MONSIEUR G SUR LE PONT
Version
française – MONSIEUR
G SUR LE PONT – Marco
Valdo
M.I.
– 2020
Chanson
italienne – Il
signor G sul ponte – Giorgio
Gaber – 1970
Paroles :
Giorgio Gaber – Giuseppe Tarozzi
Musique :
Giorgio Gaber
Pont
de Londres en soirée d’après Claude Monet |
Une
insertion, je pense, particulière et un peu controversée ;
mais qui n’est pas particulier et controversé ? En tout cas,
elle va à la fois dans le sens du nouveau parcours sur le suicide et
de l’euthanasie (également particulier et controversé), soit dans
celui-ci sur les ponts, tout juste né. M. G, alors qu’il rentre
chez lui avant « l’orgie du soir » à 22 heures
devant la deuxième chaîne de télévision, passe sur un pont,
repense à sa vie d’homme commun, ordinaire et à d’autres choses
et a certaines pensées, parmi lesquelles celle de sauter dudit pont.
« Mr. G », comme tout le monde le sait ou devrait le
savoir, est l’un des jalons du « Teatro Canzone » de
Gaber et Luporini. On lit dans Uichipedia :
« L’album
est l’enregistrement en direct du spectacle homonyme (mis en scène
pendant la saison théâtrale 1970-1971), réalisé dans les studios
Regson à Milan le 6 octobre 1970 ; l’ingénieur du son est
Gianluigi Pezzera, tandis que la réalisation est de Claudio Celli.
Dans ce disque, pour la première fois, les chansons chantées
alternent avec les monologues récités par Gaber lui-même, selon
une formule typique de presque tous les albums qui rendront compte de
ses spectacles dans les années 70 et 80. Les chansons sont toutes de
Gaber et Sandro Luporini (même si dans le disque original, elles
sont toutes signées par Gaber seul, car Luporini n’était pas
encore membre de la SIAE – Société Italienne des Auteurs et
Éditeurs), sauf Suona chitarra (de Gaber et Federico Monti Arduini)
et Il signor G sul ponte (de Gaber et Giuseppe Tarozzi), Le nostre
serate (de Gaber et Umberto Simonetta), et la prose Preghiera (de
Tarozzi).
Que
dire d’autre ? À
propos du pont et du suicide, paraphrasant
(mal) Leopardi, on pourrait dire que des frères furent
engendrés en même temps. Sous les ponts ne coulent pas, ou en tout
cas ne se trouvent pas, en général des choses faciles et
rassurantes : des rivières plus ou moins profondes, assez
souvent des lacs ou même des bras de mer, ou encore des ravins, des
surplombs, des falaises, des voies ferrées, des quartiers de ville,
etc. Et je soupçonne qu’un peu tout le monde, à certains moments
de sa vie, a envisagé de faire comme M. G lors de cette fameuse
soirée d’hiver avant de passer outre
et d’aller regarder
la télévision. Le pont reste vide et M. G, oui, finalement
meurt. Toute une vie ; et, comme le
disait le poète, la vie est cette chose dont personne ne sort
vivant. [RV]
Dialogue
Maïeutique
Lucien
l’âne mon ami, en ces temps de pandémie galopante, notre ami
Riccardo a raison de rappeler que la vie est une chose dont personne
ne sort vivant. Chez nous, on dit que la vie est une maladie mortelle
qu’on attrape en naissant et pour rester dans le bruissement
contemporain, pour laquelle il n’y a pas de vaccin.
Oh,
répond Lucien l’âne, c’est du pareil au même. Cependant, moi,
depuis le temps que j’erre du pas de l’âne sur les chemins
tortueux de ce monde, je finirai par penser que je suis, tel Sisyphe,
condamné à ne pas mourir. Il me semble, à te voir, que ce serait
ton cas également.
N’y
va pas si vite, Lucien l’âne mon ami, car il est toujours possible
– à cœur vaillant, rien d’impossible – de mettre fin à ses
jours volontairement et nul ne sait et ne peut dire, s’il n’y
viendra pas un jour. Passons ! Pourtant, holà, rassure-toi, je
n’en ai nulle intention – même à titre d’essai ou de
volition, mais il est certaines gens, comme ce Monsieur G qui
parfois, par exemple, quand ils se penchent du haut d’un pont vers
les flots noirs – car c’est quasiment toujours au jour tombé que
viennent de telles lubies – se laissent bercer par je ne sais
quelle mélancolie et s’imaginent plongeant dans ce vide entre la
rambarde et l’eau.
Je
sais tout cela, dit Lucien l’âne et même, je sais aussi que
souvent ils renoncent à cette intention et après un moment
d’égarement spirituel, ils reprennent le chemin de leur vie et
rentrent tranquillement chez eux. Ce sont souvent des personnes un
peu distraites et certainement, discrètes, car elles gardent pour
elles leurs escapades lunatiques.
Lucien
l’âne mon ami, tu es un devin, car c’est là toute l’histoire
que raconte la chanson. Je
ne suis pas sûr que ce Monsieur G, alias sans doute, le sieur
Gaberščik lui-même, n’ait pas évoqué certaine de ses propres
heures de grises songeries. Cela dit, il arrive quand même que des
gens se jettent du haut du pont – ici ou là, comme le fit le poète
Paul Celan, ainsi que le raconte la chanson « Celan
Sous Le Pont Mirabeau ». Il arrive parfois que la pratique
se généralise et tourne à l’épidémie au point qu’en
Allemagne, peu
après 1920, on trouvait sur la rambarde d’un pont une pancarte qui
disait : « Il est interdit de se suicider ».
Personnellement, j’aurais ajouté « sous peine d’une sévère
amende ».
En
effet, dit Lucien l’âne, je me souviens de ce bout de la chanson
Histoires d’Allemagne, qui disait :
« MAYENCE,
DÉCEMBRE 1926 -
Près
de Grosshesselohe, le pont sur l’Isar
S’appelle
« Le Pont des Suicidés »
Trente
mètres de haut, un tremplin
Son
passé est tragique.
On
a posé un grillage
Et
une pancarte :
« Défense
absolue de se suicider ».
On
devrait généraliser cet écriteau plein d’auto-dérision. Enfin,
suivons attentivement Monsieur G, lequel finalement rentre chez lui
et regarde la télévision. C’est là que c’est vraiment
tragique. Quant à nous, tissons le linceul de ce monde paradoxal,
mélancolique, idiot et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’eau
passe, l’eau coule,
Il
pleut un peu, un grand vent souffle ;
Il
fait nuit noire,
il y a de la lumière.
Je
me tiens sur le pont et je regarde la rivière.
À
quoi pensez-vous, Monsieur G ?
Pensez-vous
à la fin de votre vie,
À
ce que vous avez fait, ce
que vous avez dit,
À
votre courage, à votre passé, qui est déjà passé !
L’eau
passe, l’eau continue à couler
Dans
l’obscurité,
au-delà de l’obscurité.
Il
fait très froid, c’est presque l’hiver ;
Je
suis sur le pont en enfer.
En
enfer, Monsieur G ?
Allons,
ne dites pas de
telles choses ;
« Tout
va bien », telle est votre devise.
Vous
oubliez. Vous
avez toujours eu ce que vous
avez donné.
L’eau
passe, l’eau continue à couler
Comme
une berceuse qui jamais ne finit
Et
moi qui la
regarde assoupi,
Je
ferais le plongeon
tout habillé.
Tout
habillé, Monsieur
G ?
Laissez
tomber, partez de là.
Rentrez
chez vous dans votre chez soi.
Chez
vous, pensez à votre femme, rêvez !
L’eau
passe, l’eau coule,
Elle
ne reflète aucune
étoile ;
Quelqu’un
parle, quelqu’un répond
Et
il n’y a plus personne sur ce pont.
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