jeudi 12 novembre 2020

Pénélope

 

Pénélope

Chanson française – Pénélope – Georges Brassens – 1960




Pénélope 1890

Vilhelm Hammershoi





Dialogue Maïeutique




Comme je l’avais plus ou moins promis l’autre jour, dit Marco Valdo M.I., voici la chanson française intitulée Pénélope – dont l’auteur est comme annoncé Georges Brassens et ainsi qu’on peut l’imaginer, elle est assez différente de la chanson italienne, intitulée Penelope, dont l’auteur est Ivano Fossati. On notera également la différence d’âge entre ces deux Pénélopes : celle de Brassens date de 1960 et celle de Fossati date de 2019. Il y a donc un écart de près de 60 ans entre les deux.


C’est considérable, dit Lucien l’âne ; en génération humaine, l’une pourrait être la grand-mère de l’autre.


Soit, dit Marco Valdo M.I., tout cela entraîne à penser qu’elles devraient avoir une façon différente d’aborder la question de l’absence du mari, car c’est là le postulat de Pénélope : toutes les Pénélopes ont ceci en commun qu’elles attendent le retour de l’élu de leur cœur – du moins, officiellement et en principe donc, toutes sont apparemment « fidèles » et désireuses de voir revenir le héros du foyer. En clair, elles restent seules à se morfondre. Voilà le problème : d’une certaine manière, ce confinement des femmes est un des fondements de la domination des hommes, caractéristique de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches, les puissants, les dominants, et en ce cas, les mâles mènent – consciemment ou inconsciemment – pour maintenir leur pouvoir, garder leurs privilèges, conserver leur puissance (même quand elle est défaillante) et leurs richesses.



Évidemment, dit Lucien l’âne en riant, pur le retour de l’absent, tout va dépendre de la durée de l’attente. Et puis, toutes les Pénélopes ne sont pas en attente d’un Ulysse, parti construire un cheval de bois et qui met des années à revenir. La plupart des hommes mariés rentrent quasi-quotidiennement au domicile conjugal.


Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, il y a principalement toutes ces femmes au foyer qui attendent le retour du mari parti à la mine, à l’usine, au champ, au bureau, etc. ; bref, les Pénélopes ordinaires. C’est une de celles-là qui est l’héroïne fantasmante de la chanson.


« Toi l’épouse modèle,

Le grillon du foyer,

Toi qui n’as point d’accrocs

Dans ta robe de mariée,

Toi l’intraitable Pénélope »


C’est la Pénélope la plus répandue et comme la chanson le montre, ça ne l’empêche pas de rêver à des aventures (forcément) extra-conjugales. En somme, c’est la femme au quotidien, seule face à l’ennui du temps qui passe et de leur vie qui s’efface. Cette mélancolie la touche d’autant plus que sa solitude est grande, que la dépendance de la femme est forte ; autrement dit, comme elle se trouve réduite à son rôle d’épouse, enfermée dans cette enveloppe sociale, il ne lui reste que ce vide que l’autre moitié – son conjoint – est censé remplir. Alors, la prisonnière, car Pénélope est prisonnière dans son couple, dans son propre foyer, dans sa propre vie, cherche à s’échapper de ce carcan, au moins en pensées. Elle a des idées folâtres, des échappatoires de jeune fille, des ambitions d’amours interdites, le goût de l’évasion. Dans le temps, du temps de Brassens, Pénélope recourrait à cette forme de poésie personnelle, se créait des univers de liberté – même factice ; c’est tout le charme de cette Pénélope d’antan, surtout quand elle s’incarne dans la voix de Barbara. À présent, Pénélope s’abîme dans les séries télévisées ; elle vit la vie aliénée d’autres silhouettes par écran interposé.


Maintenant, dit Lucien l’âne, je pense qu’on en a assez dit et qu’il faut laisser sa place à la Pénélope de la chanson ; elle en dit beaucoup plus qu’on ne peut en dire ici dans ce court dialogue. Et puis, il nous faut, nous aussi, tisser le linceul de ce vieux monde malappris, inculte, flagorneur, imbu, ennuyeux, méprisant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane











Toi l’épouse modèle,

Le grillon du foyer,

Toi qui n’as point d’accrocs

Dans ta robe de mariée,

Toi l’intraitable Pénélope,

En suivant ton petit

Bonhomme de bonheur,

Ne berces-tu jamais,

En tout bien tout honneur,

De jolies pensées interlopes,

De jolies pensées interlopes.



Derrière tes rideaux,

Dans ton juste milieu,

En attendant le retour

D’un Ulysse de banlieue,

Penchée sur tes travaux de toile,

Les soirs de vague à l’âme

Et de mélancolie,

N’as-tu jamais en rêve,

Au ciel d’un autre lit,

Compté de nouvelles étoiles,

Compté de nouvelles étoiles.



N’as-tu jamais encore

Appelé de tes vœux

L’amourette qui passe,

Qui vous prend aux cheveux,

Qui vous compte des bagatelles,

Qui met la marguerite

Au jardin potager,

La pomme défendue

Aux branches du verger

Et le désordre à vos dentelles,

Et le désordre à vos dentelles.



N’as-tu jamais souhaité

De revoir en chemin

Cet ange, ce démon,

Qui, son arc à la main,

Décoche des flèches malignes,

Qui rend leur chair de femme

Aux plus froides statues,

Les bascule de leur socle,

Bouscule leur vertu,

Arrache leur feuille de vigne,

Arrache leur feuille de vigne.



N’aie crainte que le ciel

Ne t’en tienne rigueur,

Il n’y a vraiment pas là

De quoi fouetter un cœur

Qui bat la campagne et galope,

C’est la faute commune

Et le péché véniel,

C’est la face cachée

De la lune de miel

Et la rançon de Pénélope,

Et la rançon de Pénélope.



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