POÈME
Version
française – POÈME – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson
(en
langue) allemande
– Gedicht
– Mani
Matter – s.d. (1970 ça.)
d’après
la version italienne – POESIA (avec le commentaire) de Riccardo
Venturi – 2021
Poème pour enfants de Mani Matter
Spécificité des textes de Mani Matter
Une petite pause dans le tour des chansons de Mani Matter, que j’essaie de poursuivre avec une insouciance exquise, presque cinquante ans après sa mort et en pleine pandémie (terme qui a une sinistre assonance avec pandectes. Je ne sais pas pourquoi certaines choses me viennent à l’esprit, mais, avec les mots, je suis comme ça depuis l’enfance). En parlant d’enfants, parmi les choses que Mani Matter faisait parfois, il y avait des poèmes « pour enfants ». Il y a peut-être eu des chiens, des chats et des canards dans ces poèmes, mais dans celui-ci, qui s’intitule simplement Gedicht (“Poésie”), l’avocat Hans Peter Matter prend la peine d’expliquer aux enfants rien de moins que la loi.
En général, les enfants sont les êtres les plus rétifs à la loi qui puissent exister à la surface de la terre ; c’est précisément pour cette raison que la Loi et l’Autorité s’abattent sur eux dès le plus jeune âge. La famille. L’école. Ceci ne peut pas être fait. Cela non plus. Quelle barbe, sainte madone. L’âge grandit, puis, et c’est toujours pire ; qui mieux qu’un avocat qui a écrit des chansons et des poèmes sous un pseudonyme, “Mani”, qui était son “totem” en tant que boy-scout quand il avait six ans, pouvait le comprendre et l’expliquer aux enfants ? Et il l’explique, précisément, comme un enfant : donc, il faut le dire, avec une logique absolument rigoureuse, car les enfants aiment la logique alors que tout procède vers l’illogisme déguisé en logique. Je ne sais pas à quand remonte ce petit poème.
Comme l’illogisme se manifeste, par exemple, en faisant apprendre aux écoliers une langue qui n’est pas la leur (en l’occurrence l’allemand littéraire qui, je vous l’assure, est une autre langue que le Schwyzertüütsch), Mani Matter l’a écrit, justement, en Hochdeutsch. Les enfants suisses doivent apprendre à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la leur, parce que l’État, la Loi, en a décidé ainsi. C’est une situation très courante à tous les âges et dans tous les pays ; elle n’est pas différente de celle des enfants de Calabre ou du Piémont qui, lorsqu’ils atteignaient l’âge de six ans, devaient commencer à parler dans une langue étrange appelée “italien”, ou des enfants bretons qui étaient empêchés de parler breton parce qu’ils devaient parler en “français”.
Et, ainsi, Mani Matter leur donne, en quelque sorte, un coup de main pour apprendre ce que d’autres ont appelé « l’allemand ». En leur expliquant, dans la langue que lui aussi devait utiliser pour écrire ses traités juridiques, l’absurdité de la Loi et toutes ses contradictions insolubles, tout et le contraire de tout. « Interdit d’interdire », quelqu’un s’en souviendra, était un slogan célèbre vers 68 ou quelque chose comme ça ; et s’il est interdit d’interdire, on ne peut interdire les interdits. À ce stade, avec une majesté enfantine, Mani Matter abat une épée terrible sur ce nœud gordien : les interdictions sont de toute façon ennuyeuses, et il faut arrêter. Sous-entendu un “vaffanculo” (« Va-te-faire-foutre) que je ne sais comment le dire en Schwyzertüütsch. [RV]
Dialogue maïeutique
Depuis un certain temps, comme on sait Lucien l’âne mon ami, nous suivons le parcours qu’a entrepris notre ami Ventu, alias R.V., à la recherche de Mani Matter, un auteur-compositeur-chanteur suisse allemand. Au début, c’était pour nous une curiosité pure et un certain goût pour l’exotisme : que pouvait bien chanter en bernois (Bärndüütsch), ce Mani Matter de nous inconnu ?
Oh, dit Lucien l’âne, il est toujours bien de s’intéresser à ce qu’on ne connaît pas. Cependant, il y a tant de choses qu’on ne sait pas et j’ajoute qu’on ne saura jamais. Il faut s’y faire.
Là, tu as parfaitement raison, Lucien l’âne mon ami. J’ajoute même qu’il y a beaucoup plus de choses qu’on ne sait pas que de choses que l’on sait. Paradoxalement, cette règle est immuable. C’est quasiment une loi de notre monde ; j’entends loi au sens où on utilise ce mot en sciences, c’est-à-dire une règle de fonctionnement générale applicable à un domaine ou un aspect particulier.
Je te rejoins tout à fait à ce sujet, dit Lucien l’âne. À mon tour, j’ajoute un élément complémentaire à ton « il y a beaucoup plus de choses qu’on ne sait pas que de choses que l’on sait et cette règle est immuable. » C’est le fait encore plus paradoxal que plus on sait, plus on avance en savoir, plus on accumule de connaissances, plus s’étendent les domaines de ce que l’on ne sait pas. À chaque nouvelle connaissance, à chaque nouveau savoir, on découvre de nouveaux espaces à l’étendue de notre ignorance. En somme, plus on sait, plus notre savoir rétrécit en proportion de notre ignorance, de notre non-savoir. En théorie même, ce champ du non-savoir est infini. Enfin, si tu vois ce que je veux dire.
Je vois très bien, dit Marco Valdo M.I. et je te remercie d’avoir forcé ce petit débat sur l’étendue croissante de l’ignorance. On pourrait synthétiser en disant : « L’étendue croissante de l’ignorance (re)connue est fonction de l’étendue croissante du savoir ». En bref, plus on sait, moins on sait.
Soit, répond Lucien l’âne, mais pourquoi me remercier ?
Te remercier, Lucien l’âne mon ami, car c’est une excellente introduction à la chanson POÈME, qui se débat elle aussi avec un fameux paradoxe : « Il est interdit d’interdire ». Pour se persuader de la justesse de ce POÈME, hérité de Mani Matter, il suffit de se réciter dix fois au lever et au coucher cet excellent raisonnement, digne en tous points d’être enseigné dans les hautes sphères éléates et de rejoindre les Shadoks au Panthéon de l’Esprit, qui se situe – comme on sait – au cœur de la capitale de l’Absurdistan. Au fait, voici pour éclairer ta lanterne deux ou trois sentences des Shadoks :
— En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc : plus ça rate, plus on a de chance que ça marche.
— Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller… Et le plus vite possible.
— Au début, il n'y avait rien. Enfin, ni plus ni moins de rien qu'ailleurs.
Bien, dit Lucien l’âne, il ne faudrait pas oublier la loi de Murphy, celle de Parkinson, celle de Douglas, celle de Pareto, celle d’Illich, celle de Carlson qui concerne spécifiquement les humains, pas les ânes, évidemment. Restons-en là et tissons le linceul de ce vœu monde totalitaire, absurde, dialectique, contradictoire et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Il est interdit,
D’ennuyer les autres gens,
Je l’ai lu aujourd’hui.
Les interdits sont dérangeants.
Ainsi les interdits sont aussi interdits.
Mais si les interdits sont aussi interdits,
Alors, il est aussi interdit
D’interdire les interdits.
Aussi, même les interdits
Ne devraient pas être interdits.
Pareil pour l’interdit
D’ennuyer les autres gens.
Cependant les interdits sont dérangeants.
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