LES MAINS DE MÈRE
Version française – LES MAINS DE MÈRE – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson
allemande – Mutterns
Hände – Kurt
Tucholsky – 1929
Texte
de Kurt Tucholsky
Musique de Hanns Eisler
Interprétée par Gisela May (1924-), actrice et chanteuse allemande, sur son disque « Gisela May Singt Tucholsky » (1967), avec une musique de Henry Krtschil.
Plus tard, interprétée par la chanteuse allemande Dagmar Krause (sur la musique originale d’Eisler) sur son album intitulé « Panzerschlacht : Die Lieder Von Hanns Eisler » (« Batailles de chars : les chansons de Hanns Eisler ») en 1988.
MÈRE Théophile Alexandre Steinlen – 1899 |
Dialogue maïeutique
Comme tu le sais, Lucien l’âne mon ami, tout humain (comme tout être vivant sexué) a une mère. Chez les humains, comme tu le sais aussi, le rejeton comme la rejetonne ne peut se débrouiller seul pendant une période assez longue et même, avec l’évolution, ce temps a tendance à s’allonger, plus encore avec les années d’études. Et durant ce délai, il faut pourvoir aux besoins de ces jeunes. Ce n’est pas une mince affaire.
J’imagine, dit Lucien l’âne, et puis, souviens-toi, je suis un humain d’origine, même si une ensorceleuse distraite m’a métamorphosé en âne. Donc, poursuis ton récit.
Pour accomplir cette noble et immense tâche, digne du brave Hercule, reprend Marco Valdo M.I., dans la plupart des cas – les exceptions sont assez rares –, c’est à la mère de prendre en charge les multiples interventions quotidiennes que nécessite l’élevage de la progéniture. Il arrive aussi souvent qu’elle se retrouve seule face à ce bénévolat ; Car, figure-toi, ce travail essentiel n’est pas considéré comme un vrai travail (du moins quand il est opéré à domicile ; le même travail fait en dehors du cercle familial, lui est considéré comme une intervention professionnelle et donne lieu à une rémunération) et dès lors, il n’est pas payé, ni reconnu comme tel, ce qui complique singulièrement la situation quand cette mère se retrouve seule avec ses enfants. Il lui faut alors surmonter cette difficulté et trouver de quoi faire vivre sa famille, c’est-à-dire un autre travail qu’elle doit effectuer en plus de tout le reste.
Mais, dit Lucien l’âne, ça m’a tout l’air d’être une double charge qu’on lui inflige ainsi et il me semble qu’il y a dans la société humaine une sorte de déni de cette réalité, un silence pesant recouvre cette inéquité.
Oui, dit Marco Valdo M.I., et ce n’est vraiment pas facile à assumer cette double charge, surtout quand comme dans la chanson, la dame a six enfants. Pour ce qui est la mère évoquée dans la chanson, je pense qu’elle n’était pas seule et qu’elle n’avait pas à assurer cette double charge. Néanmoins, six enfants, c’est toute une histoire.
Oh, Marco Valdo M.I., si tu commençais par le commencement et si tu me disais le titre et le sujet de la chanson.
Soit, dit Marco Valdo M.I., mais le sujet de la chanson, je te l’ai quasiment dévoilé. Pour le titre, qui en allemand est « Mutterns Hände », il est devenu en français « Les Mains de Mère ».
Ça m’a l’air bien solennel, dit Lucien l’âne.
En effet, répond Marco Valdo M.I., le propos de la chanson est sérieux, même si on y sent couler une rivière d’affection. Donc, les mains de mère sont ici évoquées pour parler de la mère, pour l’honorer, pour l’encenser. Oui, c’est conventionnel, si on n’écoute pas l’entièreté de la chanson, car elle chante la mère et elle détaille, énumère soigneusement tout ce qu’elle a voulu, pu, dû faire pour ses enfants.
Ah, dit Lucien l’âne, je comprends ces mains de mère, c’est une synecdoque, c’est la partie pour le tout.
Exactement, répond Marco Valdo M.I., mais cette synecdoque est là seulement une caractéristique anecdotique, elle-même un détail d’un ensemble. L’éloge des mains de la mère camoufle ou magnifie, comme on voudra, celui de la mère elle-même ; une apologie pourtant extrêmement sobre, simple dans son expression, sans fioritures, ce qui, à mon sens, la renforce. Pour les détails, on se reportera à la chanson. Un petit sursaut de ma mémoire m’a fait retrouver une chanson française sur un thème où il est aussi question des mains d’une femme. C’est une chanson de Claude Nougaro de 1966, qui s’intitule « Les mains d’une femme dans la farine » et laisse entrevoir le rôle que l’homme réserve à sa compagne dans la vie quotidienne. Et encore, cet homme-là, celui de la chanson, est amoureux et bienveillant.
Oui, dit Lucien l’âne, l’amour sanctifie bien des choses et fait avaler tant de couleuvres, mais quand même, je me demande comment cette chanson serait reçue, si elle était créée aujourd’hui. Je suis à peu près persuadé que ce pauvre amoureux serait contraint à la mutitude, même si son aimée aimait son petit air goguenard. Enfin, tissons le linceul de ce monde dur, aveugle, ahuri, patriarcal, masculin et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Tu nous as beurré le pain
Et préparé le café,
Tu as lavé nos culs nus,
Tu as nettoyé, tu as cousu,
Tu as tout arrangé,
Le
tout de tes
mains.
Tu as mis à bouillir notre lait du matin,
Tu nous as donné des bonbons en cachette
Tu nous as apporté des gazettes,
Tu as reprisé nos chemises
Et pelé les patates.
Le
tout de tes
mains.
Tu nous as parfois secoués
Et pour un gros scandale,
Tu nous a donné une mandale.
Tu nous as tous élevés.
Nous étions huit enfants,
Et six sont encore vivants.
Le tout de tes mains.
Elles étaient chaudes, elles étaient froides.
Maintenant, elles sont roides.
Maintenant, tu es presque à ta fin.
Alors, maintenant, nous sommes là,
Et nous voici près de toi,
Et nous caressons tes mains.
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