LA PAPETERIE
Version
française – LA
PAPETERIE – Marco
Valdo M.I. – 2020
Cancelleria
– PAPETERIE
(tiré du
PE Le Roi est nu), une sorte de Βατραχομυομαχία –
Batracomiomachia ou « La
guerre des souris et des grenouilles »,
un poème ludique de 303 vers qui, dans l’Antiquité, était
généralement attribué à Homère
– entre les
stylos et les crayons qui, suite à la grève générale des gommes,
avaient commencé à appeler
à
la
révolution et à
l’égalité.
Mais
dans l’État libre de Papeterie, la dynamique politique est la même
que celle que nous observons tous les jours : les crayons
voulaient seulement les mêmes droits que les autres, mais les
stylographes socialement élevés et les trombones prolétariens les
prennent comme boucs émissaires de leur malaise, car c’est ainsi
que la presse du pouvoir les présente. La vaillante lutte des
crayons se termine donc par des rivières de graphite.
La
transposition de ces événements à un niveau réel se traduit par
une critique évidente du populisme qui meut de nombreux dirigeants
politiques et touche des couches importantes de population
inconsciente.
Dialogue
Maïeutique
Je
sais, je sais, dit Marco Valdo M.I., le titre, le titre, toujours le
titre et cette fois-ci pas seulement, le titre ; il y a aussi le
nom de l’auteur. Que peuvent bien être des « pingouins
tactiques nucléaires » et qu’est-ce que c’est que cette
histoire de papeterie ? J’anticipe tes étonnements et tes
questions.
Ben
oui, évidemment, dit Lucien l’âne, que je me pose ce genre de
questions. Et d’ailleurs, qui ne se les poserait pas ? Toi
pour commencer, comme on vient de le voir.
Enfin,
oui, certes, Lucien l’âne mon ami, mais réglons d’abord la
question des pingouins. Il s’agit du
nom d’un groupe et il vaut mieux ne jamais se poser de question
quant au nom d’un groupe ; il résulte la plupart du temps
d’une mystérieuse alchimie que personne ne maîtrise vraiment. Ce
point étant résolu, voyons la question du titre. En gros, la
Papeterie est le lieu géographique où se déroule la guerre des
gommes – à ne pas confondre avec les mémoires de Jules César et
sa Guerre des Gaules, qui n’est pas une bataille de verges, n’en
déplaise à Apollinaire, mais un de ces multiples épisodes de la
Guerre de Cent Mille Ans, où la guerre retrouve sa dimension
fondamentale de guerre sociale. Donc, n a un pays, un État, une
nation qui est la Papeterie, où éclate une grève des gommes qui
entraîne une révolution, menée par les crayons. Pour les détails,
il suffit de voir la chanson.
Soit,
dit Lucien l’âne, mais ne pourrais-tu m’en dire un peu plus sur
la chanson elle-même, la situer, pour que je sois un peu au fait des
choses.
Dans
l’introduction italienne que j’ai résumée ci-dessus, répond
Marco Valdo M.I., le commentateur se réfère à la Batracomiomachia
ou « La guerre des grenouilles contre les souris », une
histoire grecque que tu connais sans doute déjà. De mon côté, je
ne ferai pas trop allusion à Rabelais et je ferai carrément
l’impasse sur « la guerre contre les andouilles » et
autres récits pacifistes ; cependant, je me réserve d’y
revenir un jour, si on m’en laisse le temps. Ici et maintenant, je
veux t’entretenir de la parenté, à mon sens, plus immédiate de
cette Papeterie avec la Ferme des Animaux (voir
notamment La
fattoria degli animali) de Georges Orwell. Je n’en dirai rien
de plus, tu connais cette histoire de cochons.
Et
comment donc, dit Lucien l’âne, c’est une lecture très
recommandée aux petits ânes. Cela étant, reprenons notre tâche et
tissons le linceul de ce vieux monde stochastique, plastique,
élastique, catastrophique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
À
la télévision, un syndicaliste annonce
Que
les gommes partent en grève nationale.
À
la nouvelle de l’absence de leurs bourreaux,
Avec
joie, les crayons trinquent aussitôt.
Mais,
les bics cherchent à maintenir les crayons
À
leur statut social antérieur, mais les crayons
Entendent
bien abolir toute distinction
Et
dans leurs manifestations, appellent à la révolution.
Les
bics tremblent à l’idée que les crayons révoltés
Puissent
ébranler leur pouvoir ou pire, les remplacer.
Alors,
ils mobilisent la presse pour que leurs adversaires sociaux
Soient
dépeints comme subversifs, contre-productifs et déloyaux.
Mais
les crayons veulent seulement l’égalité et la liberté,
Juste
les mêmes droits, écoles, bus, cinémas, cafés ;
Ils
espèrent que sans les gommes, on entende leurs revendications
Car
maintenant, leurs mots ne peuvent plus être effacés.
Les
stylographes de la haute bourgeoisie dans leurs salons,
Les
agrafes et les trombones des bas quartiers
Imputent
aux crayons tous les problèmes.
Et
face à la crise, le peuple recourt à l’anathème.
Les
actes de violence ne tardent pas à exploser.
Il
n’y a plus rien à manger, la haine seule s’est réveillée
Et
une fois les tables renversées,
Des
fleuves de graphite se mettent à couler.
Le
Grand Conseil des bics décide l’extermination totale
Des
crayons, car ils provoquent des troubles sociaux.
Les
règles, les marqueurs, les aiguiseurs et les ciseaux,
De
paisibles spectateurs se muent en tortionnaires.
Finalement,
les gommes arrêtent leur protestation.
Tous
se retrouvent alors devant une nation grise et amère.
Sans
crayons, on décide que les gommes doivent émigrer,
Car
à quoi sert une gomme, s’il n’y a plus rien à effacer ?
Seuls
les bics restent dans l’État libre de la Papeterie,
Ils
chantent et célèbrent leur victoire.
Elle
est petite, elle est pourrie,
Visqueuse
et dérisoire
Cette
morale bourgeoise, en somme.
Pleins
de fierté, ils chantent victoire,
Et
dans leur lit douillet, paisiblement dorment
Jusqu’à
temps que, jusqu’à temps
Que
vienne le
correcteur blanc.
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