenter le ménage. Cette calamité ajoutée à la disette, c’était vraiment trop pour lui. Comme on le verra, ce fut aussi le cas pour bien de ses camarades. Alors, il partit à la guerre ; avec les copains, l’affaire lui paraissait plus attrayante. Ils s’en allaient la fleur au bout de la lance.
Ah, répond Marco Valdo M.I., là, tu m’expliques pourquoi Ulysse et les autres sont partis à la guerre ; mais son histoire, celle de la chanson, c’est principalement celle de son voyage de retour. Remarque que si on compare son destin à celui d’Achille ou d’Agamemnon, Ulysse s’en est bien tiré.
En effet, reprend Lucien l’âne, mais Ulysse était plus malin et il avait écouté les anciens du contingent et les vieilles histoires de famille. Donc, Ulysse au régiment rencontra des camarades et ils firent la guerre de Troie. C’est du moins ce qu’Homère a raconté. Je rappelle qu’à l’époque, il n’y avait pas de journaux, pas de journalistes, pas de correspondants de guerre au jour le jour, sur le terrain. Ainsi, Homère, qui était aveugle (réellement ou volontairement) n’a rien vu du réel ; il a raconté ce qu’on lui a raconté. A-t-elle vraiment eu lieu cette guerre et en tout cas, a-t-elle vraiment connu les événements qu’a rapporté le vieil Homère ?
Oh, dit Marco Valdo M.I., c’est comme pour la Bible ou le Coran, ce ne sont que des on-dits, de fols racontars, de la mise en récit de rumeurs, de propos de bistro ou de commérages.
Bref, dit Lucien l’âne, Homère va rapporter ce que la bande lui a raconté le soir à l’auberge tandis que les soirées allaient de libations en libations. Comme il l’a rapporté, c’est Ulysse qui a inventé l’histoire du cheval de bois. Cependant, tout à une fin, le siège de Troie aussi devait bien s’achever un jour et ces joyeux mercenaires devaient bien rentrer chez eux en ramenant le fruit de leurs exploits. C’est là que les choses se sont gâtées pour la plupart d’entre eux – du moins, ceux qui avaient survécu. Comme quoi, il s’était quand même passé quelque chose.
Oui, dit Marco Valdo M.I., mais ça, c’est l’Iliade et la chanson raconte l’odyssée d’Ulysse, sa mirifique aventure maritime.
J’y viens, dit Lucien l’âne. Donc, Pénélope lui avait dit quand il était parti : « Ne t’avise pas de traîner au retour ou alors, il faudra que tu m’inventes une fameuse histoire, que tu présentes de solides raisons. » Et c’est ce qu’Ulysse a fait. Comme on sait, les histoires, les excuses et les mensonges, plus c’est gros, mieux ça passe. La fiction noie la réalité dans les flots du récit. Il faut dire qu’avant de rentrer, Ulysse avait pris le temps de roder son conte à dormir debout avec le spécialiste de l’entourloupe qu’était Homère et avait assaisonné le tout avec les racontages des marins du port. Et comment faire passer ces aventures avec les dames de la côte ? Il fallait embellir le tout et envelopper le tout dans le mystérieux manteau de la poésie. Heureusement pour lui, Ulysse était lui-même un formidable hâbleur, un spécialiste du narrativium. Il fit donc de Nausicaa et des sirènes (en réalité, toutes des jeunes dames aux amours tarifées) : une princesse salvatrice, qui l’avait soigné avec tendresse et des magiciennes étourdissantes, qui l’avaient envoûté. Et puis, faute avouée est à moitié pardonnée et il comptait sur l’effet salvateur du retour, comme pour le fils prodigue.
Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tout ça me paraît assez justement décrypter la chanson.
Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, regardons-la et puis, comme on n’a pas le temps de refaire toute l’Iliade et l’Odyssée, tels des pénélopes modernes, tissons le linceul de ce vieux monde (notre Ulysse et son odyssée contemporaine) raconteur, narrateur, hâbleur, guerrier et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Il me faut fortement l’affirmer :
À l’évidence, je ne suis pas marin.
Même si les dieux de l’Olympe et les humains
M’ont un jour poussé à naviguer,
Quand je regarde une île pierreuse,
Au-delà de la colline idéalement,
Il y a au comble de toutes choses,
Pour mon cœur et mon tempérament de paysan,
Une île de charrue et de froment,
Sans pêcheurs et sans voiles,
Où le corps et la terre suent l’argent,
Où l’or coule du vin et de l’huile.
Quand regardant une montagne en face,
On sent une autre montagne pousser,
Une île avec la mer qui l’embrasse
Qui vous appelle de l’autre côté
Et donne un visage à ces chimères,
Ces vaisseaux audacieux et fiers,
Navires concaves aux voiles noires,
Ainsi, ma vie plongea dans la mer,
Et la mer ignorée m’a submergé.
Alors, mon avenir quitta la terre
Avec le doute incertain
D’une navigation sans destin.
Dans le futur, les trames du passé
S’unissent aux lambeaux du présent,
L’eau s’exhale et de son goût salé
Brûle l’esprit innocent.
Chaque voyage réinvente un mythe ;
Chaque rencontre redessine le monde
Et on se perd dans les choses interdites
Aux saveurs toujours plus profondes.
Aller dans l’incendie des jours blancs,
À la force des bras, au souffle du vent,
La main à la barre et prendre en pleine face
L’écume et son éphémère trace
Pour aller dans la nuit sous la voile
Scrutant le scintillement des étoiles,
La grande Ourse et sa piste claire,
Tout droit vers le nord de la Polaire.
Et partir comme poussé par la nature,
Vers une guerre, vers l’aventure
Et se tourner contre les vaticinateurs,
Contre les dieux et contre la peur.
Aller dans des îles enchantées,
Vers d’obscurs arcanes, vers d’autres amours,
Mes compagnons perdus et les barques naufragées,
Des mois, des années, ou seulement quelques jours.
La mémoire confond et fonde l’oubli,
De qui étaient Nausicaa et les sirènes
Circé et Calypso, perdues dans les cris
De leurs voix aux échos obscènes
Et le cri de Polyphème aveuglé.
Mon gouvernail, ma voile, mon aviron
M’ont soudain échappé
Et pour finir, mon éperdue navigation.
À fuir, on meurt et quand tout se tait,
Si proche, je sens ma mort
Sur la mer, et je ne trouve pas la paix
Et je maudis ce décor.
Seul sur ma barque, je suis très frêle,
Mais ne tremble pas ma main
Et je change les rames en ailes
Pour m’envoler au-delà de l’humain.
La voie de la mer indique de fausses routes,
Ses pistes sont trompeuses, toutes ;
Seuls sont restés les récits engendrés
Dans la nuit de celui qui m’a chanté
Et m’a donné à moi, reclus
Dans ses vers, une éternelle vie
Et dans ses rythmes et dans ses rimes, la joie infinie
D’entrer dans des ports inconnus.
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