Le
Serpent noir
Chanson
française – Le Serpent noir – Marco Valdo M.I. – 2020
Quelques
histoires albanaises, tirées de nouvelles d’Ismaïl Kadaré,
traduites par Christian GUT et publiées en langue française en 1985
sous le titre La Ville du Sud.(8)
Dialogue
Maïeutique
Je ne
sais, Lucien
l’âne mon ami, si
on pourra un jour venir à bout de ces disputes qui fleurissent
régulièrement aux frontières et qui éclatent sporadiquement en
conflits armés.
Oh,
dit Lucien l’âne, l’histoire est toute semée de ces prurits
nationalistes et même, comme on peut le penser quand on réfléchit
à la
Guerre de Cent Mille Ans, ces hostilités se manifestent jusqu’à
la plus petite unité de propriété immobilière, jusqu’aux bords
des plus petits morceaux de terrain : on les nomme des conflits
de voisinage. Ce sont évidemment des événements minuscules qu’on
oublie aisément lors des grands recensements des massacres géants
que sont les guerres, mais – on peut me croire sur ce point –
c’est la base de tout le reste de la polémologie. On fait toujours
la guerre d’abord à son voisin et souvent, pour des riens. Ce sont
des affrontements qu’on pourrait éviter rien qu’en en parlant
entre soi.
Tu as
certainement raison, dit Marco Valdo
M.I. ; du moins, je le pense. Cela dit, Pour en venir à la
chanson, à ce « serpent noir » qui devrait t’intriguer,
car c’est un titre énigmatique de plus, comme tous ceux où il est
question d’un animal aussi mystérieux. Donc, la chanson raconte
une sorte de conflit entre ces proches voisins que sont la Grèce et
l’Albanie, un conflit larvé, une guerre d’après la dernière
guerre mondiale et qui n’a jamais vraiment éclaté et dont les
tensions persistent encore. Cependant,
dans ces années-là, c’étaient les années cinquante-soixante du
siècle dernier, je ne sais trop exactement, mais certainement pas
plus tard, les choses avaient pris une tournure un plus active. On
s’était mobilisé des deux côtés, sur la berge d’un ravin, on
avait creusé des tranchées et on y avait installé des soldats. On
se tirait dessus à l’occasion, mais pas trop, sans pur autant
qu’il y ait d’invasion de part et d’autre. Tel est le contexte
de cette chanson.
Ainsi,
c’est une guerre qui est une guerre sans être une guerre, dit
Lucien l’âne, et ainsi aussi, cette sorte de guerre ne s’arrêtait
jamais entre la Grèce et l’Albanie et peut-être même, est-elle
toujours pendante. Si j’ai bien compris, techniquement, depuis
1940, la Grèce n’a jamais mis à l’état de guerre avec son
voisin ; mais il est vrai aussi que des discussions sont en
cours entre les deux pays. Maintenant, dis-moi, ce serpent noir, que
vient-il faire ici ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, il faut te figurer un ravin qui sert
de frontière, des tranchées de chaque côté et de la tranchée
grecque part un fossé, qui avance tout droit vers la tranchée
adverse. La terre qui est déblayée et rejetée tout au long de ce
sillon est noire. Voilà le serpent et pour la sentinelle albanaise,
un sapeur nommé Zenel, c’est là un animal venimeux. D’autant
plus que celui qui creuse cette galerie à ciel ouvert vient – par
ennui, par désœuvrement, par taquinerie, par haine – à l’aide
d’un porte-voix, provoquer Zenel.
Ah,
dit Lucien l’âne, provoquer Zenel la sentinelle ; et
comment ?
Donc,
je t’explique, Lucien l’âne mon ami, quand son fossé est assez
près de la tranchée adverse pour que la sentinelle puisse entendre
ce qu’il crie, ce soldat grec (on ne saura rien d’autre de lui)
insulte les femmes proches de Zenel et annonce qu’il se propose de
les baiser ignoblement.
Évidemment,
dit Lucien l’âne, ce sont des manières grossières de provocation
profondément idiotes mais qui mettent à coup sûr en colère ceux
qui s’en soucient.
C’est
précisément ce qui se passe, Lucien l’âne mon ami, et Zenel la
sentinelle, simple paysan mobilisé en sapeur, c’est-à-dire en
mineur, en poseur de mines, va ruminer sa colère et trouver une
parade mortelle. Je te laisse la découvrir dans la chanson.
C’est
mieux ainsi, dit Lucien l’âne, je craignais que tu dévoiles toute
l’affaire. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde rusé,
querelleur, bête, borné et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Tout
est calme depuis un moment,
Après
des jours et des jours de provocations,
Depuis
hier, moins de détonations.
Zenel
contemple l’autre côté du torrent.
Ici,
c’est la berge albanaise du ravin ;
Là,
ce sont les tranchées grecques :
Parallèles ;
entre les deux fossés, ce matin,
Rampe
perpendiculaire, un large sillon grec.
Il
se traîne vers la tranchée, tout droit ;
Il
inquiète terriblement les soldats.
C’est
un boyau désert, non armé.
À
tenir à l’œil, dit l’officier.
Un
serpent noir qui avance,
La
pointe mortelle d’une lance,
Un
soc qui déchire la terre.
Zenel
n’aime pas la guerre.
Zenel
le sapeur vient du nord du pays.
Zenel
s’ennuie, le jour, la nuit.
Zenel
regarde le reptile progresser.
Zenel
dit : Pourquoi l’ont-ils creusé ?
Le
monstre crie : « Zenel, tu as peur ?
Ta
fiancée, ta mère, ta sœur,
Je
vais les baiser là à terre. »
Zenel
est très très en colère.
Zenel
ne dort pas, il va au boyau.
Il
creuse, il dépose un cadeau.
À
l’aube, le crieur arrive, et
Explosion !
Le serpent est écrasé.
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