vendredi 29 janvier 2021

EN ROND AUTOUR DU MENDIANT DE LUOSSA

 

EN ROND AUTOUR

 

DU MENDIANT DE LUOSSA


Version française – EN ROND AUTOUR DU MENDIANT DE LUOSSA – Marco Valdo M.I. - 2021

d’après la version italienne de Riccardo Venturi ATTORNO AL MENDICO DI LUOSSA et un peu les autres,

d’une chanson suédoise – Omkring tiggarn från LuossaDan Andersson – 1917

Musique : Gunde Johansson (1922 – 1995)
Paroles : Dan Andersson (1888 – 1920)
dans son anthologie Svarta ballader (Ballades noires)





Dan Andersson

Plus d’un siècle après sa mort tragique à l’âge de 32 ans, Dan Andersson jouit toujours d’une grande popularité, non seulement auprès du peuple suédois, mais aussi auprès de leurs voisins finlandais. Ses poèmes, qui traitent souvent de la dure vie des petites gens, ont touché et inspiré de nombreux musiciens et paroliers dans les deux pays, comme le montre le nombre de traductions et d’interprétations disponibles de cette triste et compatissante histoire du mendiant de Luossa.

Le mot Luossa fait référence à une localité de Skattlösberg, le village natal de Dan Andersson, dans la province de Dalécarlie, au centre de la Suède. Dans différentes langues samis, le mot luos(s)a fait référence au saumon.



 

FIN DE JOUR 1899

Akseli Gallen-Kallela





Note du traducteur italien – Riccardo Venturi

Quelques mots du traducteur. Dans ce site, on traduit des chansons, des chants, des chansonnettes de toutes sortes ; il n’est pas rare qu’on y rencontre également la Poésie, celle avec un “P” majuscule, qu’elle ait été revêtue ou non d’une mélodie. J’ignore si certains un poème de Dan Andersson a jamais été traduite en italien ; mais, quoi qu’il en soit, lorsque Juha Rämö m’en a proposé un avec quelques versions (en anglais, allemand et finnois), je me suis dit qu’une tentative en italien devait être faite. À cet égard, les belles versions artistiques en anglais et en allemand sont inutilisables : elles seraient sorties non pas comme des versions de Dan Andersson, mais de ses traducteurs (comme la traduction de Dylan Thomas dans une langue donnée à partir des traductions d’Eugenio Montale – à vrai dire, il n’en a fait qu’une). Aux traductions en finnois, je n’ai évidemment pas accès à un niveau aussi élevé. Je me suis donc jeté dans le suédois solennel, archaïque et imaginatif de Dan Andersson – très riche, entre autres choses, d’éléments souvent inextricables ; et il en est ressorti cette chose, qui n’est pas « d’arte » et n’a pas de métrique, bien qu’ici et là elle ait soutenu un léger semblant de rythme. (R.V.)



Dialogue maïeutique


Comme tu peux le voir, Lucien l’âne mon ami, si tu lis la note du traducteur italien, c’est une chanson venue du nord-ouest de l’Europe et qui a tout l’allure d’être une œuvre poétique importante dans cette partie du continent. Elle l’était en tout cas suffisamment pour qu’elle ait été traduite ou accommodée dans les langues les plus en usages dans ces régions – selon la notice de Riccardo Venturi, au moins en finnois, en anglais et en allemand, toutes traductions et versions faites à partir de l’œuvre originelle, elle-même écrite en suédois assez ancien et original. C’est un correspondant finnois – Juha Rämö – qui l’a proposée aux Chansons contre la Guerre dans ces diverses versions nordiques.


Originelle ?, dit Lucien l’âne un peu dubitatif, n’est-ce pas plutôt, originale qu’il faudrait dire.


Oh, Lucien l’âne mon ami, je connais fort bien cette proximité des deux mots qui parfois se confondent. Cependant, si j’ai dit originelle, c’est précisément pour distinguer l’origine de la chanson de son auteur, auquel aurait renvoyé le mot « original ». Ici, il s’agit de remonter à l’origine des traductions, accommodations, transpositions, versions et que sais-je encore ? Il faut bien distinguer ces deux « origines ».


De fait, dit Lucien l’âne, c’est important ce genre de transferts d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une poésie à l’autre, mais sans te contrarier, je ferai remarquer que pour nous, c’est de la routine. Pour moi, de m’être baladé dans tant de régions autour de la mer, où au cours des temps, fleurirent tant de langues qui se traduisaient l’une l’autre ou plutôt, dont les habitants des contrées parfois proches, parfois lointaines, parfois hors de portée de la connaissance directe, s’efforçaient de comprendre les récits. C’est ainsi qu’un même récit voyageait d’une version à l’autre, se perdait, reparaissait après de longues vacances. Pour ce qui nous concerne plus directement, je signale que nous avons fait plus de mille versions en langue française de chansons venues d’une langue étrangère et que l’ensemble des contributions du genre aux Chansons contre la Guerre comporte plusieurs dizaines de milliers de versions en de multiples langues de chansons venues elles-mêmes de versions originelles.


D’accord, Lucien l’âne mon ami, tout cela est vrai et passionnant. Cependant, je voudrais ajouter un ou deux compléments à la « note du traducteur ». J’en viendrai ensuite à la chanson elle-même.


Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, il faudra que tu en viennes à la chanson elle-même, sans cela, je ne saurai pas ce qu’elle colporte d’extraordinaire, comme j’espère qu’elle en est comblée.


D’abord, Lucien l’âne mon ami, je pense utile de préciser qu’une chanson, pour autant qu’elle ait quelque chose qui soit d’une manière ou d’une autre contre la guerre, n’a pas nécessité de contenir quoi que ce soit d’extraordinaire, même banale, il lui suffit d’être une chanson – avec ou sans musique, et inversement. Ainsi, je reviens à mon intention d’un commentaire préliminaire, qui commente celui du commentateur italien, à propos de sa remarque concernant les traductions à partir de traductions. Cette méthode, disons des « langues relais », des langues intermédiaires, est pourtant l’instrument fondamental et indispensable dans un monde où il existe des centaines ou plus (je ne sais trop) de langues différentes. C’est elle d’ailleurs qui fait la force des Chansons contre la Guerre et c’est grâce à elle que pour ma part j’ai pu proposer des versions françaises – en prenant la plupart du temps appui sur l’italien comme langue-relais – de chansons allemandes, anglaises, espagnoles, catalanes, juives en yiddish ou en hébreu, arabes, turques, grecques, persanes, russes, polonaises, tchèques, finnoises, suédoises, néerlandaises, tanzanienne (en swahili) et peut-être d’autres encore.


Ah, dit Lucien l’âne, venons-en maintenant à la chanson.


Oh, la chanson ?, dit Marco Valdo M.I., je pense qu’il vaut mieux la voir telle qu’en elle-même. Elle renvoie à des soirées villageoises du centre de la Suède, il y a un siècle. Tout le village (ou presque) est là pour entendre ce mendiant voyageur, cet aède, ce colporteur de chansons. Si tu avais lu Le Voyage en Laponie de Carl von Linné, tu saurais comme dans la Suède profonde, il y avait peu de distractions. Bref, comme dans toutes les campagnes profondes, on s’y ennuyait ferme et une soirée de poésie était la bienvenue. C’est à pareille soirée que convie la chanson.


Je verrai donc la chanson telle qu’en elle-même, dit Lucien l’âne. J’imagine pourtant que c’était un peu aussi ce qui expliquait le succès de ton Arlequin amoureux et de ses petits personnages, lui aussi mendiant, lui aussi conteur d’histoires. Dans – pour prendre un exemple – Arlequin et l’Histoire, ne dit-il pas :


« À l’Histoire, il n’y a pas d’échappatoire !
L’Histoire, c’est toute une histoire ;
Mais l’Histoire, Matthias, ne se soucie pas de toi,
L’Histoire ne te connaît pas.
Le sergent-recruteur, lui, se souvient de toi.
Longtemps après, il te retrouvera.
Matĕj, Matthias, Mathieu le déserteur,
Cache-toi dans le trou du souffleur. »


Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde déboussolé, apeuré, terrorisé, mercantile et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



En rond, autour du mendiant de Luossa, assis

Au feu de camp, ils écoutaient sa chanson.

De choses extraordinaires, de mendiants, de vagabonds,

Et de son grand désir, il chanta toute la nuit :

« Il y a quelque chose au-delà des montagnes, des fleurs et des chants,

Quelque chose derrière les étoiles, derrière mon cœur brûlant.

Écoutez – Quelque chose ici murmure, m’attire et me supplie :

Viens à nous, car cette terre n’est pas ton hoirie ! »


J’écoutais les vagues battre doucement sur le rivage,

Je rêvais de me reposer dans les océans les plus sauvages.

Et en esprit, je désirais des terres inconnues et vagues,

Là où la chose qui nous est le plus chère s’est perdue.

Fruits de l’éternel désir, de mères pâles sommes nés

Et de leurs pénibles douleurs jaillit notre vagissement furieux.

On nous lança dans les montagnes et les plaines à culbuter et jouer,

Aux élans, aux lions, aux papillons, aux mendiants et aux dieux.

Assis tranquillement à côté d’elle qui était mon cœur,

Elle qui tendrement entretient notre maison de ses mains.

J’entendis mon cœur s’écrier : Ce que tu possèdes n’est pas tien !

Et l’esprit m’emporta, pour chercher le bonheur.


Ce que j’aime est loin. Loin, caché, obscur.

Ma vie est un chemin merveilleux et dur.

Je veux crier dans ce bruit, dans ce brouhaha :

« Que disparaisse la Terre, j’aspire à ce que personne n’a ! »

Frères, par-delà des monts, suivez les froides et calmes rivières,

Là-bas où la mer dort et se tait dans son lit, par les crêtes, couronnée,

Quelque part au-delà du ciel, il y a ma maison, il y a ma mère,

Là-bas habillée de roses, dans les brumes d’or poudrées.


Que les eaux glacées et salées fraîchissent mes joues de fièvre,

Que je sois loin de la vie avant que vienne le matin !

Je ne fus jamais de ce monde. Dans ses tribulations sans fin,

Je passais sans paix sans foi, mais l’amour toujours aux lèvres.

Sur le rivage, des coquillages épars, une tonnelle de roses

Où, doucement, se défont les épaves, l’harassé trouve la pause.

Une chanson jamais entendue, comme l’écho d’un violon résonne

Sous la voûte où réside une béatitude toujours jeune.

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