Le Maître et Mikhaïl
Chanson française – Le Maître et Mikhaïl – Marco Valdo M.I. – 2021
Dialogue maïeutique
Comme tu le sais, Lucien l’âne mon ami, les chansons ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval…
Ni d’un âne, Marco Valdo M.I. mon ami, j’en suis convaincu. Je sais fort bien pourtant qu’elles viennent comme par hasard, car je t’ai souvent vu en faire. On dirait que d’un coup, elles naissent dans ta tête et alors, tu te mets à écrire celle qui te vient à ce moment. D’autres fois, il peut se passer des jours, des semaines, des mois parfois sans qu’une seule te sollicite. J’imagine que c’est ce qu’on appelle l’inspiration.
En effet, Lucien l’âne, l’inspiration. Encore faut-il l’inspirer, l’inspiration. Il faut la nourrir, lui donner de l’allant, la piéger, la chercher et surtout, surtout, l’attraper quand elle passe à ta portée. Par exemple, pour cette chanson-ci, l’inspiration qui l’a engendrée, même si elle t’a semblé surgir du néant, détrompe-toi, car à la réflexion, il me souvient que j’avais lu la scène qu’elle raconte dans un livre, il y a des années. Mais soit, elle est revenue à la mémoire soudainement aujourd’hui. À mon sens, elle attendait son heure. Peut-être, à la seule vue du titre, as-tu déjà compris de quel Mikhaïl il est question et si ce n’est le cas, je précise immédiatement qu’il s’agit de Mikhaïl Boulgakov et de son roman maudit Le Maître et Marguerite. Je dis maudit, car comme la plupart de ses écrits – après 1928, avaient été interdits de publication et les déjà parus avaient été retirés des bibliothèques. Il a fallu attendre près de 30 ans après la mort de l’auteur (en 1940) pour qu’ils soient enfin publiés.
Soit, dit Lucien l’âne, si tu me parlais de la chanson ?
C’est ce que je faisais, répond Marco Valdo M.I., car il y est justement question de cet écrivain et de son censeur suprême Iossif Vissarionovitch Staline, ci-devant Secrétaire Général du Parti et maître de toutes les Russies. C’est le Maître du titre de la chanson.
En quelque sorte, dit Lucien l’âne, le successeur des Tsars et l’ancêtre de Poutine.
En quelque sorte, oui, dit Marco Valdo M.I., et il ne t’échappera pas que la chanson évoque la façon dont actuellement là-bas, le pouvoir traite les journalistes, les écrivains et de façon générale, tous les gens qui critiquent le régime ou simplement, lui déplaisent.
Oui, dit Lucien l’âne, c’est la force de la tradition ; quand on ne change pas de route, on retombe dans les mêmes ornières. Et dire que certains prétendent que l’histoire ne repasse pas les plats, que l’histoire ne rejoue pas les mêmes scènes. C’est mal la connaître.
Donc, dit Marco Valdo M.I., revenons à 1930 et à la chanson. Elle est une reconstitution d’un entretien entre le Maître (Staline) et Mikhaïl (Boulgakov), en ajoutant des éléments tirés des lettres de l’écrivain au dictateur. Je n’en dirai pas plus ; elle le fait très bien.
Oui, oui, dit Lucien l’âne, il me faut conclure. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde censeur, dictatorial, menteur, escroc et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Quatre ans au Théâtre d’Art,
Dix ans que j’écris,
Trois pièces jouées, et puis ?
Toutes interdites, toutes au placard.
Interdits tous mes écrits,
Mes romans, interdits.
La police confisque mes manuscrits.
Rien ne m’est permis dans ce pays.
J’ai écrit au maître du parti.
Je disais désespéré
Simplement la vérité.
Je veux quitter ce pays.
Je l’ai prié de prier le gouvernement
De m’expulser, de me bannir,
Je ne suis pas un dissident,
Je promets de ne jamais revenir.
Le plus simple serait de me tuer.
Faites-moi, je vous prie, fusiller ;
Ou discrètement, assassiner ;
Ou officiellement, suicider.
Allo, allo, allo ?
Qui m’appelle si tôt ?
Allo, allo, allo ?
Qui m’appelle si tôt ?
Je suis bien chez Boulgakov l’écrivain ?
Qui m’appelle ? Allo, allo ?
Il est tôt, j’ai froid dans le dos.
Vous êtes bien Boulgakov l’écrivain ?
Mikhaïl Athanassievich, vous m’entendez ?
Oui, oui, Boulgakov, c’est moi.
Le camarade Staline veut vous parler.
Comment, qui, quoi ?
Je vous le passe dans un instant.
Qui, quoi, comment ?
Staline, au téléphone, maintenant ?
Oui, oui, camarade, certainement.
Vous m’entendez, Mikhaïl Athanassievitch ?
Ici, Staline, Iossif Vissarionovitch.
Vous ne me croyez pas ?
Ce n’est pas une blague, rappelez-moi.
Allo, allo ? Qui est-là ?
Je suis Boulgakov l’écrivain.
Oui, oui, ici, Staline, c’est moi.
N’ayez pas peur, j’aime bien les écrivains.
Votre lettre est là, ouverte devant moi.
Je l’ai lue très attentivement,
Et je vous comprends,
Mais vous ne partirez pas.
Pas question de vous exiler,
Les écrivains et les poètes doivent rester.
Après Sobol, Essénine, suicidés,
Maïakovski, lui aussi, s’en est allé.
Boulgakov, vous devez rester chez nous.
Au Théâtre d’Art, vous pourrez travailler.
Mais je vous dis ceci entre nous,
Vos écrits ne seront pas publiés.
Au Théâtre d’Art, c’est épatant !
Qu’on me nomme metteur en scène,
Sinon, simple figurant,
Sinon, homme de peine.
Le directeur du Théâtre d’Art ? Allo ?
Le directeur ? Ici, Staline. Allo ? Allo ?
Que se passe-t-il maintenant ?
Oui, passez-moi le directeur sur le champ.
Comment ça ? Oui, oui, je le veux.
Quoi ? Il est mort soudainement.
De peur ? Comme les gens sont nerveux
Depuis quelques temps.
Allo, allo, Iossif Vissarianovitch ?
Allo, ici, Mikhaïl Athanassievich,
Allo, Staline, vous m’entendez ?
J’ai un secret à vous confier.
Un secret, pour vous Cœur de chien,
Écoutez-moi bien !
Entre le Maître et l’écrivain,
L’écrivain gagne toujours à la fin.
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